Monuments historiques : la Cour des Comptes alerte sur des « fragilités persistantes »

Les "Sages" de la rue Cambon viennent de publier un rapport « Politique de l'Etat en faveur du patrimoine monumental ». En théorie, tout va mieux depuis 2019: la dépense publique allouée à la conservation des monuments historiques est significative. En réalité, près d'un quart d'entre eux se trouve dans un état « préoccupant ». Pour ne rien arranger, les collectivités, propriétaires à 51% de ces édifices, sont confrontées à de « réelles difficultés économiques et sociales », pointent les magistrats financiers de la Cour des Comptes.
César Armand
(Crédits : BENOIT TESSIER)

La France en dénombre 44.500, dont 35% de manoirs et châteaux et 41% d'architecture religieuse. Ils sont de toutes les époques: 4% de la préhistoire, 2% de l'antiquité, 34% du Moyen-Age, 43% des temps modernes (1492-1792, Ndlr) et 17% de l'époque contemporaine (depuis la fin de la monarchie et la proclamation de la République, Ndlr). Il s'agit des monuments historiques.

En théorie, tout va mieux depuis 2019

La Cour des Comptes vient de leur consacrer un rapport baptisé « Politique de l'Etat en faveur du patrimoine monumental ». En théorie, tout va mieux depuis 2019: la dépense publique allouée à ces édifices s'établissait, avant la crise sanitaire, à plus de 1,3 milliard d'euros répartis à parts égales entre l'Etat et les collectivités territoriales.

Entre 2019 et 2021, cet effort s'est même « sensiblement accru » par la forte augmentation des crédits d'Etat, alloués à des travaux sur des monuments de premier plan ou inscrits dans le plan France Relance de septembre 2020. L'Etat a de longue date développé « une fiscalité appropriée et efficace », saluent les "Sages" de la rue Cambon.

En réalité, près du quart d'entre eux est dans un état « préoccupant »

Dans les faits, la dépense globale est « mal appréhendée » par le ministère de la Culture qui ne dispose pas d'une « connaissance exhaustive », pointe aussi la Cour des Comptes. Le jaune budgétaire, c'est-à-dire le document propre au patrimoine annexé au projet de loi de finances, est ainsi qualifié d'« incomplet ». Manquent en effet à l'appel les dépenses des autres ministères et les aides dont bénéficient les collectivités. Pour ces dernières, l'estimation de l'effort est « encore plus imprécise » et « irrégulière dans le temps ».

Tant est si bien qu'en dépit des moyens sur la table, le dernier bilan de l'état de conservation des monuments historiques - effectué en 2018 - a montré que près du quart d'entre eux est dans un état « préoccupant ». Ceci est la conséquence d'une réforme de 2009. Depuis lors, la maîtrise d'ouvrage des opérations de conservation n'incombe plus exclusivement aux architectes en chef des monuments historiques - ils s'occupent toujours de ceux de l'Etat - mais aux propriétaires de ces derniers, c'est-à-dire aux propriétaires privés (43% du patrimoine) et aux collectivités territoriales (51%).

Celles-ci « ont insuffisamment organisé l'exercice de leur maîtrise d'ouvrage », relèvent ainsi les magistrats financiers. Plus généralement, cette réforme a logiquement contribué à « fragiliser l'expertise architecturale et patrimoniale de premier niveau ». A cela s'ajoute le problème des talents à recruter, entre des départs en retraite « massifs » et « un déficit d'attractivité faute de rémunération suffisante et de perspectives de carrière ».

« Il convient que l'Etat agisse pour prévenir un appauvrissement des compétences techniques qui aurait de lourdes conséquences dans les années à venir » martèle encore la Cour des Comptes.

Des collectivités « confrontées à de réelles difficultés économiques et sociales »

Autant de « fragilités structurelles » qui plaident pour une « stratégie globale nécessitant des approches plus transversales ». Les « Sages » de la rue Cambon défendent par exemple la concertation avec les acteurs locaux, notamment dans les petites et moyennes villes « confrontées à de réelles difficultés économiques et sociales ». Toujours en matière économique, ils jugent « indispensable » que l'Etat renforce son action vis-à-vis des entrepreneurs privés qui exploitent des monuments ouverts au public.

Lire aussi 5 mnLa Cour des comptes pointe les nombreuses failles du plan de relance

Autrement dit, fonder une stratégie  « à tous les niveaux et avec tous les acteurs ». A cet égard, la Cour des Comptes recommande par exemple d'établir pour chaque édifice inscrit ou classé un « carnet sanitaire » actualisé et partagé avec l'ensemble des parties prenantes, ou encore d'engager un travail interministériel d'évaluation des dispositifs fiscaux aux monuments historiques.

Quitte à oublier que le ministère de la Culture et que le ministère de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique défendent parfois des intérêts divergents...

César Armand

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Commentaires 2
à écrit le 23/06/2022 à 11:17
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Il faut déclassifier nombre de bâtiments, moins essentiels et à charge des privés.

à écrit le 23/06/2022 à 11:03
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La Cour des Comptes, garant de orthodoxie budgétaire, devrait nous donner des éléments d’information sur ce que cela coûte à la nation et sur ce que cela lui rapporte en termes financiers. En résumé, il y a-t-il, oui ou non, un retour sur l’investiss...

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