Véhicules électriques : le secteur du BTP confronté au rétrofit et à son industrialisation

Promis à un certain avenir pour convertir les engins de chantier à l’électrique ou à l’hydrogène, le rétrofit doit résoudre une équation à plusieurs inconnues : technique, industrielle, financière et réglementaire. A la clé : l’allongement de la durée de vie des matériels.
D'abord expérimenté sur le chantier du port de la Turballe (44), le tracteur Hydrogène, testé par Charier va être déployé sur le site Planète recyclage à La Rochelle pour lequel i la reçu une autorisation municipale et de la DREAL (reception à titre isolé)
D'abord expérimenté sur le chantier du port de la Turballe (44), le tracteur Hydrogène, testé par Charier va être déployé sur le site "Planète recyclage" à La Rochelle pour lequel i la reçu une autorisation municipale et de la DREAL (reception à titre isolé) (Crédits : Charier)

Pour l'heure, aucune législation n'interdit aux engins de chantier de circuler dans des Zones à Faibles Emissions (ZFE-m). Dépourvu de certificat crit'Air, tractopelles et autres chariots élévateurs peuvent toujours naviguer dans les centre-villes. Pour l'instant...«...A ce stade, et hormis certaines décisions locales. Mais l'hypothèse qu'il y ait des contraintes d'utilisation et d'usages des matériels thermiques de construction est, pour moi, tout à fait réelle et sérieuse et doit être intégrée », affirme François Renault, directeur matériel & développement durable du groupe Kiloutou, troisième loueur européen de matériel pour le BTP qui vient d'engager un partenariat exclusif avec le groupe Manitou, une des références mondiales de la manutention et de l'élévation de personnes.

kiloutou manitou retrofit

Un des engins de la gamme Impakt retrofité par Kiloutou et Manitou

Un engin sur trois rétrofité dans la gamme « Elevation et Terrassement »

Tout au long de l'année 2023, un chariot télescopique thermique sera démonté puis remonté en version électrique chez Manitou puis testé en conditions réelles par le centre d'essais de Kiloutou à Lille. Conclu pour une durée de douze mois, ce partenariat, qui prendra effet en 2024, vise à mettre à disposition du loueur des kits d'électrification pour chariots télescopiques thermiques Manitou. « C'est un programme exploratoire de R&D qui va nous permettre d'évaluer les enjeux techniques et financiers d'un projet de rétrofit sur un matériel imposant », explique François Renault. En l'occurrence, un chariot élévateur de 14 mètres de haut pour un poids de douze tonnes qui, en électrique, manquait à la gamme Impakt, lancée en 2021 pour répondre à une demande naissante et « croissante » pour des appareils à faible impact environnemental. A ce jour, sur la gamme Elévation et Terrassement qui constitue une grosse partie de l'offre, 37% du matériel est mué par des moteurs électrique ou hybride. « Pour les 63% restants, c'est tout l'enjeu du travail à faire avec nos fournisseurs et clients», reconnait François Renault, conscient qu'un certain nombre de problèmes techniques se posent avec le rétrofit. « D'où ce partenariat », dit-il. « Ce n'est pas si simple d'enlever un moteur diesel, un réservoir de carburant, et de remplacer par des batteries lithium-ION et un moteur électrique. De nombreux choix techniques sont à opérer. De puissance, de dimensionnement des batteries pour garantir l'autonomie attendue pour ce type de matériel, sans en changer l'usage ».

Un double enjeu

Ce matériel - électrique- étant inexistant en neuf sur le marché, la démarche revêt un double enjeu pour Kiloutou : celui du rétrofit et de la mise sur le marché d'un matériel plus imposant. D'où ce projet de R&D qui pourrait permettre d'industrialiser le process et d'accélérer la transition environnementale du secteur du BTP et de l'entreprise, engagée sur la réduction de ses émissions carbone dans le cadre du scope 3 de sa stratégie de développement durable. Car, la transition des matériels se fera soit à la vitesse des renouvellements ou de la croissance des parcs, soit par du rétrofit, qui pourrait allonger la durée de vie (douze ans en moyenne) des engins de 7 à 8 ans. « Or, on peut imaginer demain de la régulation avec des lois qui arrivent, et qu'il sera nécessaire trouver des solutions pour aller encore plus vite que le renouvellement naturel des parcs » L'objectif est d'éviter l'utilisation de nouvelles matières premières et d'éviter de consommer un matériel neuf. Autrement dit, de faire durer le matériel et multiplier les usages pour amortir le coût des matériels.

Construire un cadre réglementaire

C'est là un des défis de la filière retrofit, réunie, depuis 2019, au sein de l'association des Acteurs de l'Industrie du Retrofit Electrique (AIRe), autour d'un certain nombre d'industriels et de constructeurs, confrontés à des problématiques de sourcing et de qualification des composants, d'homologation et de réglementation. «La filière en cours de structuration. Industriels et des constructeurs se mettent en ordre de marche... et nous discutons avec l'Etat pour évaluer les contraintes réglementaires et trouver des solutions pour homologuer les matériels. C'est nouveau, pour les uns comme pour les autres, et cherchons à adapter les textes pour construire un cadre réglementaire qui prenne en compte les exigences de qualité et de sécurité attendue », indique Jérémy Cantin, membre fondateur de l'AIRe et ceo d'E-Neo, pionnier du retrofit, spécialisé dans la conversion des poids lourds et notamment engagé dans l'expérimentation menée par le groupe de travaux publics Charier, près de Nantes, pour convertir un tracteur John Deere à l'hydrogène.

L'hydrogène pour aller plus loin

Lancée le 5 décembre dernier, l'opération a permis d'engranger de nombreuses données pour optimiser le fonctionnement du tracteur et dupliquer la technologie sur d'autres engins de chantier. L'ambition pour le groupe de TP qui consomme 13 millions de litres de gasoil et GNR (Gazole Non Routier) par an est de réduire de 50% ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030. Si l'entreprise a mis en œuvre l'écoconduite et fait passer un véhicule de fonction sur deux à l'électrique..., le gros de la consommation reste les engins. « Or, à ce jour, il n'existe quasiment pas de solutions », observe Arnaud Peugniez, directeur matériel et achats du groupe Charier. « Et le problème de l'électrique, c'est l'autonomie, le poids associé à la nécessaire puissance des batteries et les possibilités de temps de rechargement, à condition encore que les sites soient équipés de bornes de recharge rapides », dit-il. D'où le recours à l'hydrogène qui permet d'avoir une autonomie d'une demi-journée. Un « plein » se fait en trois minutes, au lieu des 10 à 15 heures de rechargement imposé par l'électrique. Rien à voir. A condition, toutefois, que l'hydrogène puisse être livré sur le chantier.

Sortir du prototypage

C'est là qu'entrent en scène, le producteur d'hydrogène vert Lhyfe, le distributeur de produits pétroliers vendéen Brétéché et surtout, le groupe nantais Europe Technologies, spécialisé dans la conception, la fabrication et l'industrialisation d'ensembles mécaniques , qui vient de mettre au point une station mobile de stockage et de distribution d'hydrogène à 500 bars. Cette solution qui recompresse l'hydrogène de Lhyfe, fourni à 350 bars, permet au tracteur d'accroître son autonomie et de permettre un ravitaillement bord à bord des engins sur les chantiers. Tout cela devant être assujetti à des homologations. La certification CE du tracteur ayant été modifiée, c'est la DREAL qui fournit une « réception à titre isolé » pour qu'il puisse circuler, sur des zones soumises, de plus, à autorisations municipales. « Les freins sont encore nombreux avant de rendre cette solution compétitive », admet Arnaud Peugiez. Pour cela, l'alternative électrique/hydrogène devra encore digérer le prix du retrofit.

Pour le tracteur, l'addition s'élève à 350.000 euros pour le rétrofit, auquel s'ajoute 90.000 pour l'acquisition d'un modèle John Deere d'occasion, et les coûts d'exploitation de l'hydrogène vert, soit 15 à 20 euros le kilo (station de distribution et dispenser compris). Même avec une subvention de 140.000 euros accordée par la région des Pays de la Loire, le gazole non routier demeure quatre fois moins cher ! « Ça va arriver mais dans l'immédiat la filière n'est pas industrialisée. Rien que sur la batterie, il faut innover par rapport aux modèles existants pour parvenir à concevoir un système qui charge et décharge simultanément », indique Arnaud Peugniez, dont le projet souffre aussi de livraisons aléatoires de composants, non conçus à cet effet et qu'il faut ensuite qualifier. « Comme tout prototype, ça n'a, financièrement, pas de sens mais l'idée c'est de comprendre et faire avancer la filière, monter notre engagement RSE. On a dépassé le stade du concept, on entre dans la genèse, mais nous ne sommes pas encore dans l'industrialisation», résume-t-il.

S'y retrouver dans l'équation économique

C'est aussi l'enjeu du test mené par Manitou et Kiloutou qui vise à pouvoir mettre en œuvre une démarche industrielle et mesurer le coût industriel du développement du rétrofit. « L'idée du « kit » est d'avoir une solution simple et robuste qui immobilise le moins longtemps possible le matériel et qui permette que chacun s'y retrouve dans l'équation économique. C'est une démarche complètement nouvelle sur cette typologie de matériel », assure François Renault. L'équation économique ?  De son côté, Kiloutou dit doubler ses investissements en matériels électriques pour accélérer et ne pas attendre le renouvellement des matériels. Comparé à un matériel neuf, le surcoût serait de l'ordre de deux fois à fois et demie pour une pelleteuse thermique versus électrique. « C'est le même phénomène que pour les véhicules grand public. Sauf qu'ici, on travaille sur des voltages plus importants, les technologies et l'industrie ne sont pas les mêmes, l'électronique embarquée est conséquente, la conception des batteries est différente, donc le KWH de batterie est très cher pour le BTP », raisonne le directeur matériel et développement durable de Kiloutou pour qui, à l'exception de quelques économies pouvant être gagnées sur l'énergie et dans une moindre mesure sur la maintenance, les investissements nécessaires se traduiront, selon les premiers calculs réalisés avec les fournisseurs et clients, par un surcoût de une fois et demi à deux fois plus cher à la location. « Demain un chariot élévateur électrique sera forcément plus cher qu'une thermique. C'est une réalité », admet -t-il. Et un frein.

Les appels d'offres en soutien de l'industrialisation

Pour lui, le raisonnement doit se faire en coût global sur l'ensemble de la chaine de valeur, c'est à dire en intégrant la maitrise d'ouvrage, qu'elle soit publique ou privée. « La demande est croissance mais la complexité, c'est l'argent qu'il faut injecter en plus , il faudra qu'il se retrouve dans les ouvrages à réaliser. C'est tout le travail que doit faire nos clients , entreprise de BTP, de vendre ce surcoût dans le cadre des appels d'offres et des études de prix pour la réalisation de leur ouvrage », dit-il, partisan aussi d'un accompagnement de la transition par des aides publiques comme cela a été fait dans l'automobile. « Nous travaillons avec les pouvoirs publics pour essayer de synchroniser ces aides à la croissance de la demande. On fait le pari, que dans le cadre du rétrofit, ces opérations de requalification du matériel et des coûts engendrés pourraient recevoir de l'aide pour accélérer la transition », espère-t-il.

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Commentaire 1
à écrit le 29/03/2023 à 4:37
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Le jour ou un bull de 30 tonnes sera capable de fonctionner a l'hydrogene / electrique, les poules auront des dents.CQFD

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