Emmanuelle Quilès, une femme à la conquête du syndicat du médicament

Pour la deuxième fois seulement depuis la création du syndicat des entreprises du médicament, le Leem, une femme en brigue la présidence. Face au favori, Philippe Tcheng, le président du géant Sanofi-Aventis, Emmanuelle Quilès fascine certains par son courage à interroger le rôle du syndicat et à vouloir l’imposer comme véritable partenaire politique. Elle en inquiète d’autres tant par sa capacité à casser les codes que son profil jugé insuffisamment « franco-français ». Rencontre avec l’élégante présidente de Janssen France, fille de l’ancien ministre socialiste Paul Quilès.

Après Élisabeth Hubert en 2003, une femme se retrouve à nouveau dans la course à la présidence du Leem. Un signe fort alors que le syndicat des entreprises du médicament ne compte encore que six administratrices sur quarante postes au sein de son conseil d'administration. Dans ce scrutin dont le vote sera connu mardi 11 septembre, Emmanuelle Quilès pourrait apparaître comme l'outsider. Face à Philippe Tcheng, président du puissant Sanofi-Aventis Groupe, son jeune âge (50 ans), son franc-parler et son management participatif déroutent. Alors que son concurrent, 60 ans, rassure habitué qu'il est à négocier avec les gouvernements.

Mais, précisément, pour Emmanuelle Quilès, il est plus que temps de sortir des échanges techniques, pour placer le médicament comme véritable partenaire politique du pays. Depuis plus de dix ans, Philippe Tcheng s'occupe de stratégie, de communication et d'accès au marché. Mais Emmanuelle Quilès connaît bien la négociation des prix et affiche en plus une expérience de startuppeuse qui la rapproche de nombreux jeunes adhérents. Quand elle entend que la formation médicale de Philippe Tcheng rassure les médecins, elle rétorque que son profil d'ingénieure en biotechnologie est un atout dans un secteur qui doit aussi compter sur l'innovation pour rester dans la course internationale. Et n'en déplaise à certains, Emmanuelle Quilès est surtout une femme bosseuse et très déterminée.

Depuis qu'elle est entrée en lice pour la présidence du Leem, la président de Janssen France agit comme elle a l'habitude de manager : écouter, diagnostiquer les problèmes, proposer des évolutions et fédérer les équipes autour du changement. Sur sa plateforme Emmanuelleauleem.com, une centaine de contributions se félicite de son audace.

Aborder les sujets qui fâchent

Certains abordent de front les sujets qui fâchent, des polémiques qu'on évite trop souvent d'évoquer en pharma. Prix réel contre prix facial, fin de l'opacité, harmonisation des délais d'enregistrement sur ceux des pays européens, reconnaissance de la valeur d'une industrie innovante qui induit des risques, mais contribue à l'excellence de la France... Celle qui a œuvré pour exclure le laboratoire Servier du Leem au moment de l'affaire du Mediator, quand elle en était vice-présidente en 2012, ne craint pas les polémiques. En face, le programme de Philippe Tcheng est plus récent. Il y reprend les principales préoccupations du secteur : redonner de l'attractivité au territoire français et dynamiser la compétitivité des entreprises avec une volonté de simplification administrative. Du pur lobbying classique qui a si mauvaise presse et aux résultats de moins en moins convaincants. Pour Emmanuelle Quilès, il est donc temps de faire évoluer la stratégie du syndicat.

Selon Emmanuelle Quilès, « nos laboratoires ont souvent du mal à se sentir fiers de leurs activités. Dans les médias, on parle de nous quand il y a des problèmes, ce qui nous place toujours dans un rôle défensif et nous empêche d'occuper notre place dans le débat public. Le Leem devrait sortir des débats techniques et développer une position plus politique pour définir une stratégie à long terme avec les autorités de santé.

Progrès médical, balance commerciale, investissements : notre industrie joue un rôle important pour le pays et ce rôle doit être reconnu. Bien sûr, la transparence est une très bonne chose, car le médicament n'est pas un produit anodin. Il y aura toujours des patients qui ne répondent pas aux traitements et des effets secondaires ; c'est notre devoir de partager en continu ces informations et c'est d'ailleurs ce que nous faisons au quotidien ».

Avec son souci de faire évoluer les pratiques, quitte à casser les codes, la jeune quinqua séduit ceux qui aimeraient bien sortir des rapports un peu trop consensuels entretenus avec les autorités sanitaires. Son programme plaît notamment aux petits labos et aux génériqueurs, il plaide pour faire passer le syndicat professionnel à l'ère du 3.0. Ils sont nombreux à dire que sa candidature est séduisante et son programme ambitieux, à l'instar, en même temps... qu'un certain candidat lors de la dernière élection présidentielle.

Deux candidats aux profils très différents

En matière d'expérience professionnelle, les deux candidats sont très différents. L'ancien directeur des relations avec le gouvernement de Sanofi a mené presque toute sa carrière dans le groupe. Depuis 1989, il a assuré de nombreuses responsabilités au sein de différentes entités de Sanofi : marketing, management de Business Unit en France et à l'international, gestion des Alliances Stratégiques mondiales, accès au marché et affaires publiques. En face, le parcours d'Emmanuelle Quilès frappe par la diversité des postes et des environnements : labos français, big pharma américaines ou startup européenne. Ingénieure de l'École supérieure de Biotechnologie de Strasbourg, elle a enchaîné les postes et les entreprises comme une véritable « Gen-Y » avant l'heure.

Après un épisode chez Rhône Poulenc et un passage chez Pierre Fabre, elle rejoint la startup américaine Genetics Institute. Quand celle-ci est rachetée par le laboratoire Wyeth, elle évolue au sein de l'entreprise jusqu'à devenir PDG de la filiale française. Deux ans plus tard, le géant Pfizer rachète Wyeth et elle réussit à décrocher la présidence de Pfizer France. Dans son parcours, la dirigeante ne résiste pas à l'aventure « création d'entreprises ». En 2012, elle fonde Harmonium avec l'ex-président de Pfizer Italie, une société spécialisée dans les produits pour diabétiques, basée la péninsule. Mais le souvenir big pharma la hantant, elle revient dans cet univers trois ans plus tard pour prendre la direction de Janssen France, filiale de Johnson and Johnson. Cette ingénieure biotech atypique a aussi su se faire reconnaître. Elle est membre du Conseil d'administration du Leem depuis septembre 2015 et membre du Bureau de l'Agipharm, qui rassemble les entreprises françaises filiales de laboratoires américains. Elle a été distinguée avec la Légion d'honneur en janvier 2017.

Dans cette aventure au sein du médicament, les fils conducteurs revendiqués par Emmanuelle Quilès sont l'innovation et l'audace, sans oublier la synergie indispensable pour réussir toute évolution. Ses atouts ? Elle connaît bien les problématiques de diverses spécialités médicales, ainsi que celles du monde des start-ups. De plus, elle a su faire évoluer les pratiques professionnelles chez Janssen, dans le cadre de projets collectifs. Selon elle, avec une nouvelle équipe à la tête de l'État et de nombreuses innovations qu'il va falloir financer, il est temps de repenser la stratégie du Leem et de le repositionner dans les négociations. C'est même la seule manière de garantir, comme elle le souhaite, l'accès de tous les Français aux médicaments innovants. Car comme on le sait, les hôpitaux et les médecins ont déjà dû commencer à arbitrer entre les patients pour délivrer les nouveaux traitements, trop coûteux pour les moyens de la Sécu.

« Nous ne pouvons plus accepter que le médicament soit la variable d'ajustement des PLFSS successifs (projet de loi de Financement de la Sécurité sociale, ndlr) et qu'il porte à bout de bras 45% des économies, critique-t-elle, alors qu'il ne représente que 15% des dépenses de santé. Il est temps d'arrêter les politiques court-termistes et de considérer que croissance, accès au marché et attractivité de notre secteur, les trois leviers qui structurent mon programme de campagne, doivent aider à nous inscrire dans une dynamique de long terme.»

Le secteur pharmaceutique doit innover plus

Les premiers arbitrages du PLFSS ne devraient être connus qu'après l'élection du nouveau président  ou présidente du Leem. Emmanuelle Quilès pense qu'ils ne seront pas favorables à l'innovation. Selon elle, le secteur pharmaceutique français sera en danger si on ne parvient pas à réconcilier maîtrise des dépenses de santé et attractivité, si on n'élabore pas rapidement une politique de prix adaptée aux enjeux de l'innovation.

Depuis quelques semaines, la presse commence à se faire l'écho de dossiers peu favorables à Janssen, après l'été marqué par la fermeture d'une usine Sanofi dans le Sud Ouest suite à la révélation de fumées toxiques. Dans l'Usine Nouvelle et le Canard Enchaîné, des articles évoquent une condamnation de Janssen à 25 millions d'euros pour abus de position dominante en essayant de retarder l'arrivée sur le marché d'un patch antalgique. Étrange et peu élégant timing médiatique, aux yeux de la présidente de Janssen France, pour une décision qui date de décembre 2017. Alors même que Sanofi n'est pas en reste en matière de sanctions financières, condamné par exemple à une amande de 25 millions dollars (21,6 millions d'euros) par l'autorité des marchés américains pour violation de la loi FCPA (Foreign Corrupt Practices Act) et pratiques de corruption par certaines de ses filiales étrangères au Kazakhstan et Moyen-Orient. Des « civilités » médiatiques précédant souvent les périodes d'élections.

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Famille, sport et biotechnologies

Côté privé, Emmanuelle Quilès a grandi dans un petit village de Haute-Savoie, autour du lac d'Annecy. Un endroit dans lequel elle retourne volontiers pour se ressourcer en famille. Sportive invétérée et passionnée de montagne, elle court, fait du tennis et de l'équitation. À l'école, elle se passionne pour les sciences. Alors que très peu de filles choisissent de suivre des études scientifiques, cette orientation atypique conforte sa détermination à relever des défis et nourrit sa volonté de promouvoir la parité peu développée dans son secteur du médicament. Après le bac, Emmanuelle Quilès suit des études de biologie. Puis elle décroche un diplôme d'Ingénieure à l'École supérieure de Biotechnologie de Strasbourg. Alors que la pratique commence tout juste à se faire connaître. Vingt-cinq ans plus tard, ce choix judicieux prouve que la jeune femme sait miser sur des innovations prometteuses. Malgré sa carrière bouillonnante, Emmanuelle Quilès a toujours tenu à rester proche de ses trois enfants : Julie, Marie-Lou et Max. Plutôt cocooning et chocolat noir que clubbing et cocktails, mais quand même fan de Bruce Stringsteen, cette bosseuse a su concilier vie pro et vie privée.

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Commentaires 3
à écrit le 17/01/2021 à 10:30
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Votre "amAnde de 25 millions de $" m'a beaucoup fait rire ... mais je ne remercierai jamais assez le géniteur d'Emmanuelle de m'avoir fait connaître Enbrel des labos Wyeth lors d'une réunion de maires dans le Tarn en 2006!

à écrit le 16/12/2020 à 16:48
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Comment peux telle écrire cela ; on ne peux pas étre partout à la fois c' est elle la rédactrice; j' en doute fort///////

à écrit le 08/09/2018 à 17:14
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vu son nom, personne ne doute un seul instant qu'elle en est arrive la grace a ses competences, pas vrai? bon, le copinage, ca fait rigoler les francais, ca fait rigoler dans tous les potentats democratiques africains, ailleurs, ca laisse les gens b...

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