Climat : Trump peut-il saboter l'Accord de Paris ?

Par Giulietta Gamberini  |   |  1541  mots
La possibilité d'une dénonciation de l'accord est expressément prévue par le texte, comme la plupart des accords internationaux.
Pendant sa campagne électorale, le président élu, climato-sceptique notoire, a menacé d'"annuler" le texte issu de la COP21, dont le but est de contenir le réchauffement climatique en dessous de 2°C. Une hypothèse qui semble juridiquement tout à fait envisageable. Mais plus que du droit, l'avenir de la transition énergétique dépendra des rapports de force politiques et de la compétition économique.

Réunis à Marrakech à l'occasion de la 22e Conférence des parties (COP22) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), les défenseurs de l'environnement sont abasourdis. Le "scénario catastrophe", celui auquel ils ne voulaient pas croire jusqu'à hier soir, s'est réalisé. Donald Trump, qui pendant sa campagne électorale a qualifié le dérèglement climatique de "canular" inventé par la Chine pour affaiblir la compétitivité de l'industrie manufacturière américaine, vient d'être élu président des Etats-Unis. Le sort de l'Accord de Paris, issu de la COP21 et ratifié conjointement par la Chine et les Etats-Unis en amont du G20 de Hangzhou en septembre, est leur préoccupation la plus immédiate : pendant sa campagne, le candidat républicain a menacé rien de moins que de l'"annuler".

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L' Accord de Paris peut être dénoncé

Juridiquement, cette hypothèse est tout à fait envisageable. La possibilité d'une dénonciation de l'accord est expressément prévue par le texte, comme par la plupart des accords internationaux. Et puisque l'Accord de Paris a été ratifié par une simple signature de Barack Obama, donc sans passer devant le Congrès, une telle dénonciation ne demanderait elle non plus son approbation, souligne Arnaud Gossement, avocat spécialiste du droit de l'environnement.

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Certes, comme s'est empressée de le souligner mercredi la ministre française de l'Environnement, Ségolène Royal, l'article 28 prévoit que cette dénonciation ne pourra pas intervenir avant "l'expiration d'un délai de trois ans à compter de la date d'entrée en vigueur" de l'accord, à savoir le 3 novembre 2019. "Cette dénonciation prend effet à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la date à laquelle le Dépositaire en reçoit notification", ajoute l'article 28: donc au plus tôt dans quatre ans, le 3 novembre 2020, date prévue pour les prochaines élections présidentielles américaines. Mais le texte prévoit également que "toute Partie qui aura dénoncé la Convention [la CCNUCC, entrée en vigueur pour les Etats-Unis en 1994, Ndlr] sera réputée avoir dénoncé également le présent Accord": or, en ce cas, le délai serait réduit à un an, fait remarquer Arnaud Gossement.

Le retrait des Etats-Unis n'aurait néanmoins pas d'effet sur le caractère obligatoire du traité vis-à-vis d'autres Etats, selon l'avocat, d'une part car l'approbation de 55 Parties représentant 55% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) était requise pour l'entrée en vigueur, et non pas pour son maintien. D'autre part parce que des adhésions supplémentaires sont attendues avant la prise de pouvoirs en janvier de Donald Trump, s'ajoutant aux 103 pays représentant 70% des émissions ayant déjà ratifié.

La mise en oeuvre des engagements américains en question

L'avenir de la lutte contre le réchauffement climatique dépendra toutefois bien plus des rapports de forces que du droit, conviennent juristes et défenseurs du climat. L'une des principales faiblesses du droit international, et de l'Accord de Paris en particulier, est en effet l'absence de caractère contraignant. Donald Trump pourrait ainsi immédiatement décider de ne pas mettre en oeuvre les engagements pris par les Etats-Unis dans leur contribution déterminée au niveau national (Nationally Determined Contribution, NDC), à savoir la réduction de leurs émissions de GES de 26%-28% en 2025 par rapport à 2005, sans que la communauté internationale puisse le sanctionner. "En sachant que les Etats-Unis sont responsables de 18% des émissions mondiales, et que les prochaines quatre années sont cruciales pour maintenir une dynamique encore fragile, un tel choix pourrait rendre inatteignable l'objectif -déjà insuffisant- de contenir le réchauffement en dessous des deux degrés", craint Sandrine Maljean-Dubois, directrice de recherche au CNRS et spécialisée en droit international et européen de l'environnement. "Les investisseurs ont besoin de signaux clairs, nous ne pouvons nous permettre aucune contradiction", précise-t-elle.

Pour cette raison, la responsable climat de l'ONU s'est empressée de tendre la main au nouveau président. Mercredi matin, dans un communiqué, Patricia Espinosa a "félicité" pour sa victoire Donald Trump et déclaré depuis Marrakech: "Nous avons hâte de collaborer avec son administration, afin de faire avancer l'agenda climatique pour le bénéfice des peuples du monde". Plus belliqueuse, Ségolène Royal a pour sa part signalé: "Il va falloir redoubler de combativité pour gagner la bataille contre le climat", "il va falloir être extrêmement vigilant et riposter à chaque fois que des tentatives seront faites pour affaiblir cet accord".

La transition énergétique déjà engagée aux Etats-Unis

Le rapport de forces pourrait toutefois aussi jouer contre le climato-scepticisme de Trump, estiment nombre d'experts. Tout d'abord, "même s'il semble pouvoir bénéficier du soutien du Congrès, les éventuelles politiques énergétiques du nouveau président trouveraient un frein dans les Etats fédérés démocrates, qui détiennent le pouvoir fiscal et celui de régulation", rappelle Arnaud Grossement.

En outre, "depuis la COP17 qui s'est tenue en 2011 à Durban, où les négociations de l'Accord de Paris ont commencé, les principaux acteurs de la lutte contre le réchauffement ne sont plus les Etats, mais la société civile. Or, aux Etats-Unis, la transition énergétique est déjà une réalité", estime l'avocat. Une position partagée par Mohamed Adow, responsable climat auprès de l'ONG Christian Aid, qui souligne:

"L'économie de l'énergie est déjà en train de changer rapidement, l'éolien et le solaire sont en passe de devenir les formes les moins chères d'énergie et les prix décroissants des technologies continuent de nous montrer le sens de marche. Les avantages sont déjà reconnus par nombre d'Etats américains qui exploitent leur abondantes réserves d'énergies propres. Cela est aussi populaire dans l'opinion publique américaine. Une étude récente du Pew Research Centre a montré que 83% des Américains sont favorables à l'expansion des parcs éoliens, alors que 89% d'entre eux soutiennent l'extension du solaire".

Un enjeu de compétition économique

L'ancien directeur général du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), Achim Steiner, souligne aussi la nécessité d'une "évaluation pragmatique" de la nouvelle situation:

"Malgré des changements de court terme dans l'attitude et les politiques des Etats-Unis, l'économie mondiale a déjà commencé à se réorienter vers un avenir peu carboné. Les marchés et l'économie tempèreront probablement tout futur basculement des politiques américaines, puisque les entreprises et les investisseurs américains mesurent ce qui maintiendra la compétitivité et l'activité de l'économie américaine dans un marché global".

La transition énergétique est en effet désormais aussi un enjeu de compétition économique, insiste l'expert:

"Certains des principaux partenaires commerciaux et concurrents (des Etats-Unis, NDLR) investissent déjà lourdement dans les technologies et les infrastructures peu carbonées. Ajoutez à cela le nombre croissant de sociétés américaines qui emploient déjà des millions de personnes dans les secteurs à bas carbone et vous pouvez vous attendre à une forte demande intérieure qui influencera les signaux politiques qui seront envoyés par l'administration entrante à Washington".

La Chine, nouveau leader?

"Le président élu Trump a l'opportunité d'encourager de nouvelles mesures sur le climat en envoyant un signal clair aux investisseurs afin qu'ils poursuivent la transition vers une économie alimentée par les renouvelables. La Chine, l'Inde et d'autres concurrents économiques sont engagés dans une course pour devenir la superpuissance mondiale des énergies propres, et les Etats-Unis ne doivent pas être à la traîne", observe également la directrice des politiques du réseau d'ONG US Climate Action Network, Tina Johnson. La riposte de la Chine aux déclarations climato-sceptiques de Trump est en ce sens interprétée par nombre d'expert comme le signe que Pékin profitera du nouveau contexte pour s'imposer en tant que leader de la transition énergétique. Évoquant l'hypothèse d'une renégociation de l'Accord de Paris souhaitée par Trump, le négociateur chinois Xie Zhenhua a en effet mis en garde début novembre: si les dirigeants américains "résistent à cette tendance, je ne pense pas qu'ils auront le soutien de leur population et leurs progrès économiques et sociaux en seront affectés".

Le jour même de l'élection de Trump, ceux qui croient à l'impossibilité de renverser le mouvement ont d'ailleurs pu faire valoir une bonne nouvelle: la publication par le Royaume-Uni de son plan de sortie totale du charbon d'ici à 2025. Laurence Taubiana, ambassadrice française dans les négociations climatiques internationales, n'a pas manqué de souligner:

"La sortie du charbon du Royaume-Uni doit être saluée comme un signal clair du leadership climatique international. Le pays qui a amené au monde la révolution industrielle fait encore l'histoire en embrassant l'opportunité d'un futur peu carboné. Comme le soutien sans précédent à l'Accord de Paris le montre, l'action pour répondre au changement climatique est aussi mondiale qu'impossible à arrêter."

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