Les startups, cette brique indispensable de la transition des grands énergéticiens

Engie et EDF misent sur la collaboration avec les start-up pour se transformer en fournisseurs de décarbonation pour le bâtiment, l’industrie et la mobilité. Les deux groupes ont créé des fonds dédiés et investissent chaque année quelques dizaines de millions d’euros dans des jeunes pousses à l’origine de ruptures technologiques. Leur nouvelle obsession ? L’hydrogène vert, les biogaz et les systèmes de capture et de stockage de CO2.
Juliette Raynal
(Crédits : Stephane Mahe)

Tous les experts s'accordent sur le même point : à technologies constantes, nous ne parviendrons pas à la neutralité carbone en 2050, indispensable pour contenir le réchauffement climatique. Dans son dernier rapport, publié fin mai, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a tiré la sonnette d'alarme : il faut pousser beaucoup plus loin l'innovation et accélérer le déploiement des technologies de rupture, comme les batteries de nouvelles générations, l'hydrogène vert ou encore les systèmes de captage et de stockage de CO2.

"L'AIE rappelle que la moitié des technologies bas carbone nécessaires pour atteindre la neutralité carbone sont à développer. L'innovation est un enjeu majeur", souligne ainsi Julien Villeret, directeur de l'innovation chez EDF, que nous avons rencontré en marge du salon VivaTech.

Cette innovation doit notamment permettre d'électrifier l'industrie, la mobilité et les bâtiments. Selon les calculs de l'agence, les investissements annuels dans les énergies propres doivent être portés à environ 4.000 milliards de dollars d'ici à 2030, soit une multiplication par trois, pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Dans cet effort, les grands énergéticiens ont bien évidemment un rôle clé à jouer. Et pour relever ce défi, ils tablent, entre autres, sur une collaboration étroite avec les startups. Collaboration qu'Engie et EDF s'attachent justement à mettre en avant à l'occasion du salon VivaTech.

Une vingtaine d'investissements

Comme la très grande majorité du CAC 40, les deux groupes tricolores se sont lancés il y a quelques années dans le corporate venture. Dès 2014, Engie crée ainsi le fonds Engie New Ventures, doté d'une enveloppe de 180 millions d'euros, tandis qu'EDF lance, en 2017, EDF Pulse Croissance, doté d'un budget annuel de 60 millions d'euros. "Depuis notre création, nous avons investi 250 millions d'euros dans 23 startups", précise Michel Vanhaesbroucke, le directeur d'EDF Pulse Croissance. De son côté, Engie New Ventures a réalisé 27 investissements pour lesquels il a alloué 170 millions d'euros.

"Nous prenons des participations minoritaires de l'ordre de 15% dans des startups ayant développé des technologies de rupture et disposant d'un fort potentiel de croissance. Nos investissements doivent coller à la stratégie du groupe, qui a évolué. Nous nous sommes ainsi refocalisés sur certains métiers, dont les énergies renouvelables, l'infrastructure et les services à l'énergie", détaille Johann Boukhors, directeur d'Engie New Ventures.

Le fonds de corporate venture cible les startups ayant déjà une preuve de concept, mais qui n'est pas encore commercialisée pour pouvoir "avoir une influence sur le produit ou le service", précise Johann Boukhors.

Participations minoritaires

Parmi ses investissements phares, on peut citer la start-up israélienne Homebiogas. Celle-ci permet aux foyers de créer leur propre biogaz à partir de leurs déchets alimentaires. La jeune pousse vise notamment les pays émergents, où de nombreuses familles utilisent encore du bois de chauffage et du charbon, et vient d'entrer en Bourse. Aux Etats-Unis, Engie a également investi dans l'entreprise Redaptive, spécialisée dans l'efficacité énergétique des bâtiments commerciaux et industriels. Basée à San Francisco, elle a récemment levé 150 millions de dollars.

Autre exemple avec la startup allemande Heliatek, qui développe des films photovoltaïques, déployés cette année à Roland Garros. "Nous avons investi en 2016 et l'entreprise dispose maintenant de sa propre usine de fabrication", se félicite Johann Boukhors. Côté mobilité, le fonds a investi dans la jeune pousse taïwanaise Gogoro, qui propose des stations de batteries interchangeables pour les scooters électriques. La collaboration a été plus difficile à mettre en œuvre, mais un déploiement en région parisienne est prévu d'ici la fin de l'année.

EDF aussi privilégie les prises de participation minoritaires (entre 15 et 25%) avec pour objectif d'avoir systématiquement un siège au conseil d'administration afin de pouvoir peser dans les décisions. Les tickets moyens oscillent entre 2 et 5 millions d'euros pour les premiers tours de table.

Un dossier sur 100

Sur 500 dossiers étudiés chaque année, EDF Pulse croissance n'en retient que cinq environ, soit une sélectivité de 1 sur 100.

"La transition énergétique est extrêmement vaste. Nous sommes obligés de nous disperser, mais il faut se disperser efficacement. Le fonds de corporate venture est un bon outil pour réaliser cette veille et allouer efficacement notre capital", explique Michel Vanhaesbroucke.

Dernièrement, l'électricien a investi dans la startup PowerUp. Issue du CEA-Liten, elle a développé des algorithmes capables de doubler la durée de vie des batteries lithium-ion. Une prouesse précieuse pour EDF, qui a lancé un vaste plan dédié au stockage des énergies renouvelables. Le fonds a aussi misé sur la start-up californienne Nuvve, dont la technologie, dite de "Vehicle to Grid" ou V2G, permet à une voiture de déstocker sa batterie sur le réseau. Ensemble, ils ont créé la joint venture Dreev.

Outre les investissements en direct, EDF Pulse croissance investit également dans d'autres fonds pour pouvoir élargir son activité de vigie. La structure a ainsi injecté quelque 70 millions d'euros dans une vingtaine de fonds différents depuis sa création.

"Fournisseur de décarbonation"

Sa nouvelle obsession ? Les technologies de capture et de stockage de CO2 pour permettre aux industriels, comme les cimentiers par exemple, de décarboner leur activité.

"L'objectif demain, c'est de devenir un fournisseur de décarbonation et pas uniquement d'électricité décarbonée", explique Michel Vanhaesbroucke.

EDF Pulse Croissance n'a pas encore réalisé d'investissement dans cette technologie, mais regarde de près les start-up spécialisées dans ce domaine. "C'est un sujet qui a des implications très fortes sur les plans technique, économique et politique", juge le président du fonds. Souvent encore à l'état de R&D, ces solutions restent aujourd'hui extrêmement coûteuses et nécessitent des subventions pour décoller. "Et qui voudra stocker du CO2 dans son sol?", s'interroge Michel Vanhaesbroucke.

Autre priorité pour EDF Pulse Croissance : l'hydrogène bas carbone. L'électricien est ainsi devenu le premier actionnaire (14% du capital) de l'entreprise drômoise McPhy, spécialisée dans la fabrication d'électrolyseurs et les bornes de recharge.

Créer ses propres start-up

L'hydrogène propre, c'est aussi la marotte d'Engie New Ventures. "Nous nous apprêtons à investir dans une startup américaine dans les mois à venir", nous confie Johann Boukhors. Et le fonds a déjà parié sur l'entreprise espagnole H2site. Elle est à l'origine d'un réacteur à membrane capable de produire, sur le site d'un client, de l'hydrogène à partir de biométhane et d'ammoniac. Pour grandir, la pépite peut notamment compter sur le Lab Crigen, le centre de recherche corporate d'Engie basé à Stains (Seine-Saint-Denis), et qui a fait de l'hydrogène l'une de ses grandes priorités.

Enfin, EDF Pulse Croissance ne se contente pas d'investir dans des startup externes, le fonds de corporate venture est aussi couplé à un startup studio, qui consiste à industrialiser la création de startup en interne. De ce dispositif est née Hynamics, la filiale d'EDF spécialisée dans l'hydrogène bas carbone, ou encore Exaion. Cette autre filiale fournit des services numériques autour de la blockchain, tout en limitant au maximum l'impact énergétique des calculs nécessaires.

"Notre objectif à l'avenir, c'est de créer deux à trois nouvelles startup par an", indique Michel Vanhaesbroucke.

Juliette Raynal

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Commentaires 4
à écrit le 20/06/2021 à 10:20
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J'ai construit ma maison en murs prefabriques en paille et argile. 50 cm de large. Frais l'été, chaud l'hiver, en fait temperature homogene toute l'année a 20-22 degres max. Facture d'electricite divisée par 10. Le low tech, la solution, mais pas as...

le 20/06/2021 à 17:48
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c'est transposable aux bâtiments collectifs votre technique ? Trop étaler les habitations, c'est pas terrible, ça manger de la surface cultivable, il faut construire en "petites" hauteurs avec espaces verts. Y en a qui construisent à énergie positiv...

à écrit le 18/06/2021 à 8:51
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La neutralité carbone via la technologie n'est qu'un déplacement de problème, l'innovation n'est qu'un leurre que l'on ne peut considérer comme un progrès mais comme une fuite en avant dont les rentiers seront les principaux bénéficiaires

le 18/06/2021 à 19:28
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Oui sachant qu'edf sera sans doute peu ou pas rentable renfloué pendant que engie ou énedis regarderons en attendant !! c'est la même chose dans les télécoms et bien d'autres secteurs ! le citoyen finance, l'actionnaire exploite et le rentier enca...

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