Face à l'urgence climatique, quelles technologies permettront d'atteindre la neutralité carbone en 2050 ? Difficile à dire aujourd'hui : « près de la moitié » d'entre elles ne sont même « pas encore sur le marché », selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Mais alors que, pour les faire émerger, un pas de géant en matière d'innovations dans les énergies propres est nécessaire, celles-ci ont vu leur progression ralentir dans le monde ces dix dernières années, alerte l'AIE dans une étude menée conjointement avec l'Office européen des brevets (OEB) et publiée le 27 avril.
Entre 2000 et 2013, le taux de croissance annuel des inventions en matière d'énergie propre avait pourtant atteint les 12,5% en moyenne. Mais celui-ci a été divisé par quatre entre 2017 et 2019 (3,3%), après un fléchissement entre 2014 et 2016. Le tableau n'est pas tout noir : si la hausse est faible, elle tranche avec le recul observé du nombre de brevets consacrés aux énergies fossiles sur le globe. « C'est la première fois depuis la Seconde guerre mondiale que ceux-ci baissent pendant quatre ans consécutifs », souligne Yann Ménière, chef économiste de l'OEB. Mais pour coller aux objectifs des Accords de Paris, ce ne sera pas suffisant, prévient-il : « une accélération majeure de l'activité dans les technologies sobres en carbone sera nécessaire pour compenser les années perdues ».
Maturité commerciale des renouvelables
En particulier, le brevetage relatif aux technologies de production d'énergie, dont les énergies renouvelable, connaît une réduction constante. « C'est ce qui a tiré la croissance remarquable au début des années 2000. Mais ces techniques ont atteint une maturité commerciale, et leurs prix ont chuté. Notamment pour le solaire dont les coûts ont baissé de 90% ces dix dernières années », explique Yann Ménière. Tandis que d'autres, comme les biocarburants ou l'énergie marine, attendent encore une vague d'amélioration.
Aujourd'hui, celles-ci perdent du terrain face à d'autres, plus « transversales » et « habilitantes » : « les batteries électrique, l'hydrogène, les réseaux intelligent ou encore le stockage de carbone tirent la croissance actuelle », développe l'économiste. Et cela touche tous les secteurs : « pour le photovoltaïque, les efforts de R&D ont basculé sur la mise en place de montages intelligents des panneaux, qui suivent le soleil avec des capteurs, par exemple », affirme-t-il.
Le défi de la demande en énergie
Ce glissement reflète le défi majeur de la maîtrise de la demande en énergie : « Désormais, il s'agit moins de créer des technologies de production à la marge, que de les intégrer aux réseaux et changer en profondeur les consommations », avance Yann Ménière. La part des technologies habilitantes dans les inventions en matière d'énergie décarbonée est ainsi passée de 27% en 2000 à 34% en 2019, à rebours de la baisse générale observée. Un « changement de paradigme » qui exige des investissements sur le long terme.
« Il y a un enjeu considérable d'innovation, qui présente aussi plus de risques », précise le chef économiste de l'OEB. La capture de carbone, par exemple, reste aujourd'hui très chère. Il en va de même pour la production par électrolyse d'hydrogène vert, attendu au tournant dans de nombreux secteurs comme solution pour décarboner. « A l'instar des batteries, ces techniques doivent prendre plusieurs décennies à maturer, afin d'atteindre le marché », note Yann Ménière.
Le rôle majeur de l'automobile
Et pour doper les batteries, le plus gros « contributeur » a été, sans aucun doute, le secteur automobile, premier à avoir basculé dès 2011 et principal moteur de l'innovation dans les technologies bas carbone depuis cette date. « Dès cette année, il y a eu plus de brevets ciblant l'électrique que tout ce qui tourne autour de l'économie classique pour les voitures », explique Yann Ménière. Ainsi, sur les 420.000 familles de brevets internationales déposés par des entreprises du monde entier depuis 2000, près de 100.000 viennent du transport routier.
« Cela a des effets positifs sur d'autres secteurs. Par exemple, on aura besoin de batteries dans les réseaux électriques, pour compenser leur caractère aléatoire et intermittent de la demande », fait valoir l'économiste.
En la matière, la réglementation a été déterminante : l'essor des batteries doit beaucoup aux politiques publiques en matière de normes d'émissions polluantes des véhicules, notamment dans l'Union européenne - qui a fixé un horizon couperet pour le secteur. « Cela a obligé l'industrie à innover, à s'organiser pour s'adapter », commente Yann Ménière.
L'Europe en tête, mais pas dans les domaines stratégiques
D'autant que ces technologies sont « stratégiques » pour les Etats. Depuis 2000, l'Europe occupe la première place en ce qui concerne les activités innovantes dans le domaine des énergies propres, et est à l'origine de 28% de l'ensemble des familles de brevets de 2010 à 2019. Deuxième sur le continent et sixième mondiale, la France se classe bien grâce à des instituts de recherche prestigieux et des entreprises innovantes.
Mais avec un avantage compétitif dans les secteurs d'utilisation finale comme le transport ferroviaire ou l'aviation, l'Europe se laisse devancer sur les méthodes habilitantes, structurantes pour l'avenir. « Pour ces technologies majeures, c'est le Japon et la Corée qui sont en pointe », explique Yann Ménière.
Alors, pour ne pas rater le coche, l'industrie européenne lance des programmes de grande ampleur, comme l'Alliance européenne des batteries ou le plan Hydrogène à 7 milliards d'euros. Une stratégie qui pourrait s'avérer payante, estime l'économiste. « Il est nécessaire de prendre d'urgence des décisions stratégiques éclairées, et ce alors que l'investissement dans de nouveaux domaines occupe une place centrale dans les plans de relance liés à la pandémie », fait-il valoir.
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