A seulement deux mois de l'élection présidentielle, le chef de l'Etat s'apprête-t-il à annoncer un « plan Messmer bis » pour la France ? Lancé en 1974 pour réduire la dépendance de l'Hexagone au pétrole face au quadruplement des prix de l'or noir, ce vaste programme de construction de treize réacteurs nucléaires reste considéré comme l'un des plus grands succès industriels de l'histoire du pays. Presque cinquante ans plus tard, Emmanuel Macron pourrait bien s'en inspirer, et marquer la fin de son mandat du sceau d'une relance forte de l'atome. D'autant que son ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a lui-même comparé il y a quelques jours l'explosion actuelle des cours sur le marché de l'électricité « au choc pétrolier de 1973 »... De quoi préparer le terrain à une réponse forte de la part de l'Etat, jusqu'ici peu lisible sur sa stratégie énergétique.
L'occasion semble en tout cas idéale pour l'exécutif : en déplacement à Belfort, Emmanuel Macron devra acter ce jeudi le rachat par EDF des turbines Arabelle de General Electric, qui équipent les EPR...lesquelles avaient été vendues au groupe américain par l'entreprise tricolore Alstom en 2014, après la validation d'Emmanuel Macron lui-même (à l'époque ministre de l'Economie). Le symbole est fort pour celui qui a, depuis, opéré un choix pro-nucléaire. Et laisse à penser qu'il choisira ce lieu pour préciser les contours de son programme de construction de nouveaux EPR, après avoir donné publiquement son accord de principe en novembre dernier.
Surtout, ce projet pourrait s'avérer encore plus ambitieux que prévu : alors qu'EDF, en ordre de marche depuis plusieurs mois, a remis au gouvernement un scénario de construction de six EPR, le chef de l'Etat « ira probablement encore plus loin, en lançant un programme industriel vraiment massif » confie à La Tribune une source industrielle proche du dossier. Avec une possible salve de 8 EPR supplémentaires, posée en option sur un plus long terme.
Une stratégie difficilement lisible
Et pourtant, sur ce sujet pour le moins politique, Emmanuel Macron n'a cessé de délivrer des signaux contradictoires depuis son arrivée au pouvoir. Avec la cession des activités énergétiques d'Alstom à GE, d'abord, même si l'Elysée appelle aujourd'hui à « recontextualiser » la période « difficile » que traversait Alstom. Ou encore en 2017, lorsque, candidat, il s'engageait à réduire le nucléaire à 50% seulement de la production d'électricité dans les huit ans - condition imposée par Nicolas Hulot, un temps ministre de la Transition écologique, pour rejoindre le gouvernement. C'est d'ailleurs l'ex-EELV Barbara Pompili qui a repris le flambeau, laquelle se réjouissait, lorsqu'elle était députée, de l'arrêt prévu de 15 à 20 réacteurs d'ici à 2025. Dans cette droite ligne, Emmanuel Macron a ainsi entériné en 2018 la fermeture de la centrale de Fessenheim, pourtant encore opérationnelle. Puis repoussé la décision de construire ou non de nouveaux EPR à la mise en service de celui de Flamanville, soit au quinquennat suivant.
Il n'empêche qu'« en même temps », le chef de l'Etat a revu dès 2017 son engagement de campagne de limiter à 50% la part du nucléaire dans le mix électrique, en repoussant l'échéance à 2035 au lieu de 2025. Et déclaré fin 2020, lors d'une visite chez Framatome, au Creusot, que « notre avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire », aussi bien que « notre avenir industriel et stratégique ». De quoi gonfler à bloc les acteurs de la filière, qui attendaient de pied ferme une déclaration forte.
La reconnaissance du nucléaire civil
Mais ce n'est qu'au second semestre 2021 qu'un véritable virage s'opère. De cette stratégie difficilement lisible, Emmanuel Macron change de braquet, et se tourne plus clairement vers l'atome. Posant les bases, brique après brique, d'une relance à venir de cette source d'énergie bas carbone. La première : l'enveloppe d'un milliard d'euros qu'il alloue aux petits réacteurs modulaires (SMR), annoncée en grande pompe début octobre, lors de la présentation de son plan d'investissement « France 2030 ». Surtout, à la fin de ce même mois, le président de la République ne manque pas de s'appuyer sur les scénarios « Futurs Energétiques 2050 » publiés par le gestionnaire de réseau RTE, qui conclut que la trajectoire vers la neutralité carbone la moins coûteuse et la moins risquée serait celle d'une construction de nouvelles installations nucléaires, aux côtés des énergies renouvelables.
Le train est lancé : quelques jours plus tard, lors d'une allocution télévisée aux airs de campagne électorale, le président de la République acte son choix en faveur de l'atome, affirmant vouloir « relancer la construction de réacteurs dans [le] pays ». Et pousse, par voie épistolaire, pour l'inclusion de cette activité dans la taxonomie de l'Union européenne, dont le but est de classer les filières bénéfiques pour le climat afin d'aiguiller les investisseurs. Une opération fructueuse, puisque la Commission européenne a récemment proposé d'intégrer l'atome dans la précieuse liste.
Mardi, Barbara Pompili a elle-même critiqué les attaques des écologistes sur le sujet, et défendu sur FranceInfo que l'inclusion de l'atome voulait « juste dire que c'est une énergie décarbonée ». Un argument d'ailleurs martelé par l'exécutif, puisque l'Hexagone a inscrit dès 2019 dans la loi son objectif d'atteindre la neutralité climatique d'ici à 2050. Autre justification brandie par le gouvernement : le besoin d' « indépendance énergétique de la France », qui devra se montrer capable d'assurer son « approvisionnement électrique », avait fait valoir Emmanuel Macron en novembre. D'autant plus dans un contexte d'explosion des prix du gaz, qui entraînent avec eux ceux de l'électricité, et de menaces russes sur l'approvisionnement de l'Union européenne en ce combustible fossile, du fait de l'escalade des tensions avec l'Ukraine.
Une filière en difficulté
Dernier chapitre en date de ce revirement, l'achat de la partie nucléaire de l'Américain GE par EDF, dont l'Etat est actionnaire à plus de 80%, devrait permettre de ramener ces précieuses activités dans le giron de la France.
Mais derrière l'image forte que montrera le Président à Belfort, le dossier s'avère en réalité loin d'être bouclé, comme le révélait hier La Tribune, tandis que la filière du nucléaire apparaît plus que jamais affaiblie. Et pour cause, les fameux EPR, un temps considérés comme un fleuron industriel franco-allemand, accumulent les déboires. A Taishan (Chine), d'abord, où un incident avait conduit en juillet à l'arrêt d'un de ces réacteurs, du fait d'un phénomène d'usure mécanique de certains composants d'assemblages. Même si l'événement « ne remet pas en cause le modèle EPR », assure EDF, il continue, pour sûr, d'écorner son image. Celle-ci se trouvant déjà mise à mal par les contretemps du chantier de l'EPR de Flamanville (Manche), le seul en construction en France, qui essuie déjà plus de dix ans de retard.
D'autant que le timing tombe mal : en janvier, l'explosion des prix de l'énergie a poussé le gouvernement à augmenter le quota d'électricité qu'EDF devra vendre en 2022 à prix cassé à ses concurrents. Une décision lourde de conséquences pour l'opérateur historique, puisqu'elle devrait peser près de 8 milliards sur les résultats nets du groupe, déjà fragilisé ces dernières années.
Surtout, la disponibilité des réacteurs nucléaires atteint actuellement un niveau historiquement bas. Et pour cause, EDF a récemment identifié un défaut de corrosion dans plusieurs de ses installations, aux causes toujours inconnues. Laissant planer le doute sur une anomalie générique touchant l'ensemble de son parc, dont la France dépend à 70% pour produire son électricité. Résultat : l'événement a poussé le fournisseur à fermer plusieurs installations pour contrôles...et à revoir l'estimation de production nucléaire pour 2022 à 295-315 TWh seulement, contre 330 à 360 TWh initialement.
Alors que les investigations se poursuivent, le diagnostic pourrait même encore s'assombrir. Et donner du grain à moudre à la fois aux détracteurs et aux partisans du nucléaire. Les premiers y voyant un signe de l'« intermittence » de cette source d'énergie, les autres, la preuve de la nécessité d'investir dans ces nouveaux moyens de production pilotables, plus que jamais nécessaires pour garantir la sécurité d'approvisionnement du pays et se défaire des combustibles fossiles.
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