Avis aux importateurs ! L'UE prépare une taxe carbone aux frontières pour protéger le climat... et ses industries

Par Jérôme Cristiani  |   |  960  mots
(Crédits : YVES HERMAN)
Acier, aluminium, engrais, ciment... une série de produits fabriqués à l'étranger dans des pays peu regardants sur les normes environnementales pourraient se voir prochainement taxés à l'entrée sur le territoire de l'Union européenne. Ce projet de la Commission doit être présenté le 14 juillet et prévoit une mise en place progressive dès 2023, puis une application intégrale à partir de 2026. Derrière les aspects vertueux affichés, certains estiment qu'il s'agit d'une "bombe économique".

La Commission européenne songe à appliquer une taxe carbone aux frontières de l'Union européenne visant à renchérir les importations d'un certain nombre de produits comme l'acier, l'aluminium, le ciment, l'électricité, etc., selon l'agence Bloomberg.  Un projet qui doit être présenté le 14 juillet prochain.

On verrait alors se dessiner un monde d'après pandémie où des solutions imaginées dans le "monde d'avant" seraient enfin appliquées. Depuis longtemps, en effet, l'Europe vit un hiatus que les consommateurs, leurs associations de défense, mais aussi les industriels ne cessent de pointer du doigt : à quoi sert de faire des efforts de réduction de notre empreinte carbone si l'offre de biens de consommation ne prend pas en compte la pollution importée.

Un problème à enjeu multiple: climatique, industriel, social, sanitaire...

C'est un problème à enjeu multiple, avec notamment un volet climatique, certes, mais également un volet compétitivité et concurrence. Car nos industries, encadrées par des normes environnementales de plus en plus sévères, fabriquent des produits plus chers que ceux issus de pays où des normes environnementales sont moins-disantes, voire inexistantes. Sans oublier des conséquences sur l'emploi dans l'UE, et sur la santé publique dans les pays qui ne sont pas encouragés à améliorer leurs normes environnementales et sanitaires.

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Pour mémoire, alors que la France ne cesse de diminuer son empreinte carbone depuis les années 1990, le rapport du publié en octobre 2020 par le Haut Conseil pour le Climat révélait que les émissions de pollution importée étaient en hausse de 53% en France...

Les recommandations du Haut Conseil pour le Climat

Pollution importée, qu'est-ce à dire ? Cela concerne toutes sortes de biens de consommation comme les téléphones mobiles ou les réfrigérateurs, essentiellement fabriqués en Asie: d'une part, ils sont fabriqués avec des normes environnementales au rabais ou inexistantes, mais en plus, ils arrivent sur le sol européen par avion ou cargo, ce qui vient encore alourdir le bilan carbone de ces produits.

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Et c'est justement ce Haut Conseil pour le Climat, instance consultative française indépendante placée auprès du Premier ministre, qui à la suite de son rapport d'octobre dernier, recommandait d'instaurer une taxe aux frontières de l'UE pour ces produits fabriqués dans des pays peu scrupuleux en matière de normes environnementales.

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Mais l'objectif de l'exécutif européen n'est pas seulement climatique, il est aussi de préserver la compétitivité des entreprises de l'UE face à leurs concurrentes installées (y compris par délocalisation...) dans des pays aux normes environnementales moins regardantes.

Les importateurs devront acheter des certificats numériques

Bloomberg précise, selon une version provisoire du texte qu'elle a pu consulter, que la taxe carbone aux frontières de l'Union européenne, projet qui doit être présenté le 14 juillet, serait mis en place progressivement dès 2023, puis intégralement appliquée à partir de 2026. Les principaux produits concernés seraient l'acier, le ciment, les engrais, l'aluminium et l'électricité. Et ceux qui importent ces produits devront acheter des certificats numériques représentant chacun une tonne d'émissions de dioxyde de carboneLe prix des certificats sera indexé au coût des permis sur le marché du carbone européen et au prix moyen des enchères de chaque semaine.

Et de fait, depuis le 21 avril, et l'adoption par les eurodéputés d'un nouvel objectif climatique ambitieux, les prix du carbone ont bondi, atteignant un niveau inédit de 47 euros la tonne (soit plus du double de son prix d'avril 2020 à 19 euros), ce qui a profondément redonné confiance en l'efficacité du système des échanges de quotas d'émissions européen, un marché créé en 2005 pour inciter les producteurs à se détourner des énergies fossiles, en rendant leur utilisation plus chère.

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Et pour les produits issus de pays étrangers qui fabriquent ces produits avec des normes environnementales similaires à celles de l'UE ? En bonne logique, l'exécutif européen a laissé entendre qu'ils pourraient être exemptés de cette taxe. Mais rien ne semble simple.

"Bombe économique"?

Selon certains analystes, cette initiative, derrière ses aspects vertueux, pourrait avoir des répercussions importantes, au point que l'éditorialiste économique au "Monde", Philippe Escande, évoque une possible "bombe économique". Et même une bombe à têtes multiples car, s'interrogeant sur le périmètre de cette taxe carbone, il estime qu'il faudra l'étendre à des "secteurs sensibles comme les transports et le bâtiment" et que, par conséquence, cette taxe devra concerner "aussi bien les produits importés, que ceux fabriqués à l'intérieur de l'UE", ce qui l'amène à penser que les voitures fabriquées en France ou en Allemagne seront elles aussi soumises à ce périmètre:

"La fabrication de voitures en France ou en Allemagne sera désormais, elle aussi, assujettie à ce système de quotas. On ne peut pas taxer des voitures chinoises au nom de l'environnement si nos industriels y réchappent. Cela va non seulement alourdir la facture pour les industriels, mais aussi pour les consommateurs. Un facteur d'inflation supplémentaire."

De même, évoquant d'autres niveaux de complexité, l'éditorialiste du Monde, explique qu'on pourrait dès lors voir le pétrole importé de Russie coûter plus cher parce que beaucoup plus polluant à extraire que le pétrole saoudien. (On pense aussi au cas des hydrocarbures de schiste extraits aux États-Unis.)

(avec Reuters, Bloomberg, AFP)