Vers un nouveau marché européen du carbone pour augmenter le prix du CO2

Après avoir connu de nombreux déboires, du fait d’un surplus d’autorisations à émettre et de prix du carbone trop bas, le système européen d’échange de quotas CO2 va subir des ajustements, afin de coller à la nouvelle trajectoire climatique adoptée par l’Union.
Marine Godelier
Aujourd’hui, plus de 12.000 installations industrielles sont concernées par le marché du carbone en Europe, totalisant plus de 50% des émissions de CO2 sur le continent.
Aujourd’hui, plus de 12.000 installations industrielles sont concernées par le marché du carbone en Europe, totalisant plus de 50% des émissions de CO2 sur le continent. (Crédits : Gonzalo Fuentes)

Mercredi 21 avril, les eurodéputés adoptaient un nouvel objectif climatique ambitieux : la réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030 par rapport au niveau de 1990. Dès le lendemain, les prix du carbone bondissaient, atteignant un niveau inédit de 47 euros la tonne. De quoi redonner confiance en l'efficacité du système des échanges de quotas d'émissions européen, un marché créé en 2005 pour inciter les producteurs à se détourner des énergies fossiles, en rendant leur utilisation plus chère. Concrètement, en dessous d'un plafond d'émissions totales - à ne pas dépasser sous peine de sanctions -, les industriels disposent d'un nombre défini de droits à émettre, qu'ils peuvent échanger entre eux selon un certain prix.

Mais en l'état, ce mécanisme ne pourra pas à permettre à l'UE d'atteindre la nouvelle cible qu'elle s'est fixée. Pour cause, en 2020, l'offre de quotas d'émissions était une nouvelle fois supérieure à la demande - un mal chronique depuis sa mise en place. « Des changements sont nécessaires [...] afin de le rendre adapté à l'objectif », avait ainsi déclaré Domien Vangenechten, contributeur du rapport 2021 sur l'état du marché carbone européen, lors de la présentation de celui-ci le 15 avril dernier. Pour ce faire, le Parlement avait approuvé sa réforme en 2018. Mais ses contours sont encore en discussion.

Des débuts laborieux

Aujourd'hui, ce système permet déjà de baisser les émissions totales : depuis 2012, il impose un plafond d'émission dégressif, de -1,74% par an, aux 12.000 sites industriels concernés sur le continent - parmi lesquels EDF, Total ou encore ArcelorMittal. Et depuis sa création, il a bien permis de réduire les émissions, de 42,2% en tout. Mais son histoire a été marquée par de nombreuses déconvenues : depuis 2008, les quotas se sont accumulés, rendant le plafond annuel obsolète : beaucoup de droits à émettre ont été inutilisés, et sont « restés en circulation » les années suivantes, explique Emilie Alberola, directrice recherche et innovation chez EcoAct, qui a participé à l'élaboration du rapport 2021. « Nous sommes rapidement arrivés à une situation de surplus, avec plus de 2 milliards de quotas disponibles. Cela déséquilibrait totalement l'offre et la demande, entraînant une baisse du prix carbone », souligne-t-elle.

Jusqu'à passer sous la barre critique des 5 euros la tonne en 2013. Dans ce contexte, il était devenu plus avantageux financièrement pour les entreprises d'acheter des quotas supplémentaires, en sur offre sur le marché, plutôt que d'engager des actions pour réduire leurs émissions.

Lire aussi : Les prix du carbone sont encore trop bon marché pour changer de paradigme, selon l'OCDE

Alors, dès 2019, l'UE a mis en place un mécanisme pour réduire cet excédent : la réserve de marché financière. « Chaque année, elle ponctionne le volume de quotas qui devrait être mis aux enchères, si celui-ci est supérieur à 800 millions par an, afin d'absorber le surplus », précise Emilie Alberola. Près de 387 millions de quotas carbone ont ainsi été retirés de la circulation, soit 24% du total de l'époque.

Baisse plus forte du plafond d'émissions

Mais face à l'urgence, cela ne suffira pas. « Nous devons réviser les ambitions, de manière à réintroduire de la rareté. Cela permettra d'avoir un signal prix carbone incitatif pour l'industrie et les secteurs électrique et énergétique », fait valoir Emilie Alberola. Ainsi, la baisse linéaire de 1,74% chaque année sera accélérée, avec une réduction du plafond d'émissions de 2,2%. « Il est possible que ça aille plus loin. On attend les propositions de la Commission, en juin prochain, pour savoir jusqu'où on va pousser. Plusieurs scénarios sont étudiés, dont l'un qui va jusqu'à un facteur de réduction de plus de 6% par an ! », note la directrice recherche et innovation d'EcoAct.

Pour optimiser le mécanisme, une réforme de la réserve de stabilité de marché est également prévue. Le taux auquel elle pourra absorber les excédents de quotas disponibles sur le marché devrait ainsi doubler. Et la baisse des volumes pourrait aller de paire avec la diminution de quotas gratuitement distribués aux entreprises, qui représentent encore aujourd'hui plus de 40% des quotas disponibles. En effet, certaines installations en bénéficient pour ne pas fragiliser leur compétitivité, et éviter la fuite de carbone - c'est-à-dire la délocalisation d'activités polluantes vers des pays à la réglementation climatique plus souple.

L'allocation de quotas gratuits devrait ainsi être progressivement supprimée pour les secteurs « les moins concernés » après 2026, passant d'un maximum de 30 % à zéro à la fin de 2030. Pour l'heure, la mesure est toujours en cours de discussion à Bruxelles, de même que celle sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), qui, en s'attaquant aux fuites carbone, devrait permettre de revoir le système de gratuité des droits d'émissions.

Lire aussi : La France veut mettre fin aux « fuites » carbone

Éviter le chevauchement des outils

Autant de changements qui devraient permettre au marché carbone de s'attaquer enfin à l'industrie, sur laquelle il a jusqu'ici eu très peu d'incidence du fait d'un prix encore trop faible. Selon la Haute commission sur le prix du carbone, ce dernier devrait atteindre au moins 50 à 100 dollars la tonne d'ici à 2030 pour réduire de manière rentable les émissions conformément aux objectifs de température des Accord de Paris adoptés en 2015.

« Quand le prix du carbone se situe entre 20 et 40 euros, il permet une bonne incitation économique pour passer du charbon au gaz, donc pour décarboner l'électricité. Mais si l'on veut cibler l'industrie, il faut un prix carbone bien plus élevé, bien au-delà de 40 euros la tonne. On se rend compte que le prix carbone ne va pas transformer le besoin de sillon incitatif, et qu'il demandera des outils complémentaires, malgré la réforme », explique Emilie Alberola.

Ainsi en est-il des subventions aux énergies renouvelables, qui devraient fortement augmenter d'ici à 2030. Mais les objectifs ambitieux en la matière pourraient bien se heurter au mécanisme de marché carbone, alertent des consultants de l'ICIS, après avoir modélisé plusieurs scénarios de mix énergétique futur. « Une plus grande part d'énergies renouvelables ferait baisser le prix du carbone, car des acteurs s'en détourneraient. Ce qui entraînerait un rôle plus important du charbon et du lignite, au détriment du passage au gaz », explique Matthew Jones, analyste de marché à l'ICIS. « Nous avons observé ce phénomène dès 2008, abonde Emilie Alberola. Pour l'éviter, la Commission a travaillé à une meilleure transparence, afin de connaître les politiques prévues par chaque Etat en matière d'énergies renouvelables. Cela va dans le bon sens », assure-t-elle. Reste à savoir les conséquences sur le signal prix du marché du carbone, et l'influence des futurs ajustements sur cet outil souvent décrié.

Marine Godelier

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 16
à écrit le 28/04/2021 à 9:20
Signaler
On n’a pas fini de parler de « carrousel » car derrière ce terme engageant se cache une des plus grosses arnaque internationale à la TVA de cette décennie, inodore (CO2) pour le contribuable mais pas pour l’Etat.

à écrit le 27/04/2021 à 23:34
Signaler
L'arnaque du CO2 , plusieurs milliards d'euro détournés et quelques assassinats plus tard ... très vite passée sous silence par les médias , j'adore... Moi, qui était profondément européen , je crois maintenant qu'il faut sortir au plus vite de la b...

à écrit le 27/04/2021 à 21:22
Signaler
Il me semble que sur Mars, ils ont réussi à faire de l'oxygène avec du Co². Comment se fait-il que nous ne puissions faire la même chose sur notre planète ?

à écrit le 27/04/2021 à 18:17
Signaler
La taxe carbone existe depuis longtemps, c'est le TIPP. Alors pourquoi vouloir en créer un autre.

à écrit le 27/04/2021 à 14:23
Signaler
Tant que les biens importés ne sont pas soumis à cette taxe, il s'agit d'un suicide industriel et économique. Suicide qui aggrave les émissions puisque nos industries peuvent être délocalisées dans des pays moins regardants (merci Macron pour le libr...

à écrit le 27/04/2021 à 13:48
Signaler
Cette histoire du "prix du CO2", me laisse dubitatif. Autoriser les gens à polluer en payant est un drôle de principe. A quand le prix de l'huile de vidange ? Pour un certain forfait, tu a le droit de déverser ton huile de vidange dans la nature. De ...

le 27/04/2021 à 18:00
Signaler
Quand on vit dans un pays et un monde capitaliste, vous devriez savoir que les taxes servent aussi à orienter le choix du consommateur par le prix sans supprimer sa liberté. Dans les régimes à économie dirigée, c'est tout simple, on diminue la consom...

à écrit le 27/04/2021 à 12:27
Signaler
L'Europe va encore se tirer une balle dans les pieds et accélérer son sous-développement, au profit de la Chine et autres pays qui se fichent du bilan carbone

à écrit le 27/04/2021 à 11:52
Signaler
Il n'y a pas déjà eu un scandale boursier, fiscal, etc... avec le marché du carbone, il y a quelques années (Cf. Carbone d'Olivier Marchal) ? Donc, ça ne suffit pas, ils recommencent les mêmes erreurs, et le même discours cynique.

le 27/04/2021 à 18:13
Signaler
Voilà un raisonnement pour le moins fragile sinon abracadabrantesque. Je ne vois pas comment un scandale due à la malversation dans le processus du marché du carbone peut justifier l'abandon de la taxe carbone. Alors supprimons les impôts car des fra...

le 28/04/2021 à 5:28
Signaler
D'accord. Alors, pouvez m'expliquer comment la spéculation boursière va concrètement, physiquement parlant réduire le taux de CO2 dans l'atmosphère ?

à écrit le 27/04/2021 à 10:45
Signaler
Plutôt que de laisser faire nos politiciens européens corrompus, faibles et incompétents il vaudrait mieux attendre de voir ce que prévoit Biden. Cette vanité ne reposant sur rien de nos dirigeants étant particulièrement dévastatrice à chaque fois. M...

à écrit le 27/04/2021 à 10:08
Signaler
Toute les occasions sont bonnes pour construire une rente mettant de connivence le monde politique et financier!

à écrit le 27/04/2021 à 9:53
Signaler
"Dès le lendemain, les prix du carbone bondissaient, atteignant un niveau inédit de 47 euros la tonne" c'est énorme, la TICGN sur le gaz domestique (taxe carbone ) est vers 40€ HT/tonne et devait monter par paliers à 150€ HT en France, hausse figée s...

à écrit le 27/04/2021 à 9:42
Signaler
Une solution qui exigerait une UE forte (ce n'est pas le cas) serait de frapper une taxe carbone sur chaque produit interne ou importé. Par exemple certaine belle bagnoles électriques construites avec une électricité à base de lignite aujourd'hui et ...

à écrit le 27/04/2021 à 9:06
Signaler
Constat, sans le nucléaire on n'y arrivera pas.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.