Macron veut frapper fort contre l'agriculture étrangère low-cost

Face à la crainte des agriculteurs de voir reculer la souveraineté alimentaire française, l'exécutif compte agir pour permettre l'instauration de « clauses miroirs » dans les relations commerciales, afin que les normes des produits agricoles importés soient conformes aux standards européens. Mais alors que le projet d'accord de libre-échange de l’Union européenne avec le Mercosur est toujours en discussion, et sans obligation légale d’étiquetage de la provenance des produits, la bataille est loin d’être remportée.
Marine Godelier
En vingt ans seulement, les surfaces en verger ont baissé de près de 40%.

« Déléguer notre alimentation serait une faute », déclarait Emmanuel Macron en mars dernier, appelant à reconsidérer la souveraineté alimentaire de la France, après que la crise sanitaire a dévoilé des fragilités du système. Deux mois plus tard, à l'occasion d'un débat organisé le 18 mai sur le sujet, le chef de l'Etat a maintenu sa position, et promis de la « fermeté » en la matière.

Alors que fruits, légumes ou volailles tricolores ne cessent de perdre du terrain face à la concurrence des produits étrangers les moins chers, l'exécutif s'est ainsi montré prêt à agir pour permettre l'instauration de « clauses miroirs » dans les accords commerciaux de libre-échange. En ouverture du rendez-vous, le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, a indiqué que la France pourrait profiter de sa présidence de l'Union européenne, au premier semestre 2022, pour avancer sur ce dossier.

L'objectif : que les normes des produits importés dans l'Hexagone soient conformes aux contraintes européennes - qui ont elles-mêmes vocation à s'étendre avec la stratégie « Farm to Fork » de la Commission, et son ambition de baisser de 46% des émissions de gaz à effet de serre de l'agriculture d'ici à 2050.

Lire aussi "La relance devra tirer l'agriculture française vers le haut" (Arnaud Gauffier, WWF France)

« On ne peut pas demander des efforts à nos agriculteurs tout en important depuis des régions qui n'en font pas [...] Notre intérêt, c'est l'ouverture parce que nous produisons pour nous nourrir, nourrir nos voisins, notre proximité, mais aussi pour exporter. Simplement, non à la concurrence déloyale », a souligné le Président de la République. « La Commission a longtemps considéré le libre-échange bon par principe, en opposition au protectionnisme [...] mais on travaille chaque jour pour trouver le chemin juridique qui nous permettra de gagner cette bataille », a précisé l'eurodéputé Pascal Canfin, président de la commission Environnement.

D'abord en faisant obstacle à l'accord avec les pays du Mercosur, au sujet duquel Emmanuel Macron s'est dit « préoccupé » en ce qu'il « creuse[rait] la perte de souveraineté alimentaire ». En établissant une zone de libre-échange entre l'UE et l'Amérique du Sud, les agriculteurs de l'Hexagone craignent en effet qu'il ne les pénalise par l'importation à bas prix des produits aux standards sanitaires et environnementaux moins contraignants. « Je ne [le] ratifierai pas », a ainsi assuré le chef de l'Etat, promettant tenir « sur ce point avec force ».

60% des fruits importés

De quoi rassurer les organisations agricoles majoritaires, qui appelaient mardi à une « prise de conscience » et à un « sursaut » les décideurs politiques. « Il faut que l'Europe sache se protéger quand elle apporte des règles : si l'on fait le choix d'abandonner les œufs en cage, il ne faut pas continuer d'en importer », défendait Sébastien Windsor, président de la Chambre d'agriculture, en amont de l'événement.

Car « depuis des années, les courbes de production plongent vers le bas », a déploré la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert. « Si rien n'est fait, la France pourrait être importatrice nette en 2023 », a-t-elle alerté. A l'heure où 60% des fruits et 40% des légumes et de la viande de poulet consommés en France proviennent de l'étranger, les inquiétudes sont fortes. D'autant qu'en vingt ans seulement, les surfaces en verger ont baissé de près de 40%.

Concurrence intra-européenne

Et l'alignement des normes entre l'Union européenne et les autres Etats n'est pas le seul sujet pointé du doigt. A l'intérieur même du marché intérieur, les standards et exigences divergent, de la Pologne à la France, en passant par la République tchèque. Si bien que, si l'Hexagone reste le premier producteur agricole en son sein, sa position y est fragilisée, « doublée par l'Allemagne, les Pays-Bas et le Danemark », a regretté la patronne de la FNSEA.

« Nous avons perdu 14% de la sole (terre labourable) de culture de légumes en France, alors que l'Allemagne a augmenté la sienne de 40% et les pays-Bas de 25% sur les vingt dernières années. [...] La France impose des règles sociales - coût du travail et des charges sociales -, sanitaires, avec des normes toujours plus élevées, des interdictions pour des produits phytosanitaires, qui n'existent pas ailleurs. Du coup, on ne cultive plus chez nous et on importe des aliments traités avec le même produit », a-t-elle avancé.

Un sujet évoqué par Emmanuel Macron lui-même : « Ce qui est important, quand on se bat par exemple sur l'environnement, c'est de le faire au niveau européen pour ne pas pénaliser la ferme France face aux Espagnols, aux Italiens ou à d'autres [...] Il faut que tout le monde avance au même rythme », a-t-il déclaré. Lui-même avait souhaité aller plus vite que l'Europe dans l'interdiction du glyphosate, avant de moduler sa position en disant qu'il ne fallait pas laisser les agriculteurs sans alternative.

Rendre obligatoire l'étiquetage de l'origine

Mais un autre point fait blocage, selon les organisations majoritaires : sans affichage de l'origine des produits, difficile pour les agriculteurs français de les valoriser auprès des consommateurs. En 2016, un décret du gouvernement français rendait bien obligatoire, à titre expérimental, l'étiquetage de l'origine du lait. Mais arguant que cela est contraire au règlement européen concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires, Lactalis avait déposé un recours auprès de la Cour de justice de l'UE, et obtenu gain de cause, au motif de « l'absence de lien avéré entre les propriétés du lait et son origine ».

« On demande la réintroduction cette obligation d'étiquetage, en sautant l'étape de l'expérimentation, pour accentuer l'engagement des agriculteurs vers une agriculture plus résiliente. C'est vital, notamment dans le cas la commande publique : aujourd'hui quand une collectivité locale fait un appel d'offres, elle n'a même pas le droit de retenir dans ses critères la notion d'origine ! », a tempêté Sébastien Windsor.

Lire aussi Les tensions montent d'un cran sur les contours de la future PAC

Pas de réponse, pour l'instant, de l'eurodéputé Pascal Canfin sur le sujet, alors que chaque Etat membre de l'Union travaille en ce moment sur sa propre version de la Politique agricole commune (PAC) pour 2023-2027 et de ses éco-régimes, à présenter en juin à Bruxelles - en même temps que le cadre général européen.

Marine Godelier

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Commentaires 17
à écrit le 20/05/2021 à 19:54
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l'enfer est pave de bonnes intentions, surtout quand on rase gratis peut etre qu'il faut commencer par prendre le pb par le vrai bout, mais ca c'est une autre histoire

à écrit le 20/05/2021 à 15:35
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Le principe de l'UE c'est pas la concurrence interne afin de proposer aux gens les produits les moins chers, bon pour leur pouvoir d'achats, et inciter les acteurs en place à faire des efforts (productivité, rationalisation, etc) pour être plus compé...

le 21/05/2021 à 3:43
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Le principe de l'économie de marché c'est la concurrence interne et externe que même les entreprises américaines comme les GAFAM appliquent. Le darwinisme économique ce n'est pas de protéger les mauvaises entreprises quelque soit leur nationali...

à écrit le 20/05/2021 à 10:48
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Macron se rendrait-t-il enfin compte de l'effet dévastateur de la mondialisation sur des pans entiers de notre économie ? Une lucidité de bon aloi à un an des élections présidentielles probablement.

à écrit le 20/05/2021 à 9:57
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Rapport 528 du 28 mai 19 du sénateur Laurent Duplomb. A force d'en rajouter des couches de contraintes et de coûts, a ce train là on est déficitaire sur l'agri agro, pinard compris, en 2023. Et depuis deux ans on en a rajouté des couches.

à écrit le 20/05/2021 à 9:09
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"Face à la crainte des agriculteurs de voir reculer la souveraineté alimentaire française" Les populations qui consomment du maïs pour leur alimentation sont africaines et mexicaines à savoir pas celles qui ont le plus gros pouvoir d'achat, par c...

à écrit le 20/05/2021 à 7:17
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Il s'ingénie a ce que l'agriculture (et même toute l'économie) française soit high cost et il veut taper sur les étrangers plus efficaces . Quand aux accords, il les signera les yeux fermés. Ô Charles

à écrit le 19/05/2021 à 23:17
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Malheureusement, ce n'est pas si simple, et c'est au surplus une position de perdant! La France a un gros potentiel agricole, le premier européen, viticole aussi, et nous pouvons dès lors exporter. Ensuite, le diable se cache dans les détails: nous d...

à écrit le 19/05/2021 à 19:51
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Il est mignon Manu mais mon petit doigt me dit qu'il va en prendre une à la JOSPIN

à écrit le 19/05/2021 à 19:34
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Les volontés des politiques, on en a connu d'autres: Ségolene voulait les autoroutes gratuites le week end... Bref de la com et toujours de la com... La clause miroir n'a aucune chance, on n'arrive déjà pas à faire appliquer les lois sur le tavail ...

à écrit le 19/05/2021 à 19:14
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On pourrait commencer à éviter d'importer du soja " déforeste" et OGM du Brésil, les produits Canadiens américanises et brader nos céréales à la Chine. Tout est à l'avenant, agriculture, industrie, aucune vision ni plan à long terme. Paroles... parol...

à écrit le 19/05/2021 à 19:00
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Macron ne serait-il plus européen à l'approche des régionales?

à écrit le 19/05/2021 à 18:48
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La campagne présidentielle commence, hâtons nous d'en dire deux mots pour cajoler les habitants!

à écrit le 19/05/2021 à 18:07
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Échec de la loi Egalim, hausse de 100 € des retraites agricoles sans cesse reportée, production agricole toujours plus en concurrence, revenus misérables pour beaucoup d'agriculteurs francais. MACRON et l'agriculture, c'est deux univers incompatibl...

le 19/05/2021 à 19:06
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Bien sur les premiers propriétaires terriens de France seraient plus misérables que des locataires HLM smicards de banlieue... on se demande bien pourquoi tant d'agriculteurs ne préférent pas renoncer à leur héritage rural pour devenir salarié du pri...

à écrit le 19/05/2021 à 17:52
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Ô Charles

à écrit le 19/05/2021 à 17:29
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Ce serait bien aussi de faire une inversion de la formation des prix. Vas y Juju;, montre nous tes petits poings en parlant.

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