A quelques mois de la Cop 26 de Glasgow, les ministères de l'Economie, des Affaires étrangères et de la Transition écologique se sont réunis mardi 23 mars lors d'une conférence internationale, pour défendre un mécanisme d'ajustement carbone au frontière (MACF). Le but : clarifier le débat et préparer les esprits, avant une décision de l'Union européenne en juin.
Proposé depuis quinze ans par la France, le dispositif pourrait entrer en vigueur dès 2023. Il vise à éviter des « fuites » de carbone, c'est-à-dire une augmentation des émissions mondiales de gaz à effet de serre qui résulterait de la délocalisation d'activités de production dans d'autres régions du monde où la réglementation environnementale est plus souple. Le MACF prévoit notamment d'imposer au ciment et à l'acier importé le même « prix carbone » que celui payé aujourd'hui par les cimentiers et sidérurgistes européens, de manière à protéger ces derniers contre une concurrence de pays moins regardants sur le climat.
« Pour être efficaces, les engagements que nous prenons ne doivent pas amener à une délocalisation de la production. (...) Cela voudrait dire que tous nos efforts sont vains », a ainsi déclaré le ministre de l'Economie, Bruno le Maire.
D'autant que l'ampleur du phénomène s'avère « préoccupante », s'alarme l'ex-président du Conseil européen Paolo Gentiloni. Selon les secteurs concernés, les fuites de carbone peuvent atteindre un taux de 5 à 30%. Autrement dit, pour 10 tonnes d'émissions évitées dans un pays qui impose des mesures environnementales, les émissions dans le reste du monde augmentent de 0,5 à 3 tonnes. Et si l'Union européenne a rehaussé son ambition et vise une réduction de 55% de ses émissions par rapport à leur niveau de 1990, ce n'est pas le cas de toutes les régions. « Cela crée des divergences, qui font peser un risque accru de fuites de carbone, pouvant nuire à l'efficacité de notre politique climatique », résume-t-on au ministère de la Transition écologique.
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En phase avec les règles de l'OMC
Mais le dispositif, susceptible d'être perçu comme une barrière douanière, suscite l'inquiétude de la communauté internationale. « Il ne s'agit pas de renoncer à l'ouverture ou aux échanges », a rapidement rassuré le ministère des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian. « Nous voulons poser un dialogue pacifié sur lequel le mécanisme pourra s'installer sans guerre commerciale », abonde-t-on à son cabinet. Les ministres ont ainsi rappelé leur attachement aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qu'il « ne s'agit pas de transgresser ».
Ainsi, le MACF sera « non-discriminatoire », et assurera le même niveau de tarification carbone pour les produits européens soumis au marché carbone de l'Union, et ceux importés, quelle que soit leur origine. Afin d'éviter un passage par la case législative avec majorité qualifiée, difficile à atteindre, le mécanisme ressemblera davantage à « outil incitatif » qu'à une taxe carbone. Le but : « créer des conditions de concurrence loyale ». Une réflexion sera également lancée sur la manière d'appuyer « les pays les moins avancés », a précisé Paolo Gentiloni. « Nos entreprises ne doivent pas payer le prix du retard de certains pays dans la transition verte. (...) Mais l'Union européenne veut bâtir une solution en conformité totale avec ses engagements internationaux, pour que le mécanisme soit juste et équitable », a-t-il ajouté.
Pour ce faire, la France privilégie une « approche graduelle, prenant en compte les politiques climatiques et le niveau de développement des pays tiers », précise-t-on à Bercy. Elle se calera sur la disparition des quotas gratuits, aujourd'hui alloués à certains industriels soumis à une forte concurrence internationale afin de les dissuader de délocaliser leur production. Avant une « substitution progressive », la phase de cohabitation permettra à l'industrie « de s'adapter progressivement », fait-on valoir au ministère de l'Economie. En septembre dernier, le système de quotas gratuits avait été dénoncé pour son inefficacité par la Cour des comptes européenne.
Deux secteurs pilotes
Dans le viseur du futur MACF se trouvent d'abord le ciment et l'acier, qui concentrent 40% des émissions concernées par le système d'échange de carbone européen. « Nous voulons cibler des secteurs pilotes, et ceux-ci sont caractérisés par leur forte intensité énergétique. Surtout, leur impact est facile à mesurer, car les produits sont relativement homogènes. En outre, ils présentent l'avantage de l'acceptabilité sociale », commente-t-on au ministère de la Transition écologique. L'électricité devrait également faire partie de la première série de secteurs sur lesquels un ajustement s'appliquera.
Quant aux produits de consommation finale, leur intégration au MACF n'est pas à l'ordre du jour. « On ne sait pas encore mesurer l'ensemble de la chaîne de valeur. Cela va demander des travaux supplémentaires pour pouvoir tendre, à terme, à leur prise en compte », explique-t-on au ministère de l'Economie.
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Reste la question des recettes, au montant encore flou. En amont de sa délibération de mars dernier, qui a approuvé le principe de l'ajustement, le Parlement européen avait estimé une somme de 5 à 14 milliards d'euros pour la nouvelle séquence pluriannuelle 2021-2030. Mais « le calcul est relativement difficile », souligne-t-on à Bercy. « Pour éviter aux industriels un trop grand saut dans l'inconnu, le début de la période nous situera sans doute dans le bas de la fourchette. »
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