Tom Szaky, l'homme qui veut révolutionner l'avenir de l'emballage

PORTRAIT. Avec Loop, le fondateur de TerraCycle a créé la première plateforme d'e-commerce proposant des produits dans des emballages consignés. Un pas vers le zéro déchets.
Giulietta Gamberini
Tom Szaky, fondateur de Terracycle.
Tom Szaky, fondateur de Terracycle. (Crédits : Mel Evans / SIPA)

Il est des entrepreneurs qu'un journaliste ne se lasse jamais de rencontrer tellement leur vision évolue sans cesse d'une entrevue à l'autre, même en l'espace de quelques mois. Tom Szaky est l'un d'entre eux. Consacrée au recyclage des déchets aujourd'hui non recyclés pour des raisons économiques (des sachets de chips aux mégots de cigarettes, en passant par les couches-culottes), son entreprise, TerraCycle, faisait déjà figure de pionnière dans le secteur de l'économie de la ressource. Mais pour l'infatigable trentenaire, nourrissant l'ambition « d'éliminer la notion même de déchet », cette réussite a toujours été loin d'être satisfaisante.

« Face au problème des déchets, le recyclage n'est qu'une solution temporaire, comparable à un cachet contre le mal de tête », confiait-il, dès 2016, à La Tribune.

Pour s'attaquer au mal à la racine, il franchit alors un nouvel échelon dans la pyramide des « 3 R » - en ordre d'impact croissant : recycler les déchets, réutiliser tout objet et réduire la consommation de produits -qui sous-tend la notion d'économie circulaire.

Ce 14 mai, Tom Szaky doit lancer, à Paris, Loop, la première plateforme d'e-commerce à proposer plusieurs centaines de biens de grande consommation dans des emballages consignés, que son entreprise se chargera de récupérer, nettoyer et réutiliser. Une aventure qui à ses yeux représente rien de moins que « l'avenir de la consommation, où l'emballage jetable - idée farfelue du passé - n'existera plus », et qui pourrait, selon lui, éviter des dizaines de millions de tonnes de déchets dès la première année.

Financement par les fabricants

Dans ce projet, en cours d'élaboration depuis deux ans, Tom Szaky a réussi à embarquer une bonne vingtaine de multinationales, dont Procter & Gamble, Nestlé, PepsiCo, Unilever, The Body Shop, Coca-Cola European Partners, Mondelez International, Danone, Lesieur, Bic, Carrefour, UPS, Suez, etc., aux côtés de diverses startups ou entreprises locales. Car c'est bien une constante de son approche : pour multiplier l'impact positif de ses actions sur l'environnement, il parie sur des alliances inédites avec les acteurs économiques.

Ainsi, le système de collecte et de recyclage mis en place par TerraCycle s'appuie sur le financement des fabricants, qui espèrent améliorer leur réputation, pour ne pas perdre, voire gagner, des parts de marché, en offrant des solutions de recyclage pour leurs produits. En facturant 250.000 euros la participation au site d'e-commerce, en échange d'une solution alternative au plastique jetable, de plus en plus pointé du doigt par l'opinion publique voire interdit par les autorités, Loop applique une formule semblable.

S'agit-il d'un pacte avec le diable, en sachant que la plupart des multinationales impliquées ne proposent sur la plateforme que quelques-unes de leurs centaines de références, et pas forcément des produits responsables ? « Nous nous sommes demandé s'il existe des sociétés avec lesquelles nous devrions éviter de travailler. Et nous avons fini par décider que nous allons accepter tout produit légal. L'objectif de Loop n'est pas d'évaluer les externalités négatives des biens de consommation, mais de réduire les déchets qu'ils engendrent », assume Tom Szaky, qui plaide pour une approche pragmatique :

« Taxer de greenwashing tout effort des entreprises est la meilleure manière de les convaincre de ne rien faire. Or, seuls les mensonges constituent du greenwashing, et tout grand progrès commence par une petite action. »

Transformer le réutilisable en actif

Persuadé que pour convaincre les grands acteurs du marché de réduire leurs emballages, les exemples de solutions et les opportunités d'affaires valent bien plus que les discours, Tom Szaky ne cesse alors d'en chercher. Et comme lorsqu'il a conçu puis développé Terra-Cycle - née de sa prise de conscience de la capacité des vers de terre à transformer les déchets organiques en engrais -, il met chaque avancée de son nouveau projet au service tant de sa vision écologique que de son argumentaire commercial.

« Passer de l'usage unique à la réutilisation des emballages implique certes de lourds changements dans la chaîne d'approvisionnement, le processus de production et le marketing. Mais cela engendre aussi un gain : alors que les emballages jetables ne constituent que des dépenses, soumises de surcroît aux aléas des cours internationaux des matières premières, ceux durables deviennent des actifs de l'entreprise », a-t-il noté en développant Loop.

Sans compter une autre bonne surprise commercialisable : la valeur ajoutée des conditionnements réutilisables, qui grâce à leur aspect plus luxueux et/ou vintage, voire parfois à l'intégration de nouvelles fonctionnalités, pourraient séduire de nouveaux consommateurs, souligne-t-il.

Tom Szaky espère d'ailleurs également mettre à profit la relation particulière établie par Loop avec ses clients, qui y commandent les recharges des emballages consignés et lui remettent leurs déchets. « Nous pourrons leur fournir des informations détaillées, quantitatives comme qualitatives, sur leur consommation, voire, en analysant par exemple leurs huiles moteur usagées, proposer un diagnostic personnalisé sur le bon fonctionnement de leurs véhicules », prévoit Tom Szaky, qui a déjà créé une filiale de TerraCycle consacrée à cette activité d'analyse, mais qui promet de ne rien faire sans le consentement des consommateurs.

Ce bouillonnement d'idées semble séduire puisque, depuis la présentation de Loop à Davos en janvier, « chaque semaine, une marque internationale et, chaque jour, deux marques locales » manifestent leur intention de rejoindre la plateforme, se réjouit-il. Tom Szaky, qui en moins de vingt ans a réussi à faire de TerraCycle une entreprise sociale profitable de 300 salariés, implantée dans une vingtaine de pays, nourrit donc une ambition encore plus grande pour sa filiale Loop.

La plateforme qui absorbe tous les bénéfices de la maison mère, ouvrira une antenne à New York en mai, puis en septembre à Londres et en 2020 en Allemagne, au Canada et au Japon. Tom Szaky espère multiplier les références et les points de livraison des produits et de récupération des contenants, en investissant les écoles, où TerraCycle est déjà présente.

Les électeurs de Trump en ligne de mire

Du côté des partenariats, il affirme avoir des discussions en cours avec une importante chaîne de fast-food, puisque « Loop n'est qu'un instrument » adaptable à une large variété de biens de consommation, pourvu que l'on reste en milieu urbain dense, seule limite qu'il voudrait néanmoins faire sauter un jour.

Et quant à la clientèle, l'entrepreneur vise bien au-delà de celle déjà rompue à la consommation responsable : « Mes consommateurs de rêve sont les électeurs de Trump, car si je peux les convaincre, alors je peux avoir la planète entière », va-t-il jusqu'à affirmer. Car il ne faut pas l'oublier : Tom Szaky vise l'avènement d'un monde sans déchets, et veut faire « tout ce qui est dans son pouvoir pour le construire ».

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MINI BIO

1982 : il naît à Budapest (Hongrie).
1987 : ses parents émigrent à Toronto, au Canada.
2001 : alors qu'il est étudiant à l'université de Princeton, dans le New Jersey (États-Unis), il crée TerraCycle, qui produit des engrais à partir de déchets alimentaires grâce à des vers de terre.
2005 : TerraCycle - dont le siège social est à Trenton (New Jersey) - signe son premier gros contrat avec le distributeur américain WalMart et commence à collecter des bouteilles usagées pour conditionner ses engrais.
2007 : TerraCycle commence à étendre son programme d'upcycling et de recyclage puis, en 2009, à s'internationaliser.
2016 : TerraCycle signe un partenariat avec Suez.
2018 : Tom Szaky lance Loop.

Giulietta Gamberini

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