"Je veux recentrer le Medef sur la défense des entrepreneurs" Olivier Klotz, candidat à la présidence du Medef

Directeur général et administrateur de Heuft France, PME de 49 salariés (16 millions d'euros de chiffre d'affaires), filiale d'un fabricant allemand d'équipements de contrôle pour lignes d'embouteillage, Olivier Klotz préside le Medef Alsace et est président délégué du Medef Grand Est. Parmi les mesures qu'il défend : un recentrage sur la défense et la promotion de l'entrepreneur, la négociation d'un pacte de stabilité réglementaire pluriannuel avec le gouvernement, le renforcement du lobbying à l'échelle européenne, et la remise à plat complète du paritarisme de gestion.
Olivier Klotz préside le Medef Alsace et est président délégué du Medef Grand Est.
Olivier Klotz préside le Medef Alsace et est président délégué du Medef Grand Est. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Quelles sont vos priorités pour réinventer le Medef ? Quelles sont vos différences avec les autres candidats ?

OLIVIER KLOTZ - Le Medef entre dans un nouveau cycle de son histoire. Pendant vingt ans, depuis qu'il a remplacé le CNPF, le Mouvement des entreprises de France s'est beaucoup préoccupé de défendre les entreprises tout en s'ouvrant à la société. C'est bien, mais ce n'est pas suffisant. Au printemps 2017, à la suite de la « pesée » des organisations patronales organisée par le ministère du Travail, on s'est aperçu avec surprise que le Medef n'avait que 124000 adhérents, loin de son potentiel dans un pays qui compte plus de 3 millions d'entreprises. Je crois que cette faible représentativité vient de ce que les chefs d'entreprises ne se reconnaissent pas dans un syndicat patronal qui négocie dans le domaine social et est en partie responsable de la complexité de notre droit du travail. Je veux recentrer le Medef sur son coeur de métier : la défense et la promotion des entrepreneurs, des hommes et des femmes qui prennent des risques, qui créent de la richesse, qui investissent dans notre pays, qui embauchent, voire qui exportent. Le président de la République veut incarner une France qui entreprend. Il est temps pour le Medef de faire sa mue et d'accompagner ce mouvement.

Pour ce faire, il y a de nouveaux combats à mener. Le plus important à mes yeux est ce que j'appelle le « pacte de stabilité réglementaire ». Tous les gouvernements promettent de simplifier : or, ce n'est pas ce que nous constatons sur le terrain, avec chaque année un nouveau déluge de réglementations de toutes sortes, qui empoisonnent la vie des entrepreneurs. Si on veut que ceux-ci se concentrent sur ce qu'ils font le mieux, développer leurs projets, et donc embaucher et investir, il faut que les pouvoirs publics s'engagent à leur donner de la visibilité sur la durée du quinquennat.

C'est vrai de la France, mais aussi de l'Europe, d'où provient l'essentiel des nouvelles réglementations s'appliquant aux entreprises.

Si je suis élu, je rencontrerai nos homologues des patronats allemand et italien pour mettre au point avec eux des actions de lobbying coordonnées. Soyons fous : pourquoi ne pas transférer le siège du Medef à Bruxelles, et ne conserver à Paris qu'un bureau, chargé des relations avec le gouvernement et le Parlement, pour veiller à ce qu'il n'y ait pas de d'excès de transposition du droit européen dans notre droit national ? C'était une boutade : si je suis élu, le siège du Medef restera à Paris, mais nous devrons renforcer drastiquement notre présence à Bruxelles et à Strasbourg : avec seulement trois lobbyistes (contre 30 pour les Allemands et 20 pour les Italiens), le compte n'y est vraiment pas !

En résumé, il va falloir décider, ensemble, ce que nous sommes, ce que nous faisons ou ne faisons plus. Le nouveau Medef aura un rôle moins important dans le paritarisme, qui va forcément évoluer avec les nouvelles règles sociales, et devra se consacrer à l'économique, au fiscal, à la réforme de notre modèle social, et être davantage en contact avec ses adhérents. Je pense que le rôle principal du Medef doit être l'influence, et non la négociation et la gestion.

Ce nouveau Medef, comment le transformer ? Vous appelez à une révolution culturelle ?

Je suis un libéral au sens économique du terme. Nous devons promouvoir l'initiative privée et la prise de responsabilité, la concurrence par la multiplicité des acteurs et donc la répartition des risques. Si je suis élu à la succession de Pierre Gattaz, j'engagerai immédiatement des Assises de l'organisation, pour moderniser sa gouvernance. Je rencontre beaucoup de jeunes chefs d'entreprise et le moins que l'on puisse dire, c'est que le Medef actuel ne les attire pas. Avec le numérique, les codes ne sont plus les mêmes : les façons de travailler changent, les outils de communication favorisent l'horizontalité dans les modes de management. Le Medef doit s'adapter à un nouveau monde moins vertical, avec une organisation plus simple, plus lisible, plus agile, à la façon dont travaillent les jeunes, la génération des Millennials.

Pour provoquer ce choc dans l'organisation, peut-être faudrait-il déménager dans un lieu plus ouvert, s'inspirant du « 104 » ou de « Station F », à Paris, afin de promouvoir le travail collaboratif, les échanges entre les fédérations et les territoires.

Bref, je pense effectivement que le Medef a pris un coup de vieux en vingt ans et qu'il doit de toute urgence se projeter dans un mode de fonctionnement plus à même de séduire les jeunes entrepreneurs, afin de les convaincre de son utilité. Un changement de modèle est nécessaire, pour redonner du souffle à l'organisation, la faire vivre au rythme de la « startup nation ».

Quelle est votre position sur l'avenir du paritarisme, qui est un des enjeux clefs de cette élection ?

Sur le paritarisme de négociation, l'affaire est déjà bien enclenchée avec l'inversion de la hiérarchie des normes voulue par la loi El Khomri et les ordonnances Travail de 2017. On va vers des négociations décentralisées à l'échelle des branches et des entreprises. Le Medef sera donc moins impliqué.

S'agissant de ce que l'on appelle le paritarisme de gestion, c'est-à-dire la co-administration par le Medef et les syndicats de salariés d'un certain nombre d'organismes, au niveau national l'assurance chômage et les retraites, au niveau local les Urssaf, les Caf..., je pense que nous sommes à l'orée de changements profonds, liés au financement de notre modèle social. Emmanuel Macron a donné une impulsion avec le transfert des cotisations sociales des salariés vers la CSG. Notre capacité de décision devrait beaucoup se réduire avec cette progressive « nationalisation » du financement.

Sur le plan du chômage, c'est l'État qui fixe un cadre de négociation et se porte garant du financement des déficits. Dans ces conditions, laissons-le gérer cette dépense de solidarité. Pour les retraites, il consulte actuellement et nous ne savons pas quelle influence nous aurons à l'avenir.

Quoi qu'il arrive, nous devons, avec les organisations syndicales, nous obliger à l'équilibre financier et refuser la caution de l'État sur les dettes que nous pourrions souscrire : nous devons assumer nos responsabilités.

Pour les Urssaf, CPAM, Caf et autres organismes gérés localement, il faudra voir si des chefs d'entreprise accepteront de s'impliquer et cela dépendra de l'influence que la réglementation nous laissera pour gérer et orienter ces organismes.

Il nous faut tout remettre à plat en matière de gestion paritaire - notamment dans le domaine de la protection sociale et du logement (Action Logement, géré par le Medef, possède 1 million de logements) - et privatiser ce qui pourrait l'être, plutôt que de prendre le risque d'une étatisation à terme. Cette réforme interne devra être menée sur les dix prochaines années, en étroite collaboration avec les branches les plus concernées. De manière générale, les partenaires sociaux ne devraient pas gérer des structures faisant concurrence au secteur privé.

En se libérant progressivement de ces activités, le Medef pourra se concentrer sur les actions de lobbying.

Quelle ligne tiendrez-vous face à Emmanuel Macron, qui dit que « la France impuissante, c'est fini » ?

Je crois que tous les chefs d'entreprise en France reconnaissent au président de la République une volonté de changer les choses, de libérer l'initiative et les premiers actes du gouvernement, appliquant son programme, vont dans le bon sens. J'y adhère et je soutiens, dans un climat social qui se tend face à l'accélération de réformes qui n'ont que trop tardé. Mais je préviens aussi que le retour de la croissance n'aura peut-être qu'un temps : il y a eu un ralentissement au premier trimestre et le chômage a remonté. Ce qui risque de rendre la deuxième année des réformes plus difficile.

Or, nous le voyons bien, rien de sérieux n'a encore été fait pour réduire nos dépenses publiques, qu'il s'agisse de l'État, des collectivités locales ou des dépenses sociales. Car l'objectif n'est pas 3 % du PIB, mais zéro déficit pour rembourser notre dette publique de plus de 2 220 milliards d'euros (97 % du PIB). Mécaniquement, si la croissance freine, cela conduira soit à laisser filer à nouveau les déficits, soit à relever impôts et taxes. C'est à ce moment-là que l'on verra clairement si le Medef a un rôle pour défendre l'entreprise et éviter un nouveau tour de vis.

Donc si nous, chefs d'entreprise, apprécions le discours d'Emmanuel Macron en faveur de la création de richesses comme moyen de redresser le pays, nous sommes prêts à prendre notre part, mais l'État doit aussi assumer la sienne, afin de finir le travail engagé pour restaurer la compétitivité de la France.

Je fais pour ma part une proposition pour rénover notre modèle social. Pourquoi ne pas renvoyer vers les assurances privées la moitié des dépenses de santé liées à des « risques légers », en mettant en place un revenu universel finançant des contrats santé privés. Les affections graves resteraient bien entendu remboursées par la Sécurité sociale.

Sur la fiscalité, et en attendant de voir dans le détail la loi Pacte de Bruno Le Maire qui va prendre de bonnes mesures pour l'intéressement et la participation, il faudra mener le débat sur les impôts sur la production, en complément de la réduction du taux de l'impôt sur les sociétés. Ces impôts sur la production, essentiellement la CVAE qui a remplacé la taxe professionnelle et des impôts fonciers comme le CFE, pèsent sur la production nationale, c'est idiot. Pourquoi ne pas les remplacer par une part de TVA, ce qui permettrait de taxer les importations. Sur les prélèvements obligatoires, nous devrions tendre progressivement vers la moyenne européenne, tout en ramenant les finances publiques à l'équilibre.

Vous êtes en train de faire la description de l'Allemagne...

Il ne s'agit pas de réaliser des excédents, comme notre voisin d'outre-Rhin, mais d'équilibrer le modèle social français en le rendant plus performant, pour le dynamisme de l'économie et donc de l'emploi. Il ne s'agit pas de copier le modèle allemand, mais de créer notre propre modèle, c'est le seul moyen pour la France d'être respectée en Europe, à l'heure où Emmanuel Macron veut la réformer. Il faut être cohérent. L'Allemagne ne changera pas de posture sur l'Europe tant que la France ne sera pas en mesure de tenir ses engagements.

L'économie mondiale connaît des transformations brutales, auxquelles les entreprises françaises peinent parfois à s'adapter. Comment le Medef peut-il les aider ?

Nous sommes confrontés à six enjeux majeurs pour la prochaine décennie. La révolution numérique, où l'Europe n'a pas su créer de champions, mais où la bataille va se jouer sur la maîtrise de nos données et sur l'intelligence artificielle, aujourd'hui dominée par les États-Unis et la Chine. La transition énergétique, qui doit permettre de créer une filière européenne sur les énergies renouvelables, éolien et solaire principalement, si nous ne voulons pas dépendre d'une offre chinoise plus compétitive. Concernant le respect de l'environnement et de la qualité de vie, l'Europe est plutôt en avance, ce peut être un élément d'attractivité à renforcer. L'évolution des mentalités et des façons de travailler est aussi un défi pour les entreprises, comme pour le Medef, je l'ai dit. Nous devons également assurer un meilleur équilibre entre les grandes métropoles qui vont bien et les territoires marqués par la ruralité, pour ne pas laisser se creuser l'écart déjà existant entre leurs habitants. Être patron d'un Medef territorial me rend très sensible à cette dimension locale, même si j'ai l'habitude de parcourir le monde, de la Belgique au Pakistan. De même, nous devons être attentifs aux déséquilibres sociaux entre les gagnants et les perdants de la mondialisation. J'ajouterais à ces défis ceux du vieillissement de la population en Europe et des flux migratoires.

Pour aider les entreprises à affronter ces changements tectoniques, le Medef doit travailler en mode collaboratif avec toutes les parties prenantes, l'État, les collectivités locales, les chambres de commerce et d'industrie (CCI). Il nous faut travailler sur les questions de transversalité et de verticalité, afin qu'au lieu de traiter les problèmes de façon isolée, nous nous coordonnions entre branches et entre filières. Aujourd'hui, tous les défis sont globaux et multidimensionnels. Le Medef doit jouer un rôle pour coordonner l'équipe France à l'international, à l'image de ce que font les pôles de compétitivité ou la French Tech. Nous sommes collectivement capables de relever ces défis.

Propos recueillis par Philippe Mabille

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Commentaire 1
à écrit le 07/06/2018 à 19:14
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Le garçon n'est pas au courant qu'il n'est plus dans la course et qu'il ne l'a jamais été ? Comme on dit, y'a quelque chose qui Klotz dans sa tête ;-)

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