LUXSTREET : rue et luxe, la croisée des deux mondes

La dixième rencontre LuxBox*, initiée par le groupe Figaro, a abordé le 13 avril, le thème de la rue dans l'industrie du luxe. La rue a toujours été un échantillon représentatif de mode et de style. Le Streetwear représente beaucoup d'énergie, de création, de dynamisme... Comment le luxe, qui représente d'un côté la pérennité de la marque, peut-il s'inspirer des codes de la rue. De quelle manière les marques de luxe peuvent-elles intégrer ce courant dans leur stratégie produit ?
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La rue représente les signes tangibles de l'expression d'un pouvoir, d'une esthétique, d'une rébellion, d'un mode d'expression, d'une liberté, d'un contre-pouvoir, que l'on peut qualifier de culture urbaine. Les marques de luxe peuvent tirer parti de ces influences modernes et décalées dans une stratégie qui peut être déclinée autour de trois axes que sont les produits, le retail et la communication.

La marque « Concept »
La marque énonciatrice représente une vision, une esthétique, un champ de compétence et elle va se nourrir des appropriations de ses clients, tels les signes de la rue.
Par exemple, Louis Vuitton s'est rapproché du sport de rue en apposant des monogrammes LV façon graffitis sur une planche de skate et en collaborant avec l'artiste Stephen Sprousse entre 2001 et 2008 pour créer des sacs et des sneakers, baskets de luxe, inspirés du graffiti. La marque Chanel reprend les signes de la transgression avec le tatouage. Elle se l'approprie et crée le chic trash : se faire tatouer n'est plus un acte rebelle mais devient un bijou haute couture. Dior aussi a repris la folie des sneakers pour homme en créant les sneakers Dior homme et en touchant les réseaux d'amateurs et de collectionneurs avec des modèles « collectors ».

La marque « Distribution »
La marque distribution positionne le lieu de vente comme source d'expérience. Elle met en avant une architecture remarquable, un concept store ou un lieu éphémère. Elle utilise de multiples canaux tels que l'art (flag-ship stores, fondations...), Internet (E-Commerce)...
Par exemple, Gucci a utilisé le levier de la distribution éphémère en créant un pop-up store itinérant (New York, Londres, Tokyo) pour le lancement d'une ligne exclusive de sneakers avec le musicien Mark Ronson. Et pour renforcer l'action, la marque a conjugué cette opération avec une présence sur le Net. Yves Saint Laurent a fait de même en lançant sa collection capsule YSL « Edition Unisex » (collection déclinant le dressing masculin au féminin) dans un pop-up store à Soho.

La marque « Communication »
Elle utilise toutes sortes de médias en faisant référence aux fondamentaux du luxe et à la transgression via le street marketing, les réseaux sociaux et la culture. En plus des médias publicitaires, la marque utilise le hors média, les RP, l'événementiel magasin, le « celebrity marketing »...

Par exemple Prada a utilisé le luxe comme modèle d'esthétique en représentant la féminité Kawaii pour sa campagne de communication été 2010. Pour recruter une cible plus jeune, la marque s'approprie des icônes en dehors de son champ attendu, comme Chanel qui allie la mode à la musique en prenant Lilly Allen comme égérie. Yves Saint Laurent a quant à lui utilisé les médias de rue pour sa collection printemps/été 2010. Le « Manifesto » d'Yves Saint Laurent reprend les codes révolutionnaires de la rue avec la distribution simultanée de journaux gratuits, le happening des lieux réservés aux adeptes, les sacs collectors réservés aux initiés... « The art of trench » de Burberry positionne la rue comme actrice. La marque utilise les réseaux sociaux et les forums afin de créer une relation de proximité avec sa clientèle en lui demandant de poster les photos de leur trench. Christopher Bailey explique : « It's a way for our fans to interact with the culture of the brand. Content need to be emotional and connect with the consumer ». L'expérience autour de la marque permet de fidéliser une communauté autour de celle-ci.

La marque de luxe : multifacette
Tout le paradoxe d'une marque de luxe, c'est qu'elle doit être à la fois traditionnelle et moderne. Elle doit rassurer les cibles historiques mais aussi recruter de nouveaux et futurs clients. Pour cela, elle utilise l'appropriation de signes tangibles émanant de la culture et de l'esthétique de la rue et tout en intégrant des personnalités inattendues. La marque de luxe doit aussi jouer sur la distribution et les médias de communication afin de conjuguer identité de marques et expérience client.

La création et la rue ont toujours été un échange central pour les designers. Yves Saint Laurent disait : « Il faut toujours être en prise avec le monde extérieur. On demande au couturier de ressentir tout ce qui se passe, tout ce qui va se passer et de le traduire ».
Mais l'échange entre luxe et rue a tout de même ses limites. La rue fut une influence très forte durant les années 90, mais les marques ne sont-elles pas allées trop loin dans la démocratisation, car en 2010 on assiste à un retour aux fondamentaux. Il existe des points très importants à prendre en compte. Le cycle de vie est très différent entre le temps long de la marque de luxe et le temps très court de la mode de rue. La clarté du projet peut aussi être remise en cause avec le risque de dilution que représente la rue. Il faut prendre en compte le paradoxe entre distance et proximité afin de ne pas galvauder une marque.

À l'heure où graffitis et tags envahissent la fondation Cartier... La rue mega panel, la rue inspiration, la rue media... ou le géo marketing mobile prennent le relais de l'affichage événementiel. Attention au dérapage et à l'ostentatoire. Concilier jungle urbaine et rue de la Paix, rue du Commerce et place Vendôme, Barbès et Montaigne... Des amitiés dangereuses, sources d'adrénaline, de fraîcheur, mais aussi de vie.
Face à la vision esthétique de la marque vivante et désirable, les clients auparavant récepteurs, deviennent acteurs. Nous sommes passés de la rue anonyme, réceptrice, vers une rue actrice : Le power street !

* Rencontre animée par Elisabeth Quin, critique de cinéma, écrivain et journaliste, en présence de :
- Michel Maffesoli, sociologue, professeur à la Sorbonne et membre de l'Institut universitaire de France ;
- Cyril du Cluzeau, directeur marketing de Nike France ;
- Patricia Romatet, directrice études & conseil, Institut français de la mode, qui a réalisé la Veille thématique.
 

Source : ABC-luxe.com

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