Lutte contre la fraude, plafonnement... comment réduire le prix des lunettes ?

Par Marina Torre  |   |  923  mots
Les fraudes coûteraient chaque année quelque 142 millions d'euros selon l'UFC Que Choisir.
Près d'un opticien sur cinq proposerait spontanément de frauder selon une enquête de l'UFC-Que Choisir. Des pratiques qui mettraient en lumière un système grippé contre lequel le gouvernement propose de lutter grâce au plafonnement des remboursements. Pour l'association de consommateurs, c'est surtout sur les réseaux de soin qu'il faut compter.

Caméra cachée au poing, ils se sont donnés pour mission de dévoiler des pratiques souvent dénoncées mais jamais vraiment prouvées. Des clients-mystère envoyés par l'association de consommateurs UFC-Que choisir se sont rendus chez des opticiens pour vérifier en pratique si la fraude aux complémentaires santé était aussi répandue que certains le prétendent.

Le constat est "accablant", juge le président de l'organisation, Alain Bazot, lors d'une conférence de presse ce mardi. D'après le résultat des investigations menées en novembre 2013 qui portaient sur près de 10% des magasins d'optique, 17,9% des vendeurs suggéraient une fraude, et ce, sans sollicitation de la part des acheteurs. Les enquêteurs ont beaucoup insisté sur ce point. Leur méthode? Des bénévoles se sont rendus chez des opticiens pour se renseigner sur le prix d'une monture et d'une paire dont le prix était supérieur au remboursement pratiqué par leur mutuelle.

Suggestions de tricheries

Chez les indépendants, plus vulnérables, près de 30% des opticiens leur proposaient de réaliser de fausses factures. "Si la monture dépasse un peu le prix, on peut [faire basculer le prix] sur les verres" suggère ainsi une vendeuse dans la vidéo présentée par l'association. Cette dernière attribue d'ailleurs bons et mauvais points aux grandes enseignes. Les vendeurs d'Optic 2000 et GrandOptical seraient ainsi plus souvent enclin à proposer des fraudes, respectivement dans 15,4% et 17,6% des cas. A l'opposé, chez Optical Center et les Opticiens mutualistes, ces pratiques seraient beaucoup plus rares (6;4% et 7,1% des cas). Au total, l'UFC calcule que la fraude coûterait quelque 142 millions par an. "Si vous ajoutez en plus les sollicitations du consommateur, on est bien au-delà", affirme Daniel Bideau, administrateur national en charge notamment de la Santé à l'UFC. 

"La fraude n'est que le corollaire d'un système vicié", commente de son côté Alain Bazot qui réclame en premier lieu de meilleurs contrôles de la part de la DGCCRF. Ce fameux "système vicié", l'association l'a dénoncé en avril 2013 peu après des nouveaux entrants sur le marché, des vendeurs de lunette en ligne.  Dans une étude, elle pointait un niveau de marge brut très élevé pratiqué par des opticiens trop nombreux obligé de faire grimper les prix pour tenter de dégager des bénéfices, et ce, d'autant plus que les coûts de fonctionnement en optique son élevés. Résultats: les prix ont progressé pour devenir parmi les plus élevés d'Europe. 

--> Pourquoi le prix des lunettes est-il aussi élevé en France

Des complémentaires responsables? 

Dans ce dossier, opticiens et complémentaires se renvoient fréquemment la balle. En l'occurrence, les secondes ont elles aussi joué un rôle, juge l'association de défense des consommateurs. Attirées par "l'élément de différenciation" que représente un bon remboursement d'optique, elles auraient fait grimper le prix des cotisations. Entre 2006 et 2013, ceux-ci ont bondi de 38%.

Le gouvernement tente de son côté de répondre à cette situation en proposant un plafonnement des remboursements. Parmi les projets qui circulent, l'un d'entre eux fixerait le montant maximum de remboursement à 100 euros pour la monture et entre 350 et 600 pour les verres, pour les contrats dits "responsables" donnant droit à des incitations fiscales. Pour l'UFC, cette proposition est trop tardive et insuffisante. 

Trop tard pour plafonner?

Trop tardive parce que les "prix sont déjà arrivé à un plateau" et qu'ils mettront trop de temps à baisser, explique Mathieu Escot, en charge des études au sein de l'organisme. Et  insuffisante parce que le gouvernement ne prévoirait pas de dégressivité dans le temps.

Cette mesure serait surtout moins efficace que les réseaux de soin. Ces derniers visent à organiser des partenariats entre des mutuelles et/ou des complémentaires santé d'une part, et des opticiens d'une autre, afin de négocier des baisses de prix et les vérifier. Une loi en ce sens a été votée l'an dernier

Craintes pour l'emploi

De leur côté, les opticiens critiquent eux aussi les plafonnements, en pointant des risques pour l'emploi. De fait, si l'explosion du nombre de points de vente est en cause, un arrêt des nouvelles ouvertures, voire de nombreuses fermetures serait inévitables en cas de baisse des prix, ce qui ferait peser des risques sur les emplois dans le secteur. Sur ce point, le patron de l'UFC s'agace. "C'est un argument fallacieux", estime-t-il.

Si des magasins ferment, cela ne veut pas dire que tous les emplois seront supprimés, mais qu'ils pourront être regroupés, juge-t-il. Dans son étude de 2013, l'association avait calculé que le nombre de points de vente avait grimpé de 50% en dix ans quand la demande, elle, n'augmentait que de 13%, conduisant à un surcoût total de 500 millions d'euros. 

Appel à la vigilance des consommateurs 

Quant aux consommateurs, il leur reste le soin de comparer les prix. Mais là encore, l'UFC Que choisir se montre très critique vis-à-vis des acteurs du secteur. Les opticiens les afficheraient mal. En les indiquant sur du les seules montures, les comparaisons sont plus difficiles à réaliser. Enfin, il faudrait se méfier des comparateurs en ligne. Daniel Bideau confie ainsi à la Tribune:

" C'est aussi un mode de régulation du marché (...) mais les comparateurs, on ne sait pas toujours qui est derrière. Cela peut être soit une complémentaire santé, soit une mutuelle, soit un opticien. Là non plus la transparence ne saute pas aux yeux".