Jouets pour enfants : sous le sapin, le genre ?

Fabricants et distributeurs de jouets optent plus que jamais pour une division des jouets en catégories "garçons" et "filles". Ce phénomène susceptible de nourrir des stéréoptypes est dénoncé dans un rapport du Sénat.
Au rayon jouet, les classifications par genre ont la vie dure. Le Sénat recommande, pour lutter contre eux, d'attribuer de "mauvais points" aux distributeurs et fabricants qui perpétuent ces stéréotypes.

Au rayon "filles", du rose, des poupées, des cosmétiques et des kits pour jouer à faire le ménage. Dans la section "garçon", du bleu, des hélicoptères, des jeux de construction. Ce cloisonnement tend à s'amplifier depuis la fin des années 1990,  constatent plusieurs sociologues dont Mona Zegaï, doctorante à l'université Paris 8 dont la thèse en cours d'élaboration porte sur l' "analyse des mécanismes sociaux à l'œuvre dans le processus de socialisation sexuée".

"Cloisonnement amplifié"

Deux sénateurs s'inspirent, entre autres, de ses travaux dans un rapport publié jeudi 18 décembre qui reprend ces conclusions. Chantal Jouanno (UDI), ex-ministre de Nicolas Sarkozy, qui préside la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes ainsi que Roland Courteau (PS) élu dans l'Aude se fondent sur des enquêtes, entretiens et tables rondes. Ils font par exemple observer :

"Ce cloisonnement a atteint une ampleur que n'ont pas connu les générations élevées jusque dans les années 1980 ; il semble d'ailleurs paradoxal pour des enfants qui évoluent ensemble dès la crèche. "

Un mouvement mis en lumière depuis plusieurs années dans les pays anglo-saxons. Par exemple, dans le catalogue du distributeur américain Sears, les publicités destinées aux jouets pour enfants comportaient des stéréotypes de genre dans la moitié des cas au cours des années 1920 et 1950, puis l'étaient beaucoup moins au milieu des années 1970 ; mais elles le sont à nouveau beaucoup plus dans les années 2000 selon la thèse de la sociologue Elizabeth Sweet (université de Californie).

"Des pages de catalogues montrent encore 'Chloé joue à faire le ménage', 'Ninon fait la secrétaire' tandis que 'le garçon conduit un bolide", s'étonne Pauline Chabbert, vice-présidente du Comité Onufemmes en France. Or,  "c'est en décalage avec notre réalité, les filles ne sont pas toutes secrétaires, elles ne font pas toutes le ménage", pointe cette ancienne représentante du Quai d'Orsay spécialiste de la place des femmes dans l'emploi.

"Un projet de jeu vidéo dont le personnage devait être une héroïne a été présenté au Japon. Lors de la validation du jeu, les responsables financiers ont refusé parce que soit disant le public achèterait moins un jeu vidéo dont le personnage principal est une fille et non un garçon", ajoute-t-elle.

Le succès de Lara Croft, tendrait à infirmer cela, sauf qu'il cible une toute autre génération.

Considérant que cette situation tend à amplifier les stéréotypes de genre et contribuer à renforcer l'inégalité entre femmes et hommes, les sénateurs recommandent par exemple d'attribuer des "cartons rouges" aux fabricants et enseignes qui perpétuent ces pratiques et des "bons points" à ceux qui s'en détachent.

Augmenter les ventes

La cause de cette amplification constatée de la division filles/garçons dans le jouet provient de choix marketing ciblant volontairement une segmentation dans le but d'augmenter les ventes. Pour les rapporteurs du Sénat français, la mondialisation aboutissant à une certaine uniformité des modèles pour mieux les exporter ainsi que la généralisation des licences d'exploitation de personnages de dessins animés, de films ou de bande dessinées aurait tendance à amplifier le phénomène.

L'opération se révèle-t-elle pour autant si profitable? "La séparation des univers de jouets (...) permet de démultiplier la demande (...), car [elle] permet de vendre plus de jouets, ces produits ne pouvant plus se transmettre entre les filles et les garçons d'une même fratrie", écrivent les rapporteurs du Sénat. Ils citent le chiffre de 2,3% de croissance par an du marché du jouet, émanant de la Fédération française des industries Jouet-Puériculture.

De son côté, la sociologue Elizabeth Sweet indique à la Tribune "qu'il n'existe aucune bonne étude" sur la rentabilité de ces pratiques marketing, car "il est impossible de tracer une limite nette entres les effet de la segmentation par genre et les autres aspects du marketing".

L'affaire des Lego(c) pour filles

 Empiriquement, pour certains fabricants de jouets cela peut-être le cas. L'entreprise danoise Lego, constant que 90% de ses clients étaient des garçons et après avoir mené une enquête auprès de 3.500 fillettes dans le monde, a lancé en 2012 une collection spécifiquement dédiée à ces dernières et vendue comme telle. Ce qui n'a pas manqué de susciter la controverse, près de 70.000 personnes ont par exemple demandé le retrait de cette campagne aux Etats-Unis. Mads Nipper, vice-président exécutif du groupe, a tenté de répondre aux critiques émanant également de sociologues ou de psychologues en écrivant par exemple :

 "Des briques roses sont incluses dans les kits Lego depuis des décennies. Les nouvelles couleurs introduites pour créer la collection Lego Friends sont deux bleus, deux violets et deux verts, fondés sur une recherche opérée au niveau mondial qui indique un désir pour des palettes de couleurs plus fortes pour créer des modèles plus intéressants."

Pour la marque, l'opération s'est révélée concluante, puisqu'elle s'est traduite par un succès commercial. En 2013, Lego, lors la publication de ses résultats du premier trimestre indiquait ainsi:

"LEGO Friends - un produit lancé en 2012 et ciblant les filles - connaît également des ventes fortes cette année, avec des taux de croissance significativement supérieurs à ceux de la moyenne de l'entreprise".

Depuis, surfant sur le bruit suscité par l'affaire, le fabricant de jouets diffuse un clip publicitaire mettant en scène une fillette soignant un ours en peluche comme si elle se rêvait médecin ou bien jouant avec un avion miniature. Plus radicaux, des distributeurs comme le magasin londonien Hamleys ont abandonné la division "garçons" et "filles" dans leurs rayons. Les profits potentiellement générés par des jouets ainsi commercialisés de façon "neutres" n'ont pas (encore) été mesurés.

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Commentaires 9
à écrit le 24/12/2014 à 13:51
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Tout le monde sait que, mises dans des conditions identiques, les filles réussissent aussi bien, sinon mieux, que les garçons. Les limiter au maniement du balai, c'est appauvrir le pays de 50% de son potentiel. Il ne s'agit pas de confiner les hommes...

le 30/12/2014 à 3:11
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Les mathématiciens et les physiciens n'attendent qu'elles pour innover cependant si le talent n'a pas de sexe, on ne peut pas en dire autant du courage...

à écrit le 22/12/2014 à 15:24
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On n'a même plus le droit d'être différent, c'est du racisme!

le 25/12/2014 à 18:00
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C'est exact, alors plutôt que de contraindre les entreprises à des théories débiles non pas dans leurs bienfondés, mais dans leurs mises en œuvre, ne serait-il pas plus judicieux d'inviter les parents à fréquenter les deux rayons, celui des "filles" ...

à écrit le 22/12/2014 à 13:49
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On n'a pas plus grave que ça a régler en ce moment? Et puis essayez voir d'offrir, par exemple, un garage avec des voitures miniatures à une fille de 8 ans, ou une tête à coiffer à un garçon du même âge, ce sera la soupe à la grimace! Bon, c'est sur,...

à écrit le 22/12/2014 à 12:48
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La promotion de l'indifférenciation des genres, encore une idée saugrenue et malsaine tout droit sortie des loges ça... Par contre, au risque de les décevoir, je ne suis pas certain que la mayo prenne chez les populations qui peupleront majoritaireme...

le 22/12/2014 à 19:11
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C'est une manipulation des féministes mangeuses de coquillages qui visent à promouvoir la castration phallique...

à écrit le 22/12/2014 à 12:45
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Le Sénat (l'Etat français) comme tout régime totalitaire, a toujours rêvé d'avoir à faire à une population indifférenciée (en terme de genre notamment), déracinée et acculturée. Bref avoir à faire à une population qui ne sait ni d'où elle vient, ni o...

le 22/12/2014 à 15:36
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Effectivement , une population qui n'a plus aucun repère est plus facile à manipuler..............manquerait plus que les gens pensent par eux même !, quelle horreur pour nos politiques !

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