Négociations fournisseurs-distributeurs : sans accord, les amendes vont pleuvoir

Par Marina Torre  |   |  859  mots
Les distributeurs demanderaient aux fournisseurs des compensations financières pour compenser la baisse des prix
Les grandes enseignes de la distribution et les industriels qui remplissent leurs rayons ont jusqu'au 1er mars pour s'accorder sur les tarifs. Ce ne sera pas facile dans un contexte de tension sur les prix et de concentration des centrales d'achat. La DGCCRF a même déjà assigné deux enseignes pour leurs pratiques commerciales envers leurs fournisseurs.

La date limite s'approche et toujours aucun accord en vue. Si les centrales d'achat des grands distributeurs et les principaux fournisseurs des marques vendues à l'échelle nationale (Coca-cola, Pepsi, Danone, Nestlé, Procter & Gamble et autres Unilever) n'aboutissent pas à temps, tous devront payer des amendes. Pire : dans un contexte particulièrement tendu entre chaque partie, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a assigné deux enseignes dont le nom n'est pas dévoilé.

Compenser des marges

Pourquoi sont-elles dans le viseur ? Une vague de contrôles en juin et juillet auraient, selon des sources, aboutit à la mise en lumière de pratiques potentiellement illégales : certains distributeurs auraient demandé, après la conclusion des conventions sur les tarifs (qui entrent en vigueur chaque 1er mars), de nouveaux versements aux fournisseurs.

Le but : compenser des baisses de marges. Lesquelles sont attribuables, entre autres, à la "guerre des prix" que se livrent les distributeurs entre eux. Ces demandes de versements se chiffreraient à "plusieurs dizaines de milliers" d'euros.

>>Lire aussi: La grande distribution écrase les coûts... et les fournisseurs

En cas de sanction, les contrevenants risquent plus de 2 millions d'euros d'amende comme le prévoit l'article L442-6 du code du commerce. Le montant peut même  être "porté au triple du montant des sommes indûment versées."

Le poids symbolique serait encore plus lourd. "Sans vouloir stigmatiser telle ou telle enseigne, cela enverrait un signal fort et démontrerait que la loi et le dispositif réglementaire deviennent réellement dissuasif", juge Richard Panquiault, directeur général de l'Ilec, qui représente les grands industriels nationaux.

Eviter la liste noire

Par le passé, ce sont principalement des "ruptures brutales de relations commerciales entre un fournisseur et son distributeur", soit des dé-référencements sans préavis suffisamment long, "qui ont fait l'objet de plaintes" de la part des premiers, indique Me Olivier Lacotte, avocat spécialisé en droit des affaires. Dans ce cas, le montant de l'amende est calculé en "multipliant la marge brute par la quantité qui aurait dû être achetée" par le distributeur. Cela dit, pour "éviter d'être placé sur une liste noire, il est assez rare qu'un fournisseur soit à l'initiative d'une action", précise-t-il.

En revanche, le ministère de l'Economie peut s'en charger. Outre des contrôles portant sur les accords de 2014 ou antérieurs, Bercy a fait savoir en décembre que la DGCCRF aurait à l'œil les négociations pour 2015. Dans le premier cas, des "déséquilibres significatifs" étaient surtout sanctionnables.

Le groupement d'achat de Leclerc a par exemple été condamné à 500.000 euros d'amende pour ce motif le 18 décembre 2013 par la Cour d'appel de Paris. En l'espèce, il s'agissait par exemple d'imposer au fournisseur de payer des prestations de service dans des délais plus courts que le versement par le distributeur des sommes dues pour l'achat des produits. Ou de faire peser sur le fournisseur la "destruction des produits ou de leurs emballages" par les consommateurs.

Disproportion

Il faut désormais ajouter aux pratiques punissables les demandes jugées "disproportionnées". Plus précisément ces nouveaux abus sont ainsi définis depuis la loi Hamon promulguée l'an dernier :

 "Obtenir ou tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu"

Parmi les éléments considérés comme "disproportionnés" figure le fait de formuler une "demande supplémentaire, en cours d'exécution du contrat, visant à maintenir ou accroître abusivement ses marges ou sa rentabilité".

>> Lire aussi: Grande distribution : nouvelles règles du jeu mais guerre des prix féroce

Demandes rétroactives?

Bien sûr, toute demande de compensation de marge ne sera pas forcément jugée abusive. Même si les industriels s'en plaignent toujours, même dans le cadre des négociations actuelles. "Certaines enseignes nous expliquent qu'ils n'ont pas réalisé suffisamment de marges en 2013 et 2014 et nous demandent de compenser cette année", indique-t-on à l'Association nationale des industriels alimentaires. Certaines formulent "des demandes de déflation colossales allant de 3 à 18% du prix de vente aux distributeurs", ajoute un porte-parole.

Cette période entre décembre et fin février révèle les tensions entre industriels et distributeurs depuis plusieurs années. En 2010 par exemple, les grandes enseignes s'étaient engagées à ne plus exercer ce genre de pratiques. Mais en 2015, les discussions s'annonçaient encore plus explosives que jamais puisque les enseignes se sont réunies en quatre grandes centrales d'achat (Intermarché et Casino, Système U et Auchan, Carrefour et Cora, Leclerc).

Elles représentent en effet plus de 90% du marché de la distribution des produits de grande consommation et leurs alliances ne concernent que les produits de marques dites nationales. Un avis de l'Autorité de la concurrence sur la concernant ces rapprochement est attendu pour le mois de mars. Le projet de loi Macron, par ailleurs contesté par certaines enseignes, prévoit que l'Autorité soit désormais systématiquement consultée en pareil cas.