Carrefour dans la course aux prix bas

Par Marina Torre  |   |  904  mots
Georges Plassat a précisé qu'il comptait investir 2,6 milliards d'euros en 2015 pour développer son offre.
Georges Plassat a regretté la destruction "de valeur et d'emplois" causée par la guerre des prix que se livrent les distributeurs lors de sa première interview donnée au JDD depuis son retour de convalescence et quelques jours avant l'assemblée générale du groupe. L'occasion de rappeler que Carrefour, aussi, s'était lancé dans cette bataille, non sans difficulté.

"Dans tous les pays, le prix est incontournable. Mais, je le maintiens : la mise en avant systématique du low cost et la recherche permanente de la baisse des coûts détruit de l'emploi et de la valeur, " juge Georges Plassat, le patron de Carrefour.

A quelques jours de l'assemblée générale, prévue le 11 juin, c'est ainsi que s'exprimait, dans une interview au Journal du Dimanche parue le 6 juin, l'ancien patron de Vivarte, alors qu'il vient de reprendre les rênes du groupe - confiées, le temps de sa convalescence, à ses adjoints Pierre-Jean Sivignon, directeur financier, et Jérôme Bédier, secrétaire général.

"Des prix bas tous les jours"

Trois ans plus tôt, pourtant, il lançait Carrefour aux trousses de E.Leclerc dans une âpre bataille d'image et de réduction de coûts visant à assurer des prix bas aux consommateurs.

"Nous allons proposer des prix bas tous les jours. Les promotions, on n'y comprend plus rien, il y en a trop, le consommateur est perdu", déclarait-il alors.

Cela dit, l'engagement à offrir des prix bas pour 500 produits avait officiellement démarré début janvier 2012 sous l'égide du directeur général de l'enseigne en France, Noël Prioux, et donc avant l'arrivée de Georges Plassat à la tête de Carrefour. Mais "chez Carrefour, la décision de revenir dans la bataille a été mise en avant quand Plassat a pris les commandes" se souvient Jean-Daniel Pick, expert dans la grande distribution. Les produits visés correspondent aux marques nationales, celles qui attirent la clientèle dans les grandes surfaces.

Réorganisation et image-prix

Pour soutenir cette politique et tenter de redresser le chiffre d'affaires alors en baisse, des campagnes promotionnelles utilisant parfois la publicité comparative sont lancées. Plus encore, une réorganisation est décidée, qui est rapidement entérinée par Georges Plassat. Davantage de souplesse est laissée aux directeurs d'hypermarchés dans la fixation des prix. Plus tard, le groupe annonce la suppression de 500 à 600 postes, notamment de managers.

Peine perdue ? Aux yeux des consommateurs, le réseau Leclerc bénéficie encore de la meilleure image prix. Tandis que Carrefour souffrirait d'un décalage élevé entre les prix réellement pratiqués sur une série de produits et l'image qu'en ont les Français, selon le baromètre du cabinet OC&C datant de 2013.

"Il faut du temps pour faire évoluer une image prix, cela ne peut pas changer radicalement en un ou deux ans. Non seulement, il faut avoir des prix plus bas mais le démontrer. A ce jeu, le maitre est Leclerc dont le modèle repose sur la garantie de prix bas pour le consommateur et qui en raconte l'histoire depuis des années, son message étant 'nous sommes les héros de votre pouvoir d'achat', avance Jean-Daniel Pick.

Au-delà de l'effort pour réduire certains prix affichés en rayon, suscité notamment par le développement des comparateurs de prix en ligne, la bataille s'est surtout jouée avec les fournisseurs. "La mise en avant des prix bas résulte d'une évolution de la réglementation et surtout de la loi de modernisation de l'économie (LME) en 2009", juge pour sa part un spécialiste de la grande distribution proche des milieux financiers qui a souhaité s'exprimer de façon anonyme. A l'époque, la loi Galland, déjà amendée en 2006 est modifiée de sorte que les marges arrières sont intégrées à l'évaluation des seuils de revente à perte. En clair : les distributeurs peuvent désormais négocier plus aisément les prix des marques nationales, celles qui attirent les visiteurs en magasin.

Un logique qui déroute les investisseurs ?

A cela s'ajoute une logique différente de celle qui avait cours jusqu'alors qui vise à augmenter les bénéfices en augmentant les volumes vendus.  A la fin, les marges par produit peuvent avoir baissé, mais la hausse des volumes est censée compenser cette diminution. Une stratégie parfois désignée sous le terme de "masse de marge" par opposition à celle des "taux de marge" qui consiste, comme son nom le laisse supposer à augmenter le bénéfice en augmentant les marges.

Cette logique n'a pas été immédiatement suivie par les investisseurs sur les marchés financiers. "Ils ont mis du temps à voir les bénéfices de la LME pour Carrefour. La logique de masse de marge n'était pas celle à laquelle ils étaient habitués", relève le spécialiste cité plus haut.

Et la consolidation continue

Plus récemment, la concentration - qui s'est opérée en France avec la mise en commun des achats de Carrefour et Cora, Casino et Intermarché, Auchan et Super U - a renforcé cette tendance. A cet égard, Georges Plassat prédit une poursuite du mouvement. "La conjoncture va être âpre, il y aura des consolidations partout", affirme-t-il dans le JDD. Ce qui laisse supposer la poursuite de la "guerre des coûts".

"Désormais la consolidation sera européenne", commente pour sa part Jean-Daniel Pick. De fait, vendredi, Leclerc, qui jusqu'ici faisait cavalier seul, a annoncé un accord avec l'allemand Rewe. En Belgique, cela va bien plus loin qu'un simple rapprochement de centrales d'achats puisque Delhaize serait en discussions avec le numéro un néerlandais en vue d'une fusion.