Louer plutôt qu'acheter : astucieux, économe et bon pour la planète

VU DE LA SILICON VALLEY. En plein boom aux États-Unis, l'abonnement remplace l'acquisition d'un produit par un service à long terme, moins dépensier en ressources que le modèle propriétaire dominant. Un véritable changement de paradigme économique.
Propulsé par l'essor du Net, le modèle de l'abonnement touche la plupart des secteurs : musique, vêtements, cinéma, transports...
Propulsé par l'essor du Net, le modèle de l'abonnement touche la plupart des secteurs : musique, vêtements, cinéma, transports... (Crédits : Sipa)

En février dernier, la marque de vêtements American Eagle a annoncé le lancement d'une offre baptisée « style drop ». Moyennant 50 dollars mensuels, elle permet aux clients américains de détenir jusqu'à trois vêtements différents de la marque à la fois, qu'ils peuvent échanger à tout moment contre d'autres pièces. Si l'offre a de quoi surprendre, elle est loin d'être un cas isolé aux États-Unis. Des marques comme Stitch Fix ou Trunk Club proposent à leurs abonnés de recevoir régulièrement un panel de vêtements sélectionnés correspondant à leurs préférences. Ils peuvent ensuite conserver ceux qui leur plaisent et renvoyer les autres.

La tendance, née aux États-Unis, commence à s'exporter en Europe. La marque hollandaise Mud Jeans propose à ses clients de louer jusqu'à trois jeans à la fois, moyennant un prélèvement mensuel. Ils peuvent ensuite troquer gratuitement leur jean usé contre un neuf. Ikea teste également un service d'abonnement en Suisse, qui permet de louer des meubles. En France, on peut s'abonner pour recevoir chaque semaine des chemises neuves, des légumes ou des fruits de saison.

Jadis cantonné à quelques domaines, comme la presse ou les télécoms, le modèle de l'abonnement, propulsé par l'essor de la Toile, touche aujourd'hui la plupart des secteurs de l'économie, du vêtement à la musique (Spotify, Deezer) en passant par le cinéma (Netflix) et même l'aviation (Surf Air propose de voler à volonté moyennant 1.950 dollars mensuels).

Davantage qu'un simple tour de passe-passe consistant à troquer un paiement ponctuel contre un prélèvement régulier, c'est un véritable changement de paradigme économique, le passage d'une logique de produit à une logique de service. Plutôt que de réaliser un maximum de ventes ponctuelles, il s'agit d'établir des relations de confiance sur le long terme avec un maximum de clients. Pour les marques, avoir des abonnés, cela change tout : il faut les soigner, apprendre à les connaître à la perfection et leur proposer des offres sur-mesure à même de les satisfaire pour les fidéliser.

Jouir des biens plutôt que les posséder

L'économie de l'abonnement constitue, du même coup, un véritable changement sociétal, inaugurant un monde où l'on cherche davantage à jouir des biens qu'à les posséder. Un modèle qui correspond aux préférences des jeunes générations. Ainsi, aux États-Unis, 60 % des millennials préfèrent être locataires de leur logement plutôt que propriétaires, selon une récente enquête du magazine Forbes. D'après une étude du cabinet de marketing Fluent, les millennials sont en outre 25 % plus nombreux que les baby-boomers à s'inscrire à des services de livraison de repas en kit par abonnement, type Blue Apron. Mais l'économie de l'abonnement dépasse largement le simple phénomène générationnel.

D'après une étude du cabinet de conseil McKinsey parue en 2018, le marché des services d'abonnement en ligne a crû de plus de 100 % par an aux États-Unis lors des cinq dernières années. En outre, 15 % des individus qui effectuent des achats en ligne se sont abonnés à au moins un service qui permet de recevoir des produits de manière ponctuelle (nourriture, vêtements, maquillage, etc.). Un nombre important d'Américains ont fui la cohue des grandes surfaces pour faire leurs courses de Noël sur Amazon : l'entreprise a ainsi expédié plus d'un milliard d'objets durant les fêtes via son service par abonnement Prime.

Pour les utilisateurs, ce modèle permet d'avoir accès à des services personnalisés, susceptibles de s'adapter précisément à leurs besoins. Il offre en outre une grande flexibilité, puisqu'il est possible de modifier ou de résilier son contrat à n'importe quel moment. Les achats effectués sur un coup de tête, que l'on regrette après coup, et les produits qui deviennent obsolètes au bout de quelques mois ne sont plus qu'un mauvais souvenir. Il offre enfin un confort certain, avec la possibilité de se faire livrer directement chez soi (Amazon Prime), ou même de s'affranchir des objets physiques (Netflix, Spotify). Côté entreprises, il permet de collecter des données sur le long terme, et d'apprendre ainsi à mieux connaître sa base clients pour affiner son offre. Il confère, en outre, une meilleure visibilité économique, les revenus récurrents permettant de se projeter plus facilement dans l'avenir que les ventes ponctuelles.

Netflix plus fort que Hollywood

La vague de l'abonnement a débuté dans la Silicon Valley avec l'avènement du logiciel en tant que service, en plein essor depuis une dizaine d'années. Plutôt que de bâtir leurs propres infrastructures logicielles en interne, les entreprises souscrivent à des services clés en main fournis par des prestataires. Mais l'abonnement s'est vite exporté au-delà du monde de la tech. Ce modèle est ainsi symboliquement en train de transformer l'industrie qui a le plus compté pour la diffusion du soft power américain durant le XXe siècle : le cinéma. On assiste à un véritable basculement du centre de gravité de Los Angeles vers la Silicon Valley, à mesure que Netflix concurrence Hollywood.

Avant de devenir la principale plateforme de streaming vidéo en ligne, Netflix a commencé, à la fin des années 1990, en tant que service de location de DVD à distance et par abonnement. Moyennant un prélèvement régulier, le client pouvait louer autant de films qu'il le souhaitait, et les frais d'expédition étaient pris en charge. Mais c'est avec l'avènement de l'Internet haut débit, qui permet de regarder des vidéos de haute qualité en ligne, que l'entreprise a pu proposer le modèle qui est aujourd'hui le sien, s'étendre à l'international et se muer en une machine à engranger les bénéfices.

Netflix compte aujourd'hui près de 140 millions d'abonnés payants dans le monde entier, et l'entreprise a totalisé 4,19 milliards de dollars de revenus au dernier trimestre 2018, en hausse de 28 % par rapport à l'année précédente. Elle doit désormais composer avec la concurrence d'Amazon, dont le service de streaming Prime Video, totalise plus de 100 millions d'abonnés dans le monde.

Ces deux géants font assaut de créativité avec Hollywood. Il y a six ans, Netflix a sorti House of Cards, sa première série maison à avoir connu un grand succès. Aujourd'hui, l'entreprise et ses rivaux multiplient les superproductions, dans le monde des séries, mais aussi du cinéma, avec des acteurs et réalisateurs prestigieux. Pour son film The Irish Man, dont la sortie est prévue cette année, Netflix s'est ainsi payé le luxe d'avoir Martin Scorsese derrière la caméra et Robert De Niro dans le rôle principal. Disney, pour sa part, développe son propre service de streaming afin de rivaliser avec ses jeunes concurrents.

L'automobile en tant que service

Avec le cinéma, l'automobile est sans doute la seconde industrie emblématique de l'identité américaine. Or, elle est, elle aussi, en passe d'être transformée par le recours à l'abonnement. Dans son livre Subscribed (non traduit en français) Tien Tzuo, le dirigeant de Zuora, entreprise de logiciel en tant que service centrée sur l'économie de l'abonnement, affirme que le coeur de métier des constructeurs automobiles est en train de changer. Il s'agit désormais moins de vendre des voitures que de proposer un service de mobilité (Mobility as a Service, ou MaaS), permettant à l'utilisateur d'aller du point A au point B de la manière la plus efficace et dans les meilleures conditions possibles.

Cela peut signifier louer des voitures sous forme d'abonnement, comme le propose Cadillac (voir encadré ci-dessous). Moyennant 1.800 dollars par mois, le locataire peut choisir n'importe quel véhicule de la marque, qui peut ensuite être changé jusqu'à 18 fois par an. Volvo, de son côté, permet à ses clients de conduire son modèle XC40 pour 600 dollars mensuels, somme qui inclut assurance, maintenance, accès à un service client ouvert 24h/24, et même à un service bonus permettant de se faire livrer des colis directement dans son véhicule.

Selon les prédictions du Pdg de l'entreprise, Martin Lundstedt, une Volvo neuve sur cinq sera livrée sous forme d'abonnement d'ici 2023. Mais les constructeurs, anticipant sur l'arrivée progressive de la voiture autonome, forgent aussi des partenariats avec des startups pour mettre en place des services de mobilité à la demande. Ford entend ainsi intégrer ses futurs véhicules autonomes au service Lyft, rival d'Uber, d'ici à 2021. Le cœur de l'industrie automobile qui se trouvait jadis à Détroit, se déplace désormais vers la Silicon Valley.

À l'heure où des mouvements de la société civile comme celui enclenchée par la jeune suédoise Greta Thunberg mettent en cause la responsabilité du système économique actuel dans le réchauffement climatique, la généralisation d'une économie de l'abonnement pourrait bien changer la donne et contribuer à adapter le capitalisme à la recherche de solutions. Quoi de plus « circulaire » qu'une économie où tous les produits et services deviendraient un usage, plus économe en ressources que le modèle fondé sur la propriété pour tous. En cela, la Silicon Valley pourrait bien avoir apporté sa pierre pour sauver la planète !

S'offrir une auto de rêve pour 2.000 dollars (par mois)

Porsche accélère la digitalisation de son business à travers Porsche Digital, un centre de compétence autour de la numérisation des services. Le constructeur automobile a lancé plusieurs pilotes sur une nouvelle expérience client autour de l'univers Porsche. En Allemagne, la marque de luxe lance Porsche inFlow, une solution de location de moyenne durée entre 6 et 24 mois. Aux États-Unis, Porsche Host propose un peer-to-peer d'un nouveau genre : le loueur suit une formation dans un Porsche Experience Center. Comme Cadillac ou Bentley, Porsche lance aussi aux États-Unis un service de location à la demande baptisé Porsche Passport.

Celui-ci fonctionne par abonnement mensuel, avec une application mobile dédiée. Ce forfait illimité permet de louer n'importe quelle Porsche, pour 2000 dollars (8 modèles) 3 000 dollars (22 modèles dont la 911 Carrera S) par mois. Enfin, Porsche Road Trip est une application, encore pilote, qui permet de dessiner des parcours où il fait bon conduire en Porsche, avec des propositions d'étapes dans des restaurants et autres spots haut de gamme. Cette application pourrait, à terme, équiper la totalité des écrans de Porsche.

La marque allemande tente donc de construire un écosystème de services permettant d'ancrer le client dans l'univers Porsche, mais également d'anticiper les évolutions de comportement, notamment sur le concept de propriété individuelle. Pour les équipes marketing, il s'agit de lancer des services qui soient compatibles avec l'image de la marque, et notamment son caractère exclusif.

Detlev von Platen, directeur du marketing et du commerce de Porsche, explique qu'en réalité, ces services touchent une nouvelle clientèle : plus jeune et surtout qui n'a jamais été en contact avec Porsche. « C'est une marque exclusive qui peut aussi faire peur. La plupart du temps, les gens entrent dans notre univers via le marché de l'occasion. Avec ces nouveaux services, nous renforçons notre communauté à travers une expérience client exclusive, y compris chez des consommateurs qui ne sont pas des clients Porsche », détaille Detlev von Platen. La marque a annoncé qu'elle allait porter son investissement de 800 millions à 1 milliard d'euros dans ces nouveaux services digitaux, pour des revenus pour l'instant encore epsiloniens.

Nabil Bourassi

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Commentaires 5
à écrit le 23/04/2019 à 9:37
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Adapté surtout à des consommateurs qui voient leur pouvoir d'achat sans cesse se réduire d'abord et avant tout. Maintenant, 200 euros par mois pour une Twizy les gars ça fait vraiment pas envie hein... Le but n'est pas de nous prendre encore plus...

à écrit le 16/04/2019 à 10:43
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vu que quand vous louez une voiture, en 4 ans vous avez paye le prix d'une voiture que vous n'avez pas, il vous faudra un salaire 3 fois superieur pour pouvoir louer sur le papier c'est ideal, quand on regarde les chiffres, c'est autre chose

à écrit le 16/04/2019 à 9:57
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Périodiquement on nous relance sur ce sujet, mais rien n'est fait pour diminuer la consommation!

à écrit le 16/04/2019 à 8:47
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Les modèles chinois de vélos en libre service ont montré tout le paradoxe de la démarche. Il est certain que la notion de propriété dans la mobilité est amenée à disparaitre mais cela doit être réalisé selon un modèle qui empêche la dégradation accél...

à écrit le 16/04/2019 à 7:47
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Pas sur que ce soit aussi econome que cela. Il y a une vingtaine d années les crazy george's c'etait pour soutirer des sous aux pauvres, là c'est pour faire raquer les riches, alors c'est plus convenable. Avec plusieurs abonnements a 50 dollars par m...

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