Elisabeth Borne : "on a besoin de regarder la réalité en face au lieu de s'enfermer dans des visions technocratiques”

ENTRETIEN VIDÉO. Elisabeth Borne, ministre chargée des Transports, a été l'invité le 17 avril 2019 dernier des Mardis de l'Essec, dont La Tribune est partenaire. Retrouvez ici la vidéo de son intervention et le texte rédigé à l'issue par un des étudiants.

Les Mardis de l'ESSEC ont reçu ce mercredi 17 avril Elisabeth Borne, ministre chargée des Transports, ancienne responsable de la stratégie au sein de la SNCF (2002 - 2007) et directrice de la RATP (2015 - 2017).

Dans le champ lexical politique français, Elisabeth Borne et les transports sont à n'en pas douter des synonymes. Doux euphémisme que de dire que la politique ferroviaire n'a plus le moindre secret pour la ministre chargée des transports. Dotée d'un parcours sur les rails - SNCF, RATP - encore faut-il que ces connaissances techniques soient compréhensibles de tous, à l'heure où le jaune a embrasé une France, justement sur des questions de mobilité. Prix des carburants en hausse, et voilà qu'une crise sous-jacente émerge au grand jour. Car la voiture, symbole du déplacement, est bel et bien l'affaire d'une immense majorité des français.

Volontairement pédagogue, la Polytechnicienne s'est attachée à présenter, détailler et défendre l'action du gouvernement en matière de transport, s'efforçant toujours de poser un regard critique sur son action. Sous l'œil bienveillant du RER A, niché à quelques pas du grand amphithéâtre, ce débat aux côtés d'Elisabeth Borne fut l'occasion de mettre sur le devant de la scène cergyssoise les grands enjeux de la politique ferroviaire française, du futur des transports, des projets et législations en cours, mais également de découvrir la trajectoire d'une ministre souvent méconnue.

Quand transport et environnement font bon ménage,
quand la loi oriente la mobilité

Qui pensait que faire face aux fin de mois et à la fin du monde n'étaient pas des objectifs conciliables ? Que les kilomètres parcourus par les voitures et les trains ne pouvaient respecter le fragile écosystème de notre planète ? Sur le plateau des Mardis, déjà, François de Rugy avait dessiné les contours de la désormais célèbre "loi d'orientation des mobilités". Elisabeth Borne, co-responsable du projet aux côtés du ministre de la Transition écologique, en a fièrement repris le flambeau, présentant les principaux axes de la mobilité de demain et proposant une réponse impérative aux revendications des gilets jaunes quant aux problématiques du coût croissant du carburant : "La loi consiste à développer des solutions alternatives à la voiture (...) mais en même temps, pour les gens qui ont besoin de la voiture, nous accompagnons les français pour l'achat de véhicules plus propres"

Cette loi, Madame Borne la perçoit plus que jamais comme une réponse à "l'injustice". Injustice, d'abord, des territoires, entre "grandes agglomérations" dotées de transports en commun souvent remboursés et "petites villes" moins bien desservies ; injustice, ensuite, sur la réponse aux "besoins de transports" de chacun ; injustice, enfin, sur la "fiscalité", entre la hausse des prix du carburant et une transition encore timide vers les voitures électriques.

En substance, la ministre ne s'en est pas caché : cette loi est une réponse indispensable à la crise des gilets jaunes. Une réponse qui, elle l'espère, apportera des solutions concrètes et désamorcera les contestations du mouvement : "j'ai entendu dans la crise que l'on connaît depuis le mois de novembre l'expression des citoyens qui se sentent abandonnés (...) la loi apporte une des réponses à la crise des gilets jaunes"...

Imaginer le transport de demain : la SNCF sur de bons rails ?

A l'heure d'un monde hyperconnecté où le mouvement perpétuel structure l'économie, la mobilité s'inscrit comme un levier clé des politiques publiques et, plus globalement, comme l'une des préoccupations majeures des français. Plongé dans une véritable mutation, le secteur des transports doit constamment se réinventer, entre les impératifs écologiques, l'explosion des nouveaux moyens de locomotion et l'émergence des véhicules autonomes.

Les objectifs sont pluriels et complexes ; bien desservir les banlieues autour des grandes agglomérations - lecteurs cergyssois, ne l'oubliez jamais, le "RER A, c'est d'abord la ligne la plus performante d'Europe !" - tout en "décentralisant les réseaux" pour n'écarter aucune collectivité des circuits sociaux et économiques. Pour l'ancienne préfet du Poitou-Charente, aucun territoire ne devra être laissé sur le carreau. Suivant quelles modalités ? En s'appuyant notamment sur "le rôle des régions pour développer des services multimodaux", mais également sur le réseau ferroviaire de la Société nationale des chemins de fer français.

La SNCF, maison bien connue de la ministre, s'inscrit au cœur de cette problématique d'ouverture, le train étant, pour reprendre ses mots, le "bien public" par excellence, offrant à chaque individu la possibilité de voyager aux quatre coins de la France. Néanmoins, à l'heure de l'ouverture à la concurrence et des contestations récentes, notre compagnie ferroviaire nationale n'aurait-elle pas un léger train de retard ? Pour Madame Borne, l'émergence d'entreprises rivales est un faux débat, pour ne pas dire un leurre. La réforme n'est guère nouvelle et a déjà fait ses preuves au-delà des frontières françaises - voisins allemands et anglais en tête, et ce depuis de longues années.

Ainsi, la ministre n'omet pas de citer ses partenaires européens pour justifier une politique longtemps contestée :

"Quand de nouvelles entreprises sont venues chez nos voisins qui ont déjà ouvert leurs réseaux, le voyageur est gagnant à la fin."

Puis, en bonne ingénieure chevronnée, l'ancienne directrice stratégique de la SNCF s'est évertuée à rappeler quelques chiffres justifiant les décisions prises par le passé :

"On a changé l'organisation de la SNCF, on a ouvert à la concurrence et reprit les 35 milliards d'euros de dette (...) Une reprise de 35 milliards d'euros est un signe de confiance."

Électricité et mobilité : un courant qui passe mal ?

Bien que les deux termes ne riment pas, écologie et électricité sont devenus les nouveaux sésames des politiques publiques respectueuses de l'environnement. Dans cette relation aux contours idylliques, le transport peine encore à trouver sa place, devenant presque la quadrature du cercle. La voiture entre-t-elle en collision avec la Terre et Thomas Edison ? Pour la Ministre chargée des Transports, la question est loin d'être une découverte. Le problème est-même plus ancien : "On a du chemin à faire pour convaincre nos citoyens de passer à l'électrique car on leur a dit d'acheter du diesel pendant des années avant de leur dire que le diesel est scandaleux et qu'il pollue..."

Depuis de nombreuses années, ce discours semble être la panacée des hommes politiques regrettant la trop lente transition entre les énergies fossiles et renouvelables, entre le carburant polluant et l'électricité respectueuse de l'environnement. Si le constat n'est pas nouveau, la Ministre a néanmoins tenté de se montrer force de propositions, encourageant notamment une industrie qui pourrait dynamiser l'économie :

"C'est une bonne chose que nos industriels se mettent avec énergie dans la construction de véhicules électriques."

Encore faut-il que les entreprises soient locales. En effet, il n'apparaît pas envisageable que la France ne soit pas un acteur majeur de cette transition ; au risque de voir le continent asiatique dominer le marché avec à sa tête, l'empire du Milieu :

"L'électrique suppose une gestion durable des batteries. Un des défis est de ne pas faire en sorte que ces batteries soient produites uniquement en Asie (...) les chinois misent sur le tout électrique pour les bus."

Un propos assumé par la Ministre qui ajoute, plus que jamais déterminée :

"Le challenge de nos industriels est de savoir si ces bus seront chinois ou français. Je préférerais qu'ils soient français". Le Made in France, un combat de tous les instants qui, à n'en pas douter, ravira ses plus fervents défenseurs.

Technocratie et politique, deux wagons en collision ?

Lorsqu'il s'agit d'évoquer son sujet de prédilection - les transports - Elisabeth Borne ne manque ni de mots ni d'esprit. Mais rien de "technocratique" ! L'ancienne pensionnaire de l'X le martèle sans sourciller :

"Je suis convaincue qu'aujourd'hui on a besoin de regarder la réalité en face au lieu de s'enfermer dans des visions technocratiques."

Un pragmatisme à toute épreuve qui n'efface pas son souci du bon chiffre, de la définition juste ou du processus efficient. Toutefois, la fonction de ministre incombe des compétences dépassant le cadre pur de la connaissance. Cette dimension, au-delà d'une maîtrise parfaite des dossiers, d'un amour passionné pour le réseau à grande vitesse ou les finances du chemin de fer, n'est autre que la politique, dans son sens le plus noble du terme.

Des ambitions personnelles ? Jamais ! Pour la Ministre, l'unique objectif reste bien évidemment la garantie que " la loi sur la mobilité arrive à bon port". Des convictions ? Dans la mesure du raisonnable :

"Je vous confirme que j'ai été dans des cabinets ministériels de gauche auprès de Lionel Jospin", clame-t-elle, le ton un brin ironique.

Dès lors, pourquoi avoir rejoint aussi rapidement les rangs d'une République en marche, loin d'être le porte-drapeau du socialisme français ?

Madame Borne s'en explique ainsi :

"C'est une sensibilité que je ne renie pas, mais lorsque j'échange avec les parties de gauche je ne m'y retrouve pas; la pensée doit évoluer avec un monde qui évolue"

Le monde évolue, et avec lui, les certitudes d'une pensée. Mais comme vous le direz Madame Borne, "le pays a besoin de réformes profondes"... La réforme, encore la réforme, toujours la réforme. L'art de la politique semble définitivement avoir un train de retard.

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