« Notre ambition est de développer les conditions d’un numérique de confiance », Philippe Wahl ( Groupe La Poste)

Entreprise de proximité par essence, La Poste, dont l’existence remonte au XVe siècle, s’est adaptée à plusieurs révolutions industrielles. Se transformant au fil des siècles et des innovations, le Groupe, dont la distribution du courrier traditionnel ne représente plus que 20 % de son chiffre d’affaires, a su créer d’autres services avec la logistique colis, la banque-assurance, les services rendus à la personne et les services numériques. L’intelligence artificielle étant au cœur de ses préoccupations. Le point avec son PDG, Philippe Wahl. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°7 Décembre 2021)
(Crédits : Romuald Meigneux)

Face à la défiance ambiante, comment dédramatiser le progrès apporté par les nouvelles technologies ? Après tout, que ce soit dans le quotidien ou au travail, la vie a toujours évolué...

Philippe Wahl Il y a toujours eu de la défiance vis-à-vis du progrès, considéré comme une menace. L'illustration la plus emblématique en France est sans doute la révolte des canuts, les soulèvements ouvriers qui ont eu lieu à Lyon, capitale de la soie, à la fin du XIXe siècle. La notion de progrès a longtemps été étroitement associée à la destruction d'emploi. À cela s'est ajouté le fait que le progrès a pu entraîner d'autres phénomènes, qui vont de la pollution au surtravail. Difficile, alors que ces effets néfastes sont constatés tous les jours, sur le terrain, de demander aux citoyens de considérer que le progrès est par principe un bienfait... En outre, il est entaché d'un autre soupçon, celui d'aller dans le sens d'une volonté toujours plus forte de profit de la part des employeurs. Pour en faire la pédagogie, il faut donc pouvoir montrer ce que le progrès apporte de positif : une vie meilleure en général, une amélioration des conditions de travail pour les salariés. Cela rejoint notre façon d'innover et de partager le progrès à l'extérieur de l'entreprise avec nos clients, comme à l'intérieur avec les postiers. Quand nous mettons à disposition des postiers un bras articulé pour le port de charge, c'est l'exemple même du progrès au bénéfice des conditions de travail. Quand on a lancé le service d'envoi de colis depuis la boîte aux lettres on savait qu'il serait utile pour nos clients, preuve en est, près de 6 millions de colis sont déjà expédiés chaque année grâce à ce service !

La nécessité d'accompagner socialement ces évolutions pour qu'elles servent véritablement à tous vous apparaît-elle comme primordiale ?

Ph.W. Absolument. Si l'on veut défendre le progrès, il faut d'abord l'expliquer et montrer concrètement ce qu'il apporte. Bien sûr, l'automatisation touche nombre d'emplois mais d'autres emplois se créent, avec moins de pénibilité. L'évolution de l'économie de marché passe, depuis deux siècles, par la transformation des technologies et l'évolution de la structure de l'emploi. C'est pourquoi il est fondamental de travailler sur l'évolution des compétences, la requalification, la reconversion, et nous sommes fondamentalement engagés dans cela.

La Poste a adopté un plan stratégique pour 2030, résolument tourné vers le numérique et l'intelligence artificielle. Pensez-vous que votre action ira dans le sens d'une moindre défiance, ou d'une plus grande confiance, de la part des citoyens face à ces technologies, puisqu'elle les inscrit dans leur vie de tous les jours ?

Ph.W. C'est effectivement notre but : expliquer, former, maîtriser, donner confiance... Au fur et à mesure que le grand public s'approprie la technologie, qu'il en perçoit l'intérêt dans sa vie quotidienne, mais aussi les risques en matière d'intimité numérique, cette prise de conscience va dans le bon sens. Notre ambition stratégique telle que décrite dans notre plan « La Poste 2030, engagée pour vous » est de développer les conditions d'un numérique de confiance. Nous nous positionnons comme un tiers de confiance, nous transposons dans les échanges numériques la confiance que les Français nous accordent dans le monde physique. Créer de la confiance permet d'aider les gens à utiliser les technologies. Autre point important : l'inclusion numérique. Elle est au cœur des enjeux prioritaires que nous menons avec notre actionnaire majoritaire la Caisse des Dépôts. Notre objectif est très concret : il s'agit d'accompagner chaque année les personnes en situation d'illectronisme. C'est ce que nous faisons dans les bureaux de poste France service en facilitant les démarches administratives en ligne. Nous venons également d'annoncer la mise en place de conseillers numériques dans des bureaux de poste en zone rurale et dans les quartiers prioritaires de la ville.

Quels sont les enjeux, selon vous, de cette révolution pour La Poste et ses services aux usagers ?

Ph.W. Nous n'avons jamais opposé nos métiers historiques au numérique. Lorsqu'on pense à la distribution du courrier, on oublie la complexité technologique qu'il y a derrière. Certes, l'usage du courrier baisse massivement, mais il reste toujours un besoin de proximité humaine, un besoin de confiance. Et c'est ça l'avenir de La Poste. Hier avec la lettre, aujourd'hui avec le colis, la banque, les services de proximité rendus par les facteurs et les services numériques. L'un des objectifs fondamentaux du Groupe La Poste est de retisser le lien entre l'humain et les technologies. Et dans le monde numérique, nous offrons aux gens des services de confiance qui les protègent.

Quels sont les apports du numérique et de l'intelligence artificielle dans les services de La Poste actuellement ?

Ph.W. Les exemples sont nombreux. La Poste a un rôle particulier en ce qu'elle démocratise l'accès à l'innovation et à la technologie. Prenons l'exemple de l'identité numérique. Nous proposons dans tous nos bureaux de poste la création gratuite d'une identité numérique certifiée au niveau substantiel par l'ANSSI. Cette identité numérique simplifie les démarches en ligne, protège contre les risques d'usurpation d'identité et permet d'accéder à plus de 900 services en ligne. Autre exemple : Digiposte. Avec ce coffre-fort numérique, vous pouvez, en un seul endroit, stocker, récupérer, classer et partager automatiquement vos documents importants (impôts, relevés bancaires, assurance, électricité, fiches de paie...). Ce sont déjà 6 millions de personnes qui utilisent ce service ! Nous accompagnons aussi les commerçants, en mettant à leur disposition une plateforme de vente en ligne qui inclut des services logistiques de livraison à domicile. Le service s'appelle « Ma Ville Mon Shopping » et montre bien là aussi le lien que nous créons entre l'humain et la technologie. Quant à l'IA, elle est déjà partout dans nos métiers, dans la lecture optique du courrier, dans la gestion de nos flux logistiques comme dans la lutte contre la fraude bancaire. On le sait peu, mais La Poste constitue aujourd'hui l'un des principaux pôles d'expertise en IA en France avec nos sociétés Probayes et Openvalue. Nous utilisons l'IA pour accélérer notre propre transformation et également pour accompagner les projets de nos clients.

Et à l'avenir ?

Ph.W. Bientôt, on pourra échanger en ligne et par messagerie vocale en direct avec son facteur. Le dispositif est actuellement testé en région Sud. L'année prochaine, il sera possible de prendre un rendez-vous, en 24 heures, pour réaliser à domicile, des prestations que l'on trouve habituellement en bureau de poste. Autre nouveauté, si l'on peut déjà, avec Colissimo, suivre le parcours d'un colis, on pourra bientôt géolocaliser tous les points d'accès à un service postal à proximité de là où l'on se trouve, et vérifier leurs heures d'ouverture avec l'appli La Poste. Mais ces quelques exemples - et il y en a beaucoup d'autres - ne sont pas tout ! En début d'année, nous avons annoncé un partenariat avec l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA), un acteur de référence mondiale avec lequel nous partageons les mêmes valeurs. Avec Bruno Sportisse, PDG d'INRIA, nous plaçons la question de la confiance dans le numérique au cœur de notre collaboration. Nous voulons ensemble contribuer à la souveraineté numérique française. Pour La Poste, ce partenariat est aussi un accélérateur d'innovations numériques. Nos équipes travaillent ensemble sur des sujets fondamentaux tels que la protection des données personnelles, notamment dans le domaine très sensible de la santé, l'éthique de l'intelligence artificielle ou bien encore l'écoconception des solutions numériques. Ces champs de collaboration nous aideront à répondre aux enjeux posés par la digitalisation de la société.

Votre plan stratégique prévoit également de former tous les postiers au numérique d'ici 2025. Combien ont déjà été formés ? Adoptent-ils facilement l'intelligence artificielle ?

Ph.W. Les postiers ont intégré depuis des années le numérique dans la pratique de leurs métiers. Les facteurs par exemple utilisent un smartphone - Factéo - pour assurer leurs tournées, réaliser des opérations courantes comme la signature des lettres et des colis suivis, la réexpédition, la gestion des procurations, mais aussi pour délivrer de nouveaux services de proximité comme les visites au domicile des personnes âgées. Le numérique est une grande opportunité de développement de nos métiers existants. Et l'intelligence artificielle n'est pas une menace pour le travail des postiers. Avoir confiance dans le progrès passe par la compréhension et la pédagogie. En ce sens, la formation est un vecteur-clé. Depuis le lancement de notre nouveau plan stratégique en février dernier, plus de 20 000 postiers ont déjà suivi une formation au numérique.

De même, la formation de 5 000 employés de La Poste en tant qu'experts de la data et des 40 000 managers et commerciaux de La Poste à l'utilisation de l'intelligence artificielle dans leurs pratiques professionnelles est prévue...

Ph.W. Oui, les postiers suivent la formation Objectif IA créée par l'Institut Montaigne. Nous accompagnons aussi ceux qui souhaitent évoluer vers d'autres métiers comme codeurs ou data scientists. Pour atteindre ces objectifs, nous déployons des parcours de formation préparant aux enjeux de la data et de l'intelligence artificielle dans nos métiers. Nous avons noué par exemple un accord avec l'école Simplon dans le but de former des postiers au code. Des facteurs et des factrices ont fait le choix de devenir développeurs web. Plusieurs dizaines de postiers ont décidé cette année de se reconvertir dans les métiers de la data.

Mais plus qu'une révolution technologique, c'est une révolution stratégique, sociale et environnementale que vous avez lancée, semble-t-il...

Ph.W. La Poste est engagée dans une profonde transformation pour faire face aux évolutions de la société. Le courrier traditionnel, notre métier historique, représente aujourd'hui moins de 20 % de notre chiffre d'affaires. Nous avons beaucoup diversifié nos métiers, nous sommes à la fois un acteur de la logistique, de la banque-assurance, des services de proximité et des services numériques. Nous sommes présents en France comme à l'international, où nous réalisons maintenant 40 % de notre chiffre d'affaires. Nous accompagnons les grandes transitions de la société qu'elles soient, démographique, digitale, environnementale, territoriale ou sociale. C'est en effet une transformation profonde que nous menons avec les postières et les postiers. Et la colonne vertébrale de nos activités est et restera la proximité. La Poste est et restera une entreprise engagée, au service de millions de personnes.

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Cet article est extrait de "T" La Revue de La Tribune n°7 - DOIT-ON CROIRE AU PROGRES? Décembre 2021 - Découvrez sa version papier disponible en kiosque et sur notre boutique en ligne.

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Commentaires 5
à écrit le 13/02/2022 à 13:27
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Discours lunaire, complètement à coté de la plaque... Le progrès c'était avant... y'en a plus, il était complètement corrélé à une matière faux cils, des faux semblant, l'humanité va très vite dé pulluler j'vous l'dis !

à écrit le 13/02/2022 à 13:24
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Les couches confiances.... à partir d'un certain age, c'est pas du luxe !

à écrit le 13/02/2022 à 9:49
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Toujours a confondre "innovation" et "progrès", si l'un est technique, l'autre est humain!

à écrit le 13/02/2022 à 9:46
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Un numérique de confiance pourquoi faire? A part comptabiliser le troupeau et suivre ses démarches, il n'y a pas beaucoup d'avenir!

à écrit le 12/02/2022 à 20:30
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Une honte, qu'il sorte un peu de son bureau où il compte l'argent des heures supplémentaires qu'il refuse de payer. Les objectifs de 2022 ne seront pas atteint pour la poste. Les facteurs n'ont plus aucune confiance envers la poste.

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