Transport fluvial : le port du Havre prêt à tordre le cou à un serpent de mer

Taillés pour accueillir les méga porte-conteneurs, les terminaux havrais restent encore inaccessibles à la plupart des péniches, hypothéquant le développement du trafic fluvial. En réponse, le port veut leur ménager un chenal d’accès protégé. Encalminé depuis un quart de siècle, le projet, connu sous le nom de « chatière », entre dans sa dernière ligne droite.
La digue qui protège Port 2000, ici en photo, devrait être prolongée pour permettre à l'entièreté de la flotte fluviale de transport de marchandises d'y accéder sans risque de chavirage.
La digue qui protège Port 2000, ici en photo, devrait être prolongée pour permettre à l'entièreté de la flotte fluviale de transport de marchandises d'y accéder sans risque de chavirage. (Crédits : Haropa Port)

Mal de mer interdit pour les rares bateliers autorisés à accoster au pied des porte-conteneurs en escale sur les quais de Port 2000. En raison de la houle, le port en eaux profondes construit au milieu des années 2000 au Havre pour recevoir ces méga navires n'est accessible que par temps calme aux péniches qui, sinon, risqueraient le chavirage. Et encore, les heureuses élues doivent-elles être spécialement carrossées pour obtenir le droit de passage.

L'Etat avait bien envisagé dès 1997 de ménager un accès direct pour la flotte fluviale aux futurs terminaux en prenant modèle sur les ports d'Europe du Nord acculturés à ce mode de transport. Las ! Malgré les demandes insistantes des professionnels, le projet avait sombré dans les oubliettes, faute de financement.

Réduire le temps et le coût d'acheminement des marchandises

Vingt-cinq ans, une concertation(*) et des tombereaux d'études plus tard, il refait surface. Cette fois, pour de bon.

La préfecture de Seine-Maritime s'apprête à lancer, le 1er décembre (et jusqu'au 16 janvier) l'enquête publique qui devrait déboucher, l'an prochain, sur la construction d'un chenal maritime d'accès d'une centaine de mètres de large protégé par une digue de 1,8 kilomètre de long.

Connue sous le nom de « chatière », l'installation doit permettre aux navires fluviaux d'embarquer directement les « boîtes » depuis le pont des porte-conteneurs avant d'aller desservir le ventre de Paris. Autrement dit, sans passer par des modes d'acheminement intermédiaires longs et coûteux : les fameuses « ruptures de charge » que redoutent les logisticiens.

Le fluvial, maillon faible

Coût de l'opération : 125 millions d'euros, financés pour les deux tiers par la Région Normandie qui lui a sauvé la mise, pour 20% par l'Europe et pour le reste par l'Etat (3%) et Haropa Port (11%) qui en assurera la maîtrise d'ouvrage.

Bien que la facture soit salée, le jeu en vaut la chandelle pour les autorités portuaires de la vallée de Seine. Elles jurent que la chatière aura un effet roboratif sur le trafic fluvial, maillon faible du port du Havre où il plafonne en dessous de 10%, à peine plus que le rail (5%), et infiniment moins que la route (85%).

Jusqu'à 250 conteneurs par convoi fluvial, contre un seul par poids-lourd

Selon une étude réalisée par le groupe d'ingénierie Setec, le taux de report modal sur le fleuve pourrait être porté à 12% à l'ouverture du chenal en 2025 et à 13,4 % en 2040. Une ambition mesurée mais, tout de même, de quoi retirer des dizaines de milliers de camions de la route sachant que les plus capacitaires des barges sont capables d'emporter 250 conteneurs en un seul voyage, contre un seul pour un poids-lourd.

Pour les responsables portuaires, plusieurs autres raisons plaident en faveur de la réalisation de ce nouvel accès, à commencer par le durcissement annoncé de la ZFE (zone à faibles émissions) parisienne. Laquelle promet de barrer la route aux camions les plus polluants. « La massification du trafic, rendue possible via le mode fluvial, est un levier fort pour diminuer les émissions de CO2 », rappellent-ils.

Dans leur ligne de mire également, la construction du canal Seine-Nord Europe dont les Havrais redoutent qu'il n'ouvre une voie royale vers l'énorme bassin de consommation francilien au grand rival d'Anvers, connu pour être fluvial friendly.

Attention, milieu fragile

Malgré cet argumentaire recevable à l'ère de la décarbonation, le projet est loin de faire l'unanimité. Témoins, les avis passablement réservés émis cet été par trois organismes : l'Autorité environnementale (l'Ae), le Conseil scientifique de l'estuaire, et le Conseil de protection de la nature. Seul ce dernier pouvait y opposer son veto. Il s'y est dit favorable mais à la condition expresse qu'Haropa mette en œuvre « des mesures de réduction et de compensation supplémentaires ».

Tonalité à peine plus aimable au sein de l'Ae qui pointe « une approche insuffisante de la préservation de l'environnement » et « un abandon trop rapide d'autres solutions plus respectueuses ». De son côté, le Conseil de l'estuaire déplore que « cette artificialisation supplémentaire entre en contradiction avec la volonté affiché par Haropa de refaire le port sur le port ». On a connu propos plus enthousiastes.

La grogne gagne aussi le Comité régional des pêches et plusieurs associations environnementales, vent debout contre un projet accusé de « sacrifier l'estuaire de la Seine, ses habitants, ses ressources et ses fonctionnalités ».

« Haropa Port a choisi la solution la plus dommageable pour l'écosystème marin, au prétexte d'allier compétitivité et transport plus écologique », pestent-ils dans un communiqué commun.

Pour les signataires, qui se disent favorables au mode fluvial, des solutions alternatives existent et « doivent être réellement étudiées ».

Critiques sur le montage financier

Le montage financier de l'opération est également critiqué.

« C'est principalement le contribuable normand qui mettra la main à la poche pour un ouvrage qui permettra de transporter des marchandises destinées surtout à la région Île-de-France », s'étonnent-ils.

On le voit, l'enquête publique, qui a déjà été repoussée à deux reprises, risque de s'ouvrir dans un climat houleux. Hasard (ou pas) du calendrier, son lancement coïncidera avec la tenue au Havre du River Dating, grand-messe européenne annuelle des professionnels du transport fluvial et de la logistique multimodale. Un événement au cours duquel la « chatière » peut espérer recevoir un accueil plus positif.

___

NOTE

(*) La concertation s'est tenue en 2017 sous l'égide de la Commission nationale du débat public (CNDP).

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 16/11/2022 à 13:22
Signaler
on va dire que les maga portes containers ne veulent pas etre les otages de la cgt, et qu'ils preferont aller a asmterdam rotterdam, tout comme les bateaux preferent genes a marseille.......vous croyez vraiment que la fachosphere de gauche va continu...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.