Axe Seine : vers un nouvel âge d’or du transport fluvial ?

Quand il s’agit de livrer le ventre de Paris, rares sont les distributeurs qui choisissent les méandres du fleuve de préférence aux virages de l’A13. Sans doute plus pour longtemps. Tout converge en faveur d’un renouveau du fret fluvial sur la Seine. Tour d’horizon des forces et faiblesses d’un mode de transport COPcompatible.
Chiffons rouges pour le transport routier, la mise en place des Zones à Faibles Emissions, la limitation de la vitesse à 30 km/h dans la capitale et les multiples restrictions de circulation -mais aussi dans une moindre mesure la pénurie inédite de chauffeurs- sont pain béni pour la voie d'eau.

Soixante millions de tonnes dans les années 60, un peu plus vingt millions de tonnes aujourd'hui. Depuis que le pétrole, charrié dans des pipelines, ne voyage plus par la Seine, le fleuve qui relie la mer la plus fréquentée du globe à l'énorme bassin de consommation francilien n'a jamais retrouvé son niveau de trafic de l'après-guerre. Une fatalité ? Pas si sûr. Avec les changements que commande la crise climatique, l'heure du grand retour de la barge pourrait bien avoir sonné. Aujourd'hui essentiellement circonscrite au transport de céréales et de matériaux du BTP, elle a rarement bénéficié de vents aussi favorables.

Quand le fluvial se remet à flot

Chiffons rouges pour le transport routier, la mise en place des Zones à Faibles Emissions (ZFE), la limitation de la vitesse à 30 km/h dans la capitale et les multiples restrictions de circulation -mais aussi dans une moindre mesure la pénurie inédite de chauffeurs- sont du pain béni pour la voie d'eau. Chassés du bitume, les grands commerçants commencent à regarder de près les opportunités qu'offre le fleuve pour livrer l'Ile-de-France. Stéphane Raison, directeur d'Haropa, l'établissement qui coiffe les ports de Paris, de Rouen et du Havre, le confirme. « Le fluvial c'est 7 jours sur 7, 365 jours par an et zéro congestion. D'où la multiplication des manifestations d'intérêt de la part des chargeurs ».

Certains sont passés à l'acte, il y a peu, à l'instar du géant suédois du meuble en kit. Installé depuis 2020 dans un entrepôt sur le port fluvial de Gennevilliers, Ikea construit un second centre de distribution de plus de 70.000 m2, un peu plus en aval, dans le port de Limay d'où il approvisionnera ses clients particuliers et ses magasins parisiens à horizon 2026. L'été dernier, c'est aussi le roi de la pâte à tartiner qui a franchi le Rubicon. Bien que ses dirigeants reconnaissent que l'opération n'est pas rentable faute de chargement en retour, Ferrero expédie chaque semaine, depuis Rouen, une barge chargée de 22 palettes. Direction : les entrepôts de Monoprix dans la capitale. Un pari sur l'avenir.

« Bye bye, l'Homme de Picardie »

Mais pour quelques-uns qui délaissent la route pour le fleuve, combien restent à quai ? « Il nous faut encore convaincre les clients, et notamment les PME, de basculer leurs chaînes logistiques, ce qui reste compliqué », concède le patron de VNF (Voies Navigables de France). Parmi les freins, l'image poussiéreuse que renvoie trop souvent le transport fluvial n'est pas le moindre. Thierry Guimbaud, le directeur général de Voies navigables de France (VNF), l'admet volontiers. « Il faut combattre les idées reçues et dire définitivement bye bye à l'Homme de Picardie », tance t-il. Allusion à un vieux feuilleton à succès sur la batellerie que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître.

Plus en forme que le rail, l'écosystème fluvial fait pourtant son aggiorniamento. Lentement mais sûrement. Conteneurs, palettes, vracs, colis lourds, transports exceptionnels...Il est désormais capable de tout embarquer depuis des produits frais ou de la cosmétique en passant par des turbines d'éoliennes ou des éléments de charpente. « Les barges de 1.200 tonnes sont en voie de disparition, elles dépassent presque toutes les 2.000 tonnes », souligne Antoine Berbain, en charge de la multimodalité chez Haropa. Le nombre de compagnies opérant sur la Seine s'est étoffé : les artisans bateliers de la SCAT côtoient des opérateurs musculeux tels que Sogestran, Greenmodal, Bolloré Logistics ou Marfret. A terre, les terminaux s'agrandissent et se modernisent pour offrir davantage d'espaces de stockage et une manutention optimisée.

La voie d'eau en mode agile

« Il y a une vraie excellence opérationnelle et une capacité à gérer les pics d'activité », observe Olivier Martineau, logistic manager du groupe Adeo (Leroy Merlin, Bricoman), utilisateur de la voie d'eau depuis quinze ans, qui a fait transiter 2.000 conteneurs sur le fleuve en 2020. Pour cibler de nouveaux marchés, on innove à tour de bras. Le havrais Sogestran, qui mettra bientôt à l'eau une barge hydrogène, a ainsi conçu pour le groupe rouennais Cuillier, spécialiste de la construction bois, une « Flexi-Malle » sans parois pour transporter ses panneaux jusqu'aux chantiers parisiens. Une rampe de lancement pour Amélie Cuillier, sa directrice. « Comme accéder à Paris devient de plus en plus compliqué, on peut imaginer que, demain, 100% du volume qui lui est destiné passe par le fleuve », fait-elle valoir.

Hier zone grise du numérique, le secteur se digitalise à marche forcée. VNF et Haropa ont inauguré, cet été, une sorte de Waze du fleuve sous le nom de SIF Seine : un service d'information fluviale qui renseigne en temps réel sur la disponibilité des ouvrages, l'état du trafic ou les niveaux d'eau. Editeur de solutions logicielles pour faciliter le commerce international, le groupe Soget a lancé, avec l'agence TK Blue spécialisée dans la performance éco responsable, un outil (le S'One Green) qui mesure automatiquement l'empreinte carbone d'une expédition. Sa cible : les transporteurs et les chargeurs contraints à un reporting extra-financier. « Il couvre l'ensemble de la Seine et peut être utilisé indifféremment pour une cargaison de blé ou pour un ou dix conteneurs », vante Hervé Cornède, directeur de la Soget.

THC, trois lettres qui fâchent

Pour espérer massifier les trafics, le transport fluvial devra toutefois trancher un nœud gordien, celui de l'harmonisation des THC ou Terminal Handling Charge : une taxe due pour la manutention de la marchandise. Sur la plupart des terminaux, il revient en effet plus cher de charger une barge qu'un camion. Le différentiel peut aller jusqu'à cinquante euros pour un conteneur (!) sur l'axe Seine. Si certains gros clients, tel Leroy Merlin, parviennent à négocier des tarifs avantageux, ce surcoût dissuade les plus petits joueurs.

Les pouvoirs publics promettent que le dossier -une vieille antienne connue des utilisateurs de la voie d'eau- est en haut de la pile. « L'Etat a lancé une mission, nous allons régler ce problème endémique », assure Stéphane Raison avec la foi du charbonnier. Le patron d'Haropa, connu pour avoir œuvré à l'harmonisation des THC dans le port de Dunkerque, concède cependant que « cela prendra un peu de temps ». Combien ? L'histoire ne le dit pas.

Le verrou des infrastructures

Autre obstacle au développement, le sous dimensionnement de certaines infrastructures qui empêche la circulation de grands convois fluviaux sur plusieurs portions de la Seine. C'est le cas dans l'Oise entre Creil et Compiègne où l'on espère toujours la mise au gabarit européen promise par le projet Mageo (350 millions d'euros). De même entre Bray et Nogent dans l'Yonne où le groupe Soufflet, premier exportateur français de céréales, s'impatiente. « Sans la mise à grand gabarit, il sera très compliqué de pérenniser le trafic sur le Grand Est », prévient Lionel Le Maire, directeur transport et logistique.

Plus en aval, c'est l'impossibilité pour les barges d'accéder au pied des porte-conteneurs escalant dans le port rapide du Havre qui pose problème. Là encore, une vieille antienne, elle est en passe de trouver sa résolution. Réanimé par la Région Normandie au terme de quinze ans d'atermoiements, ce projet à 125 millions d'euros dit de la châtière (en fait une digue protégeant la darse de la houle) devrait entrer en service en 2023. Il entre en débat public le 22 novembre.

Le coup de pub des JO

On le voit, le mode fluvial s'il a le vent en poupe doit encore changer de braquet pour pouvoir rivaliser avec la route. « C'est un mode avant tout artisanal qui doit aller vers des process plus industriels », recommande Olivier Jamey, président de Seine Port Union, un groupement d'un millier d'entreprises qui opère sur le fleuve. Pour autant, les derniers indicateurs sont encourageants. Dopé par les chantiers du Grand Paris, le trafic a retrouvé et même dépassé ses niveaux de 2019 au premier semestre 2021.

De quoi donner du crédit à la convention de partenariat que viennent de signer VNF et Haropa. Les deux établissements publics s'y engagent à mettre tout en œuvre pour développer l'usage de la voie d'eau. Ils se donnent trois ans, jusqu'en 2024, pour lever les principaux verrous. La date ne doit rien au hasard. « La cérémonie des JO se déroulera sur la Seine, rappelle Stéphane Raison. On a dix ans de publicité assurée ! Il faut travailler vite ». D'autant plus vite que la construction du Canal Seine Nord risque d'offrir une voie royale vers Paris aux grands ports rivaux du Nord de l'Europe, acculturés depuis longtemps à la marine d'eau douce.

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Commentaires 3
à écrit le 15/11/2021 à 15:50
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Mieux vaut tard que jamais

à écrit le 15/11/2021 à 10:19
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Tout est question d'organisation, de logistique. C'est plus lent (mais de capacité très augmentée, une péniche peut remplacer qq centaines de camions) que les camions mais pour la routine, ça doit être gérable, il suffit d'ajouter ça dans les choix d...

à écrit le 15/11/2021 à 8:30
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TOUT ce qui peut enlever des camions de nos routes est bon à prendre surtout depuis que le gouvernement les a autorisé à prendre 4 tonnes de charge supplémentaire, déjà aberrant ils ne peuvent que polluer l'air et nos oreilles encore plus tout en ané...

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