
[Article publié le 13.02.2023 à 17:20, mis à jour à 20:00]
Fait rare au milieu des habituels rapports de force et bras de fer entre les instances politiques européennes, le Parlement européen et la Commission européenne sont sur le point de s'engager pour lancer une stratégie européenne du vélo. Celle-ci ambitionne à la fois de doubler l'usage du vélo en Europe d'ici 2030, mais aussi de développer fortement la production de vélos au sein de l'Union alors que les importations venues principalement d'Asie occupent une large place du marché.
Selon Karima Delli, présidente de la commission Transports et tourisme du Parlement européen, c'est la première fois que les deux institutions coopèrent de la sorte. Enthousiaste, elle n'hésite pas à parler d'une « révolution » et d'un « tour de force car tous les partis politiques sont d'accord », avec pour la première fois la reconnaissance du vélo comme « un mode de transport à part entière » et « surtout la volonté de refaire des vélos Made in Europe ».
Cette séquence est attendue la semaine prochaine à Strasbourg, où les eurodéputés se réuniront en séance plénière. Une prise de parole de la Commission européenne est programmée le mercredi 15 février. Elle intervient une semaine après l'adoption d'une résolution sur le sujet par la commission Transports et tourisme du Parlement européen à l'unanimité moins une voix et qui sera soumise au vote de l'ensemble des eurodéputés le lendemain.
« Le vélo arrive de plein fouet avec une véritable politique au même titre que les autres modes de transport », Karima Delli, présidente de la commission Transports et tourisme du Parlement européen.
Dans la foulée, la Commission européenne étudiera les propositions parlementaires pour bâtir pour bâtir sa feuille de route, même si elle conserve la possibilité de s'en affranchir. Certaines des idées développées par les eurodéputés ont néanmoins déjà été saluées par le vice-président de la Commission, Frans Timmermans, chargé du Pacte vert pour l'Europe. Lors d'une conférence précédent le Grand départ du Tour de France 2022, en juillet dernier, et à laquelle participait également Karima Delli, le commissaire avait appelé à « travailler ensemble avec le Parlement européen sur une déclaration européenne interinstitutionnelle pour plus de vélo en Europe ».
Si la Commission se reconnaît dans les bases posées par le Parlement, le processus législatif pourrait aller vite, son objectif étant de boucler les sujets en cours avant les prochaines élections européennes de 2024. D'autant qu'un processus de « trilogue » (négociations entre la Commission, le Conseil de l'Union européenne et le Parlement) sera nécessaire pour valider les modalités de cette stratégie et de son application, notamment le volet financier qui n'a pas encore été défini.
Doubler le nombre de kilomètres
En attendant, la résolution parlementaire pose plusieurs objectifs. Elle demande avant tout à la Commission européenne « d'élaborer une stratégie européenne dédiée au vélo dans le but de doubler le nombre de kilomètres parcourus à vélo en Europe d'ici 2030 », en l'intégrant par exemple dans le réseau transeuropéen de transport (RTE-T, programme de développement chargé d'interconnecter les grands axes européens) au même titre que les autres modes de déplacements.
De même, elle « encourage les États membres et les autorités locales à augmenter sensiblement les investissements dans la construction d'infrastructures cyclables séparées » et les systèmes de vélos en libre-service. Au vu de leur potentiel de croissance, les vélos à assistance électrique bénéficient d'une attention particulière que ce soit pour l'encadrement juridique des usages ou le renforcement des infrastructures dédiées (bornes, parkings...).
Sur le volet production, la commission des transports du Parlement appelle à intégrer pleinement le vélo, « y compris la fabrication de batteries pour les vélos électriques et l'économie circulaire », dans la stratégie industrielle de l'Union pour les mobilités. Elle demande ainsi un soutien de la part de la Commission européenne et des Etats membres pour développer la production de vélos et de composants « Made in Europe », avec un renforcement de la compétitivité des acteurs locaux et la création de pôles professionnels dédiés. Selon cette résolution, le marché doit être aussi stimulé par une réduction des taux de TVA « pour la fourniture, la location et la réparation de vélos et de vélos électriques »
30 millions de vélos neufs par an
A l'heure actuelle, le marché européen représente un peu plus de 20 millions de vélos neufs vendus chaque année. Relativement stable depuis plusieurs années, il est promis à une croissance forte à moyen terme avec notamment l'émergence des vélos à assistance électrique. Selon les projections du syndicat professionnel Cycling Industries Europe (CIE), la Confédération européenne de l'industrie du vélo (Conebi) et la Fédération européenne des cyclistes (ECF), le marché devrait atteindre 30 millions d'unités vendues en 2030, dont la moitié de vélos électriques contre 10 % environ actuellement.
Avec cette stratégie européenne et la volonté de doubler les usages, les chiffres pourraient être sensiblement revus à la hausse. Cela pourrait se traduire également en termes d'emplois tant pour la production et les services associés. La proposition parlementaire évalue ainsi que « l'écosystème cycliste de l'Union européenne représente déjà plus de 1.000 petites et moyennes entreprises (PME) et 1 million d'emplois ». Si la stratégie qui se dessine actuellement porte ses fruits, le potentiel de création d'emplois est évalué à 1 million supplémentaire d'ici à 2030.
De plus en plus d'importations
Néanmoins, cette perspective de croissance ne pourra se concrétiser, du moins pour les emplois industriels, qu'au prix d'un renforcement très significatif du « Made in Europe ». Dans le cas contraire, elle pourrait profiter avant tout aux constructeurs étrangers qui s'accaparent actuellement une large part du marché du vélo en Europe (même si les chiffres varient quelque peu selon les calculs). Après un recul dans les années 2010, elle est fortement reparti à la hausse en 2021.
D'après Eurostat, l'office statistique de l'Union européenne, les 27 ont importé 5,74 millions de vélos non électriques en 2021, soit près du tiers des ventes réalisées sur leur territoire, pour une valeur de plus d'un milliard d'euros. C'est surtout une hausse de 17 % par rapport à 2020. Pour les vélos électriques, le constat est encore plus flagrant avec 1,15 million d'importations sur un marché de l'ordre de 2 millions d'unités. C'est une hausse de 37 % par rapport à 2020. La valeur de ces importations est estimée à 850 millions d'euros.
Selon le député français Guillaume Gouffier Valente (Renaissance), qui a remis un rapport en janvier 2022 dans le cadre de la mission sur la filière économique du vélo en France, ces chiffres pourraient même être supérieurs. Il estime ainsi les importations à « près de 8 millions de vélos par an (classiques et électriques) ou 40% du marché ».
L'Asie, petite reine en Europe
Ces vélos extracommunautaires viennent très largement d'Asie. Sur le non électrique, le Cambodge et Taïwan s'accaparent plus de la moitié des importations européennes, suivis de la Chine (10%), du Bangladesh (8%) et de la Turquie (5%). Sur l'électrique, Taïwan représente à lui seul 57 % des flux, loin devant la Suisse (13%), le Vietnam (11%), la Chine (7%) et la Turquie (6%).
Déjà prégnant sur le nombre de vélos, le poids des importations est encore plus fort lorsque l'on regarde la production des pièces assemblées ensuite en Europe. Dans son, le député Guillaume Gouffier Valente mentionne ainsi que certains éléments sont produits très largement, voire exclusivement en Asie. C'est le cas de la direction (100 % en Asie), de la transmission (95 %), du cadre et de la fourche (90 %), des freins (90 %)... A contrario, les moteurs (pour les vélos électriques) viennent pour la moitié d'Europe, les éclairages aux deux tiers et les roues exclusivement.
Déséquilibres européens
Léger point positif selon Eurostat, les exportations de l'Union augmentent également de façon significative, mais dans des volumes près de quatre fois inférieurs. Elles représentent ainsi environ 1,8 million de vélos, électriques ou non, pour une valeur d'un peu plus de 900 millions d'euros.
Derrière ces grands chiffres, se cachent aussi des disparités entre les pays européens : la France produit quatre fois moins de vélos qu'elle n'en consomme, soit 720.000 unités à peine, tandis que les Pays-Bas et la Pologne sont quasiment à l'équilibre. Le Portugal est le plus gros producteur européen avec 3 millions de vélos, mais un faible consommateur avec un marché essentiellement à l'export (en Europe ou ailleurs).
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