« L'accélération de la mutation écologique des entreprises viendra du numérique » (Gianmarco Monsellato Deloitte)

Dans le cadre de notre dispositif spécial « Journée mondiale du climat » du 8 décembre, le président de Deloitte France et Afrique francophone, Gianmarco Monsellato, s'exprime sur un sujet cher au cabinet international d'audit et de conseil, la lutte contre le dérèglement climatique. Les entreprises, selon lui, en sont le fer de lance.
Gianmarco Monsellato, président de Deloitte France et Afrique francophone
Gianmarco Monsellato, président de Deloitte France et Afrique francophone (Crédits : DR)

LA TRIBUNE- Les entreprises s'emparent désormais des enjeux climatiques... Notez-vous parmi vos clients une accélération de cette prise de conscience ?

GIANMARCO MONSELLATO - En fait, les entreprises ont été en avance ! Je ne parle pas de Deloitte, qui a structuré son offre de conseil en développement durable depuis plus de 10 ans, mais de nos clients, des organisations elles-mêmes. Elles ont été en avance sur la réglementation, qui, depuis, s'est mise en place en Europe, notamment grâce à la taxonomie, la classification des activités économiques ayant un impact favorable sur l'environnement.

Cela dit, l'équilibre entre le fait de prendre en compte les externalités tout en préservant les avantages concurrentiels est encore parfois difficile à trouver, du fait que certaines entreprises non européennes ne sont pas soumises à une réglementation identique. Toujours est-il que la réglementation européenne permet aux entreprises de l'Union de passer un nouveau cap.

Concrètement, quelles sont les actions menées par les entreprises ?

L'agenda des entreprises dépend du secteur, du métier, de la taille... Mais l'examen de la chaîne d'approvisionnement est en marche depuis quelques années. Il ne s'agit pas de relocaliser l'ensemble de la production en France, mais de raccourcir les distances et surtout, d'avoir une meilleure maîtrise et une plus grande visibilité sur les actions des fournisseurs, y compris de rang 2, dans le cadre du scope 3 (l'un des trois niveaux d'émissions établis dans le protocole sur les gaz à effets de serre, le standard international, lancé en 2001), qui concerne une partie des émissions indirectes.

L'évolution, en matière de recueil de données, de transparence et d'exigence est indéniable. En outre, dans certains secteurs, je pense à la chimie, notamment, les efforts portent aussi sur la décarbonation des processus de fabrication. Les investissements dans ce domaine sont indispensables mais élevés, et sachant que si l'on veut atteindre les objectifs de l'Accord de Paris sur le climat, la moitié des technologies dont les entreprises auront besoin à l'avenir n'existent pas aujourd'hui, on se rend compte que l'enjeu est d'une ampleur inédite.

Bien sûr, les Etats peuvent accompagner ces développements, par le biais, comme c'est le cas en France, de crédits d'impôt pour la recherche, notamment. Enfin, nombre d'entreprises qui s'embarquent dans une mutation écologique, en particulier à l'aide du numérique, sont conscientes que certes, cette technologie produit, avec les data centers, en particulier, des émissions de CO2, mais qu'elle est indispensable à cette mutation, puisqu'elle permet de mesurer, d'ajuster, de prévoir les effets des activités des entreprises sur l'environnement et le climat.

L'accélération de cette mutation écologique viendra véritablement du numérique. Tout cela dépasse évidemment les effets de mode et doit s'inscrire en tant qu'engagement sur la durée. Ce qui exige en outre un partenariat entre Etats, européens et extra européens. Encore une fois, il s'agit aussi de préserver la compétitivité de nos entreprises. Mais le dérèglement climatique, enjeu mondial, ne peut pas se régler si l'on s'attache aux seules questions de souveraineté nationale en matière de données.

La préservation de la biodiversité a longtemps été l'angle mort de la responsabilité environnementale, est-ce que, là aussi, cela change dans les entreprises ?

C'est vrai, la biodiversité a longtemps été un angle mort... D'ailleurs, si, en France, l'éolien terrestre crée des tensions, c'est que la question de la biodiversité n'a pas été prise en compte... Cela dit, la prise de conscience, là aussi, avance. Ainsi, les investisseurs, dont les grandes banques, telles que la Caisse des Dépôts, avec qui Deloitte a noué un partenariat, s'intéressent de plus en plus à lier investissements et protection de la biodiversité. Reste qu'il faut encore rattraper le retard et que cette question devienne une priorité.

Quels sont, pour les entreprises, les grands enjeux business ?

D'abord, l'engagement des entreprises en faveur de la lutte contre le dérèglement climatique et la préservation de la biodiversité est imposé par leurs parties prenantes, et en particulier les salariés - plus, d'ailleurs, que par les consommateurs. Chez Deloitte, un groupe de jeunes collaborateurs s'est formé et m'a demandé de revoir toutes nos actions à l'aune de notre engagement en matière de développement durable. J'en suis ravi, puisque ce dialogue me donne aussi des idées et me 'challenge' parfois...

D'ailleurs, il ne faut pas que les jeunes diplômés - je pense à ceux qui ont annoncé leur refus de rejoindre certains grands groupes - se trompent de combat. Bien sûr qu'ils peuvent agir via des ONG, des entreprises de l'économie sociale et solidaire ou autres, mais s'ils veulent être vraiment acteurs de la mutation écologique, ils ont intérêt à y contribuer à l'intérieur des entreprises. Et dans les grands groupes, leur impact n'en aura que plus d'ampleur.

Reste aux entreprises à adopter un discours et des actions qui séduisent et convainquent les jeunes et les retiennent. Quant aux investisseurs, d'où qu'ils viennent dans le monde, ils adoptent de plus en plus un raisonnement sur le temps long, le seul possible en la matière. Enfin, reste aussi aux dirigeants politiques à endosser leurs propres responsabilités, à travers un discours, notamment dans l'éducation, construit et attrayant sur la nécessaire mutation écologique.

Quels sont les autres enjeux, au point de vue macroéconomique, cette fois ?

Nos champions français et européens sont pour l'heure plus vertueux que leurs concurrents d'autres continents. Il s'agit de faire en sorte que ces Européens deviennent des champions mondiaux, avec à la clé des créations d'emplois et une progression du PIB. Si la France poursuit sur sa lancé en matière de mutation écologique, elle gagnera, à horizon 2070, 5,5 points de croissance en plus, ce qui représente 1,5 million d'emplois supplémentaires, selon nos prévisions... En revanche, si elle ne fait plus rien, ce sera % de croissance du PIB qui sera détruit chaque année ! Pour cela, cependant, il faut s'assurer de l'acceptabilité sociale des évolutions à venir. Les entreprises seront le fer de lance de la mutation, mais rien ne pourra se faire sans l'appui de tous, sans l'appui des citoyens.

Quid des pays en développement ? Je pense par exemple à l'Afrique sub-saharienne... Aura-t-elle les moyens de lutter contre les effets du dérèglement climatique ?

Si la COP 27 s'est soldée par un accord décisif visant à fournir un financement des pertes et préjudices aux pays vulnérables touchés par les catastrophes climatiques, cette logique indemnitaire ne suffit pas. La logique qu'il faut initier est celle de la co-construction de solutions avec les Etats, les ONG, les citoyens, bref, les parties prenantes en général, pour préserver la biodiversité, puisque si l'on protège la forêt africaine, par exemple, cela bénéficie à l'ensemble de la planète, et s'assurer que la production alimentaire s'améliorera pour nourrir les populations et que la croissance économique, décarbonée, sera à la hauteur des attentes des jeunes générations. Et alors que les Etats-Unis investissent de plus en plus en Afrique, notamment, il serait dommage que l'Europe n'y soit pas active...

C'est d'ailleurs pour elle, au-delà de la relation historique - et heurtée - avec ce continent, un enjeu qui dépasse le climat, puisqu'il implique des questions en tous genres, dont les migrations. Les Etats africains sont de plus en plus conscients de ces enjeux, de même que leurs dirigeants le sont sur les exigences nécessaires en matière de transparence et de reporting, et des efforts sont faits dans ces domaines. En somme, la feuille de route est disponible, et si l'ancien monde, on le voit avec la guerre en Ukraine, par exemple, est encore présent, il nous faut aller vers un véritable changement de paradigme, qui va au-delà de nos frontières.

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Commentaire 1
à écrit le 05/12/2022 à 14:27
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Il n'y a rien de "résilient" dans le numérique surtout quand on s'éloigne de la politique de l'offre, reconnaissable par ses éternelles publicités, pour se tourner vers plus de sobriété ! ;-)

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