Urgence climatique : Jean Pisani-Ferry préconise d'investir 70 milliards d'euros d'ici 2030

La transition vers la neutralité carbone doit passer par un investissement de 2,5 points de PIB, une réorientation du progrès technique vers l'économie verte et davantage de sobriété, selon l'économiste Jean Pisani-Ferry. Cette figure du programme économique d'Emmanuel Macron en 2017 est chargé par la Première ministre Elisabeth Borne de remettre un rapport détaillé en 2023 sur les conséquences économiques de la transition écologique. Avant ça, il vient de dévoiler une note d'étape appelant le gouvernement à accélérer ses efforts en matière de transition. Le directeur de l'institut Bruegel estime que la France accuse un sérieux retard dans la transition.
Grégoire Normand
Pour Jean Pisani-Ferry, « il faut abandonner l'idée que la croissance verte est nécessairement créatrice d'activité et d'emplois. Certaines qualifications vont être rendues obsolètes. Il va donc falloir mettre en place des formations adaptées ».
Pour Jean Pisani-Ferry, « il faut abandonner l'idée que la croissance verte est nécessairement créatrice d'activité et d'emplois. Certaines qualifications vont être rendues obsolètes. Il va donc falloir mettre en place des formations adaptées ». (Crédits : DR)

Sécheresses à répétition, températures record, incendies ravageurs, tempêtes dévastatrices... les événements climatiques extrêmes se sont multipliés sur le territoire français en 2022. Partout sur la planète, les populations subissent année après année les répercussions de ces chocs violents et traumatisants pour les plus vulnérables. L'action climatique est plus que jamais devenue une urgence alors que la situation géopolitique est bouleversée par la guerre en Ukraine et que le multilatéralisme, pourtant indispensable dans la bataille du climat, est mis à rude épreuve. En Egypte, les discussions multilatérales lors de la 27e conférence sur le climat (COP 27) sont clairement menacées par ces tensions provoquées par le conflit en Ukraine, la crise alimentaire et la flambée des prix de l'énergie.

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Dans ce contexte brûlant, la Première ministre Elisabeth Borne a confié, dans une lettre envoyée en septembre, une mission à l'économiste Jean Pisani-Ferry sur l'évaluation des impacts macroéconomiques de la transition écologique. Emmanuel Macron a ainsi clairement indiqué que « la transition climatique n'est pas une politique sectorielle mais une orientation d'ensemble porteuse de fortes conséquences économiques et sociales » explique Matignon dans son courrier.

Après des premiers travaux préalables menés sous l'égide de France Stratégie, un organisme de prospective rattaché à la cheffe du gouvernement, l'économiste a dévoilé une note d'étape avant un premier rapport plus complet qui doit être remis au début de l'année 2023. «Il y a un retard de la prise en compte de l'action climatique sur la croissance, l'inflation, les finances publiques et l'emploi. Le cadre présenté aujourd'hui est incomplet et non chiffré mais il est urgent de poser ces questions. Le rythme de la baisse des émissions par tête doit s'accélérer », a déclaré l'enseignant et pilier de la campagne d'Emmanuel Macron en 2017.

Le réchauffement climatique va entraîner des conséquences considérables sur le système économique actuel. « La transition est en train de bouleverser le capitalisme. Le capitalisme brun est complètement dépassé par le capitalisme vert. La valorisation boursière de Tesla dépasse largement celle de General Motors », a-t-il poursuivi lors d'une présentation à la presse ce mercredi 9 novembre.

Investir 70 milliards d'euros en 2030

L'un des principaux leviers de cette nécessaire transition est la substitution des énergies fossiles par des énergies décarbonées. Du côté de la demande, la transition énergétique va nécessiter un investissement de l'ordre de 2,5 points de produit intérieur brut (PIB) en 2030, soit environ 70 milliards d'euros selon les premiers résultats de travail intermédiaire avec, d'ici là, une montée en puissance du montant des sommes mises sur la table. Ces investissements publics et privés seront nécessaires pour atteindre les objectifs de réduction de 55% des émissions de CO2 d'ici 2030 et la neutralité carbone en 2050.

L'économiste n'a pas caché que la France mais également l'Europe avait du retard sur ses objectifs de transition et cela pouvait entraîner des problèmes de crédibilité. «La crédibilité est ce qui va déterminer l'orientation de l'investissement. Aujourd'hui, les politiques climatiques en général et en particulier en France ne sont pas crédibles. La France est le seul pays de l'Union à 27 à ne pas tenir ses objectifs en matière de renouvelables. Il faut remédier à ces déficits », a déclaré le professeur d'économie.

Une des difficultés évoquée par le chercheur est que cette transition va nécessiter un capital de départ important. «La production d'électricité « verte » est considérablement plus intensive en capital que la production d'électricité « brune » », soulignent les auteurs de la note. Mais cette transition va permettre de faire des économies à moyen terme. En matière d'électricité, par exemple, « l'effort en capital est très important au début [...] La baisse du coût d'exploitation sera plus importante que le coût d'investissement à moyen terme », a-t-il ajouté.

Réorienter le progrès technique

Cette transition ne se fera pas sans une réorientation du progrès technique a averti l'économiste. « Il faut faire un effort important pour réorienter l'innovation vers une économie plus neutre climatiquement. Il faut faire un effort de réorientation de la recherche. Le rendement de l'effort de recherche va être limité au début », a poursuivi l'ancien conseiller d'Emmanuel Macron.

La note adressée à la Première ministre évoque un effort accru et précoce de l'intervention publique en matière de recherche et développement « car le coût à changer de sentier sera d'autant plus élevé que l'économie aura continué à s'engager sur celui de l'innovation brune. »

Sans surprise, les économistes s'inspirent dans leur note des travaux de Philippe Aghion, spécialiste de la croissance et adepte de « la destruction créatrice » chère à l'économiste autrichien Joseph Schumpeter. Mais cette approche centrée sur les solutions technologiques est loin de faire l'unanimité chez les économistes spécialistes du climat.

La transition doit passer par des efforts de sobriété

Enfin, cette transition doit également mettre l'accent sur la sobriété. « Il faut donner un sens économique à la sobriété. Le débat sur la sobriété est encombré car il est associé à la décroissance. La sobriété fait partie de l'effort qu'il faut effectuer », souligne Jean-Pisani Ferry. Sur ce point la guerre en Ukraine a ravivé les débats sur la sobriété énergétique alors que la crise du gaz met en péril l'industrie du Vieux continent.

Au mois d'août dernier, Emmanuel Macron avait provoqué de vives réactions en évoquant « la fin de l'abondance » après un été marqué par des catastrophes climatiques à répétition. Sans faire véritablement de préconisations précises, les experts rappellent que la sobriété peut « résulter d'une mutation des préférences individuelles, d'une évolution des normes sociales et de contraintes imposées par les politiques publiques ».

La transition écologique, un impact avant tout inflationniste

Cet effort de transition va générer incontestablement des tensions inflationnistes. Le retrait anticipé des énergies fossiles sur le marché risque de provoquer « de fortes volatilités du prix des énergies primaires » déjà fortement secouées par l'onde de choc de la guerre en Ukraine. Cette hausse de l'indice des prix passera également par les politiques publiques. On peut penser à la fiscalité sur le carbone ou le durcissement des règles et des normes environnementales à l'avenir. « A 10 ans, il ne faut pas se cacher que la transition va nécessiter des investissements et un choc négatif sur l'offre. Cela va affecter le PIB potentiel », poursuit Jean Pisani Ferry.

Pour parvenir à réduire ces émissions de CO2, « il faudra mettre au rebut des équipements. Cette transition va dévaloriser des compétences et des brevets. Il y aura une érosion des gains de productivité. Le résultat est une configuration inflationniste avec moins d'offre et plus de demande », résume l'économiste. « Il faut abandonner l'idée que la croissance verte est nécessairement créatrice d'activité et d'emplois. Certaines qualifications vont être rendues obsolètes. Il va donc falloir mettre en place des formations adaptées », ajoute-t-il. Face au chaos climatique, les prochaines années risquent d'être décisives.

Grégoire Normand
Commentaires 13
à écrit le 10/11/2022 à 17:00
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La croissance verte ou la pollution responsable... totalement absurde!

à écrit le 10/11/2022 à 15:19
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Compte-tenu de l'état économique pitoyable de la France aujourd'hui sur les conseils de M. Pisani-Ferry, il est permis de douter de l'intérêt de gaspiller encore plus d'argent dans ladite "urgence climatique" !

à écrit le 10/11/2022 à 12:51
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Bonjour, Bien sûr , mais d'ici 2030 beaucoup de choses peuvent changer.... La guerre, la morts voir bien plus catastrophique...

à écrit le 10/11/2022 à 10:07
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pour polluer moins, il y a 2 solutions. ce qu il appelle la sobriete et qu on pourrait plutot appeler la baisse du niveau de vie ou la reduction de la population. Curieusement on en parle jamais. Il faut mener une politique anti nataliste mais aussi ...

le 10/11/2022 à 18:15
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Il faut bien des naissances pour renouveler les générations par contre le problème vient plutôt du poids toujours grandissant des plus âgés ... et si vous suivez l'actualité la petite musique sur la fin de vie , le suicide assisté , l'euthanasie rev...

à écrit le 10/11/2022 à 10:00
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Vu l'état dramatique des finances publique de notre pays laissé après 5 ans de Macronie et vu les 5 prochaines où Macron va encore creuser dans le permafrost de nos finances, l'urgence climatique n'est plus la priorité de notre pays... L'urgence c'es...

à écrit le 10/11/2022 à 9:04
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Ceux qui nous dirige, ont bien plus intérêt à nous faire pédaler dans la semoule par le maintien de "la politique de l'offre", plutôt que, par une politique de réponse à des besoins réels !

à écrit le 10/11/2022 à 8:25
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70 milliards sur 5 ans ? C'est la montant annuel français mis dans les paradis fiscaux. Mais chut !

à écrit le 09/11/2022 à 23:02
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Pour bien mesurer la valeur de cet avis, il suffit de reprendre les précédents formulés par le même Jean Pisani-Ferry ces 10 dernières années pour les comparer avec la réalité.

à écrit le 09/11/2022 à 20:32
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Pauvre expert, il a pas compris que c’est pas un pb d’argent,,,......ceux sont ces gens qui dirigent l’eco omie francaise ,on voit le desastre

à écrit le 09/11/2022 à 19:24
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Ce n'est pas en "investissant" qu'on arrêtera le réchauffement climatique

à écrit le 09/11/2022 à 19:23
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Surenchère dans les dizaines (et bientôt les centaines) de milliards qui "ne coûtent rien" alors que la France est endettée d'un montant énorme. Tous ces "experts" et politiques sont dingues !

à écrit le 09/11/2022 à 19:23
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Ce monsieur doit être aveugle et n'a pas vu que les caisses sont vides car la france a investi dans les acquis sociaux et l'embauche de pléthore de fonctionnaires A un moment faut affronter la réalité

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