Les (très) grandes ambitions du modèle finlandais dans l'enseignement supèrieur

En misant sur la formation de sa jeunesse, en permettant à l'enseignement supérieur de s'émanciper de la théorie pure, la Finlande tente un pari audacieux : devenir le hub mondial de l'innovation en 2020.
L'université d'Aalto est née, en 2010, de la fusion des universités des sciences économiques, de l'université d'art et de design et de l'université de technologie. / DR

Imaginons les résultats qui pourraient découler de la fusion de Hec, de polytechnique et des Beaux-arts... c'est l'expérience tentée depuis deux ans par la Finlande, à l'université d'Aalto précisément, située à une quinzaine de kilomètres d'Helsinki.
Née en 2010 de la fusion des universités des sciences économiques, de l'université d'art et de design et de l'université de technologie, Aalto est un pari sur l'avenir. Alors que l'empire Nokia ne cesse de se désagréger - le géant des télécommunications procédera à la suppression d'au moins 10 000 postes cette année -, le gouvernement a décidé de capitaliser sur l'un des principaux atouts de la Finlande : sa jeunesse. L'objectif est ambitieux : faire de ce petit pays de 5,3 millions d'habitants le « hub » mondial de l'innovation d'ici à 2020. « La Finlande est un petit pays. Pour continuer à exister sur la scène internationale, nous n'avons pas beaucoup d'alternatives. Seule certitude, nous savons innover. L'histoire récente de nos grands groupes en témoigne. Nous souhaitons maintenant que le monde entier vienne innover, chez nous et avec nous », explique Tuula Teeri, la présidente d'Aalto.
Selon Eurostat, l'Office européen de statistiques, les dépenses consacrées à la recherche et développement frôlaient les 4 % du PIB en 2010 - record mondial ! -, quand elles dépassaient à peine les 2 % en France.

2008 : réforme sur l'autonomie financière

Pour atteindre cet objectif ambitieux, le gouvernement s'est en partie dessaisi de ce qui était jusqu'alors sa chasse gardée : l'enseignement supérieur. en 2008, l'Eduskunta, le parlement finlandais, vote la réforme sur l'autonomie financière des universités. Avec cet « University act », l'état coupa net le cordon juridique avec les universités, celles-ci devenant des « personnalités juridiques indépendantes » le 1er janvier 2010, placées devant l'alternative suivante : devenir des corporations publiques ou des fondations régies par la loi privée. C'est cette seconde option qui a été choisie par le conseil d'administration d'Aalto.
L'état ne s'est évidemment pas totalement désengagé. Il continue de financer 60 % environ du budget des universités, mais il leur recommande de se tourner vers les entreprises privées pour obtenir les fonds qui leur sont nécessaires pour effectuer des recherches.
en 2011, sur les 700 millions d'euros de budget annuel, 200 millions avaient été récoltés dans le privé, via des campagnes de publicité dans les journaux. Des entreprises dont Nokia, les alumni - anciens élèves de l'université -, le personnel et de nombreux particuliers ont répondu présent.
Comment cette révolution a-t-elle été perçue par les enseignants et leurs représentants syndicaux ? « Dire qu'il n'y a pas eu de réticences, voire de défiance, serait un mensonge. Mais, au regard de nos perspectives économiques, le sens de l'intérêt général a prévalu. Depuis le vote de cette loi, certaines disciplines ne sont peut-être plus systématiquement enseignées lorsqu'un professeur fait valoir ses droits à la retraite mais, depuis ce changement de statut, les enseignants sont nettement mieux rémunérés et nous sommes bien meilleurs dans nos domaines d'excellence, qui peuvent permettre de créer des emplois pour notre jeunesse. C'est l'avantage d'être un pays relativement jeune. On peut renverser les tables, décloisonner les disciplines sans mettre le pays à feu et à sang », avance Tuula Teeri.

Un partenariat avec Stanford

Forte de cette nouvelle puissance financière, l'université a les coudées franches en matière d'organisation. « Nous faisons à peu de chose près ce que nous voulons, tant que nous parvenons à faire progresser l'université au niveau des meilleures dans le monde grâce à nos idées fraîches », détaille Hannu Seristö, le vice-président d'aalto.et l'université ne se prive pas d'innover, multipliant les expériences. Ainsi, elle permet à ses membres de s'intégrer dans les cursus universitaires prestigieux au niveau mondial. Un partenariat avec l'université américaine de Stanford est en plein développement. Cette puissance financière permet également à Aalto d'aimanter les chercheurs du monde entier pour qu'ils puissent effectuer leurs travaux ou enseigner à Aalto.
Tout est fait pour que les étudiants et les chercheurs se sentent comme chez eux. « Nous faisons tout pour qu'ils n'apportent pas leur travail à la maison, mais pour qu'ils soient chez eux chez nous. » c'est la raison pour laquelle il aura fallu attendre deux longues journées à parcourir de long en large le campus de l'université d'Aalto pour apercevoir enfin une salle de cours classique. Car, à Aalto, les locaux sont plutôt des lofts décorés Ikea, équipés de sauna, panneaux de basket, hug point - pour les moments de tendresse - et salles de jeux archicomplètes.
« Mais il n'y a pas que l'argent qui compte. Aalto est un lieu où l'on lance des idées en l'air, où on les teste sereinement avant de les valider. Il n'y a pas de tabou ou de pré carré car le dialogue est permanent entre les chercheurs, toutes disciplines confondues », se réjouit Shinya Yamanaka, un chercheur japonais dont les travaux sur les cellules souches ont été récompensés par Aalto. en juin, avec Linus Torvalds, le créateur du noyau et du système d'exploitation Linux, il a reçu le prix Millennium Technology de l'académie de technologie de Finlande, et partagé un chèque de 1,1 million d'euros...ce n'est pas la principale originalité d'Aalto. parce qu'elle est la seule université finlandaise qui permette à un étudiant de devenir à la fois designer, ingénieur et chef d'entreprise, en lui donnant la possibilité de passer facilement et simultanément d'une de ces formations à une autre, mettant tout particulièrement l'accent sur la dimension entrepreneuriale de son projet éducatif. Les idées doivent être fraîches, mais elles doivent être rentables à terme. Pour les tester, Aalto dispose du « Start-up Sauna ». Dans un ancien entrepôt de stockage de peintures industrielles, soutenus par des experts en marketing et en gestion, les étudiants ont quelques mois pour peaufiner leur projet et le rendre économiquement viable. « Nous ne sommes pas des incubateurs au sens classique du terme. Nous sommes des accélérateurs de projets. Tant pis si une idée ne marche pas, elle pourra peut-être fonctionner dans un autre projet », explique Ville Simola, le responsable du Sauna. Blaast, une start-up spécialisée dans la transformation de simples mobiles en smartphones, advacam, qui traque les microfissures dans les matériaux composites, ou Wildchords, qui révolutionne les cours de guitare, sont autant de success stories nées dans cet entrepôt.
Autre outil à la disposition des étudiants entrepreneurs, le Venture garage, qui les accompagne dans la maturation de leurs projets. « Via les transferts de technologies au sein de l'université entre les entreprises et les chercheurs, et grâce aux activités de l'Aalto Venture Garage, la communauté de l'université a permis de servir de catalyseur dans la création et la croissance de plus de trente sociétés ces deux dernières années, dont un certain nombre disposent d'applications mobiles », explique Will Cardwell, responsable de l'Aalto University center for entre preneurship, qui s'occupe également de la gestion du programme de développement d'applications mobiles appcampus, financé à hauteur 18 millions d'euros par Nokia et Microsoft. Le pari n'est pas gagné, mais il est tenté...

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