Les Français en piste pour les JO d'hiver 2014

La fédération de Russie prépare des Jeux olympiques d'hiver pharaoniques à Sotchi, dans le Caucase. Dans ce far west d'un nouveau genre, quelques PME tricolores tirent leur épingle du jeu au milieu de dizaines de milliers d'employés russes.
Construction du village olympique dans la vallée de Sotchi / DR JO 2014

Rosa Khutor, l'épicentre du « Cluster Montagne » des Jeux olympiques d'hiver en 2014, est en pleine effervescence. Dans seize mois, cette station du Caucase en chantier à cinquante kilomètres de la station balnéaire de Sotchi accueillera une trentaine de disciplines de ski alpin, de free style et de snow-board. Le 7 février 2014, lorsque la flamme olympique s'allumera, le géant de l'exploitation minière Interros y aura investi 2,3 milliards de dollars : neuf hôtels de 3 et 4 étoiles internationales, 7.000 lits dont la moitié en hébergements résidentiels, 130 kilomètres de pistes à aménager, et des prestations touristiques « au niveau des grandes stations alpines ».La station sera-t-elle prête à temps ? « Les Russes en ont fait une raison d'État. S'ils veulent être prêts, ils le seront », affirme Jean-Luc Vallier, de la Compagnie des Alpes, expatrié depuis deux ans sur les chantiers de Rosa Khutor, après avoir dirigé pendant vingt-sept ans les remontées mécaniques puis la station de La Plagne. « Leurs moyens matériels et humains sont impressionnants. Mais ce qui fera la différence, c'est leur capacité d'investissement inépuisable sur de tels projets. » La Compagnie des Alpes, leader mondial de l'exploitation des pistes et des remontées mécaniques, a signé un accord pour vingt-cinq ans avec Interros, comprenant l'assistance à maître d'ouvrage et l'exploitation du domaine de Rosa Khutor. « Les Français s'engagent dans le management, pas dans l'investissement », précise Jean-Marc Farini, l'autre expatrié de la Compagnie des Alpes, directeur général de la station. Car personne, à Sotchi, ne se risque plus à évaluer le coût de ces Jeux olympiques d'hiver, essentiellement financés par le privé. Estimée à 12 milliards de dollars au lancement du projet, la facture pourrait s'alourdir à 35 milliards de dollars, à force de rallonges et de dérapages budgétaires. Ces JO seraient alors les plus chers de l'histoire.

Apprendre une politique environnementale

Dans les saignées opérées à flanc de montagne, entre les feuillus majestueux qui s'élèvent à 70 mètres sur les pentes humides du Caucase, d'énormes camions russes à six roues motrices charrient des sacs de sable, des câbles électriques, des équipements de montagne. Dans les rues de la station, les canalisations éventrées et les puits béants empêchent les engins de chantier d'accéder aux bâtiments en construction, sous des nuages de poussière. Le plan interactif des pistes, utilisable sur smartphone et fourni par le nantais Lumiplan, n'affiche que six remontées mécaniques en opération. Dès Noël, cette année, il y en aura deux fois plus. À la Compagnie des Alpes, on n'ose pas envisager le moindre retard, ni le moindre accroc dans l'organisation des chantiers. « Nous exportons notre savoir-faire à l'international, et travaillons pour la première fois en Russie », explique Jean-Marc Farini. Depuis deux ans, il a dû essuyer les plâtres, recruter 400 ouvriers et opérateurs de remontées mécaniques, des pisteurs et des moniteurs de ski, et consolider des méthodes de management « en papier », comme le certificat environnemental ISO 14001 établi par un organisme certificateur russe... La méthode locale d'aménagement de la montagne consiste à aplanir les obstacles plutôt qu'à solliciter des débats publics. Elle s'avère payante lorsqu'on évoque la question des ours et des loups en liberté dans ce parc national du Caucase, deux fois plus grand que le parc des Écrins, en France. « Ils sont partis plus loin, dit tranquillement Jean-Luc Vallier. Les Français apportent une vraie politique environnementale dans la station. Certains comportements sont étranges chez les skieurs russes. Ils évoluent. On commence par leur apprendre à ne plus balancer leurs bouteilles de vodka en dessous des télésièges. »Dans cette station flambant neuve, le manque de recul sur le phénomène des avalanches va plonger l'exploitant dans l'incertitude : sous les couloirs, les plaques à vent, les pistes seront-elles « skiables » tous les matins ? Dans le doute, les Russes ont vu grand : des systèmes « Gazex » de déclenchement actif des avalanches ont été installés sur tout le domaine. Partout, en amont des pistes, des tuyaux noirs affleurent sous les rochers, à outrance. « Les autorités locales n'ont pas la même approche du risque qu'en France. La fatalité a encore une grande place dans les stations russes », observe pourtant Philippe Berthet-Rambaud, responsable du cabinet d'études savoyard Engineerisk, en charge des études de prévention à Rosa Khutor. Malgré l'altitude modeste, à 560 mètres au pied des pistes, l'enneigement promet d'être monumental... et difficile à maîtriser. « Les fortes précipitations n'ont rien de surprenant, à cause de la mer Noire, qui est toute proche. Mais le site est très pentu, très compliqué. Je n'exclus pas que les JO puissent être un fiasco monumental », tranche le montagnard, auteur du premier Plan d'intervention et de déclenchement d'avalanches (PIDA) en Russie, sur le modèle réglementaire français. L'isérois Poma, l'un des leaders européens dans le matériel de remontées mécaniques, ne pouvait pas rester à l'écart du projet olympique. L'entreprise de Voreppe (Rhône-Alpes, 880 salariés) n'a obtenu qu'un petit contrat, à 15 millions d'euros, pour installer deux télésièges « débrayables six places », dernier cri, à Rosa Khutor. Sur place, une dizaine d'ouvriers russes ont été recrutés. « Les Russes savent construire de manière efficace, en pensant à l'exploitation future des remontées. Mais ils oublient souvent les contraintes de la maintenance », observe Maxime Le Page, chef de projet détaché à Rosa Khutor pour superviser l'acheminement du matériel depuis l'usine française, l'installation des poteaux, les branchements électriques et le contrôle avec les autorités administratives russes. L'épissure, mariage des deux extrémités du câble, a eu lieu fin septembre sur le premier tronçon. Pour Christian Bouvier, directeur commercial de Poma, « les chantiers réalisés à Sotchi sont d'importance stratégique. Le Caucase, un massif long de 1.200 kilomètres, présente un énorme potentiel pour le ski. L'idée, pour nous, serait de faire venir une équipe de France de l'aménagement de la montagne, avec de l'ingénierie et des équipementiers. On ne va pas seul en Russie, c'est impossible. Pour l'instant, c'est notre agent, Gorimpex, qui maîtrise les règlements administratifs ». Son concurrent autrichien Doppelmayr a mieux appuyé ses offres de services, avec une dizaine de chantiers obtenus dans la région. Peu importe : après Sotchi, Poma entend rebondir ailleurs dans le pays en construisant des systèmes de transport urbain par câble, son autre spécialité. Depuis 1964, année de l'installation de sa première télécabine en Nouvelle Zélande, la société a pris l'habitude de recruter des cadres un peu aventuriers, « aptes » à l'expatriation. « Ici, je suis autonome. Le chantier sera livré à temps, et j'aurai triplé mon salaire », résume Maxime Le Page. Christophe Estrade, cuisinier marseillais, fera encore mieux. En Russie depuis 2007, il a senti dès l'annonce des Jeux olympiques un énorme potentiel de bonnes affaires potentielles dans la gastronomie à Sotchi. Aidé par sa belle-famille russe, il a acheté un terrain de 60 ares et construit un chalet, ouvert un restaurant gastronomique français, construit d'autres chalets, vendus ou loués en résidences-service de haut standing.

La vallée des ours promise à un avenir « vip »

Pour les JO, en 2014, ce sera le jackpot. Christophe Estrade entend louer son ensemble immobilier à un consortium de sponsors, dont Visa et Coca Cola, et au Comité olympique des États-Unis « Team USA », pour 1 million d'euros. « La région de Sotchi a un énorme avenir économique », observe Christophe Estrade. « Après les Jeux, les Moscovites continueront de venir skier. Avec le nouvel aéroport et le chemin de fer, ils quitteront la capitale et passeront les skis aux pieds en moins de trois heures. » Krasnaya Polyana, son village, a doublé sa population (6.000 habitants sans compter les ouvriers) en moins de six ans. Avec les grands prix de Formule 1, prévus à Sotchi à partir de 2014, et la participation à l'organisation de la Coupe du monde de football en 2018, l'ancienne vallée des ours, des lynx et des loups est promise à un avenir « VIP ». Dans l'immobilier, les prix élevés seront-ils pérennes ? De vieilles maisons sans confort se louent déjà à 1.500 euros par mois. Et Christophe Estrade a trouvé des acheteurs pour ses chalets, à 6.100 euros le mètre carré !

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Un défi pour l'aménagement du territoire

« Courchevel, Zermatt ? On n'a pas peur de ces villages », plaisante Alexander Karandin, vice-maire de Sotchi en charge de l'organisation des JO. La station balnéaire entend doper sa fréquentation hivernale après l'événement, et éviter de longs mois de chômage partiel aux employés du secteur touristique. « Sotchi n'a pas d'industrie, seulement des PME, des commerçants locaux », rappelle Vadim Levchenko, président de la Chambre de commerce et d'industrie, « mais les infrastructures d'accueil et de transport apportées par les JO ne seront pas surdimensionnées ». Il est permis d'en douter : dans cette agglomération, étendue sur 140 km au bord de la mer Noire, les efforts d'aménagement en cours se concentrent sur le secteur d'Adler, tout proche du nouvel aéroport international et de la frontière avec la Géorgie. Après les JO, le « Cluster Glace », en chantier sur plus de 250 ha, offrira un stade de football de 45.000 places à cette région qui n'a pas d'équipe de haut niveau, un palais omnisports, un centre de congrès, un immense centre commercial et des complexes hôteliers (27.000 chambres pour 47 hôtels). La question d'un partage des équipements avec les autres quartiers de la ville ne s'est, paraît-il, même pas posée.
 

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