L'argent facile des politiques monétaires accommodantes est devenu un réel risque

Les grandes banques centrales ont mené des politiques d'assouplissement, notamment en baissant les taux directeurs, pour parer aux effets négatifs de la crise sur l'économie réelle. Mais ces politiques ne sont pas sans risques...
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Depuis 2008, les banques centrales des grands pays occidentaux ont entamé des politiques monétaires très accommodantes alliant une baisse rapide des taux et des mesures appelées « non conventionnelles » comme le rachat massif de titres d'Etat, de titres hypothécaires ou des soutiens plus ou moins directs à la distribution de prêts. Or, ces mesures commencent à inquiéter. Outre-Atlantique, il existe un débat au sein du comité de politique monétaire de la Réserve fédérale pour déterminer s'il faut ou non poursuivre la politique de rachats massifs de titres d'Etat et hypothécaires (Quantitative Easing ou QE3). En zone euro, le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, ne cesse de s'alarmer des taux bas et de la possibilité de rachats d'actifs risqués par l'Eurosystème. Même au Japon, un rapport d'expert, publié par Reuters ce week-end, a mis en garde contre les conséquences des rachats de dette publique par la Banque du Japon sur l'économie de l'Archipel. Bref, un peu partout, on s'interroge sur les risques de l'argent facile et sur l'opportunité et les moyens de sortir aujourd'hui de cette politique.

1er risque : une nouvelle bulle sur les marchés comme avant 2007

Ce n'est pas un hasard si ce débat émerge aujourd'hui. Les marchés semblent frappés en effet d'une fièvre acheteuse d'actifs risqués. Les indices actions s'envolent et atteignent des plus hauts historiques. Les taux longs souverains des pays mal notés reculent, l'emprunt à 10 ans grec est retombé sous les 8 %. Tout ceci semble déconnecté du réel : les prévisions de résultats des entreprises américaines sont à la baisse et rien ne permet de déclarer que la Grèce ou les autres pays périphériques en crise puissent retrouver le chemin de la croissance rapidement.

Autrement dit, il y a un effet liquidité dans ces hausses : les investisseurs y placent l'argent acquis bon marché auprès des banques centrales. Il y a aussi un effet d'évitement, notamment dans le cas japonais où les investisseurs nippons cherchent des alternatives en se tournant vers des placements à fort rendement pour échapper à la baisse du yen et aux taux minimes nippons. On a, du reste, observé un effet quasi mécanique entre la baisse des taux à long terme de la zone euro et l'annonce d'une nouvelle étape dans les mesures non conventionnelles de la Banque du Japon.

Une bulle comme dans les années 2000 ?

D'où le risque de voir se rejouer le scénario du début des années 2000, lorsque la Réserve fédérale avait arrosé l'économie de liquidités pour panser les plaies occasionnées par l'éclatement de la bulle Internet. Du coup, les agents économiques s'étaient endettés, notamment dans l'immobilier et avaient pris des risques considérables. La crise des subprimes avait été la conclusion de cet épisode qui traumatise encore les marchés et les banques centrales. Ben Bermanke y est très sensible. Voici quelques mois, il avait évoqué dès le début de l'année la possibilité d'une réduction de l'ampleur du « QE3. » La semaine passée, il a prévenu qu'il « observait de très près dans l'environnement actuel de taux bas un appétit au risque trop important. » Dans une étude sur les effets et les coûts potentiels des politiques monétaires non conventionnelles, la Banque du Canada s'inquiétait également de ces politiques qui pourraient « donner lieu à des prises excessives de risques et accentuer les vulnérabilité au sein du système financier. »

Réveil brutal ?

Le risque réel de bulle est actuellement pourtant modéré. La valorisation des marchés américains et européens restent encore très éloignés des records. Pour autant, le risque est loin d'être nul puisqu'il ne semble pas y avoir de lien entre les achats d'actifs et l'économie réelle. Rappelons qu'en 2007, rares étaient ceux à identifier une bulle. Par ailleurs, les taux longs, eux, semblent artificiellement maintenus bas outre-Atlantique et pourraient bientôt aussi l'être dans les pays périphérique de la zone euro. Ceci comporte le risque d'un réveil brutal lorsque les banques centrales décideront de stopper leurs injections de liquidité. Elles doivent donc agir avec prudence.

2ème risque : le risque inflationniste

Le risque le plus souvent évoqué d'une politique monétaire accommodante est peut-être le moins pressant. C'est celui de l'inflation. On connaît la théorie classique : l'augmentation de la masse monétaire conduit à une augmentation de l'offre de monnaie et donc à une hausse des prix à la consommation. Or, depuis 2008-2009 et la mise en place de mesures non conventionnelles dans les grands pays occidentaux, il n'y a pas eu de hausse notable ni de l'inflation, ni des anticipations d'inflation. En veut-on une preuve décisive ? En cas de risque inflationniste, il est logique que les investisseurs se réfugient dans l'or, actif de réserve par excellence. Or, le métal jaune, comme tous les métaux précieux, est en pleine déroute sur les marchés. C'est dire si, en réalité, le lien entre inflation et politique monétaire accommodante semble pour le moment  réduit.

Effet déflationniste contre effet inflationniste

L'effet inflationniste de l'usage de la planche à billet a eu comme contrepoids l'évolution de la régulation et la récession. Les banques ont utilisé les fonds généreusement donnés par les banques centrales pour renforcer leur capital et remplir les obligations réglementaires devenues plus strictes, notamment celles de Bâle III. Par ailleurs, pour les mêmes raisons, les banques ont réduit leur production de crédit risqué et ont donc réduit la transmission de la création monétaire à l'économie. Et comme le risque est important en raison de la récession, l'effet déflationniste de cette mesure a largement compensé l'effet inflationniste des politiques monétaires. Certes, l'inflation peut également surgir par les matières premières ou le recul de la monnaie que causerait la création monétaire. Mais là encore, l'effet déflationniste de la récession compense  - plus ou moins selon les pays - ces leviers inflationnistes. L'absence de perspectives de la demande font des matières premières un actif peu attractif. De même, la hausse des prix à l'importation, lorsqu'elle intervient comme au Japon, est compensée par la faiblesse de la demande.

Un effet à surveiller une fois la croissance revenue

A priori, ce risque devrait rester contenu tant que dureront les incertitudes sur l'économie. Lorsque l'environnement économique s'améliorera, une partie de ces liquidités devrait rester mobilisée par les exigences de capitaux, mais une partie sera inévitablement libérée dans l'économie. Il reviendra alors aux banques centrales de resserrer le robinet du crédit pour apurer ce trop plein. « Le niveau de liquidité accru dans le système financier doit être géré adéquatement afin de prévenir de futures pressions inflationnistes », explique l'étude de la Banque du Canada. Néanmoins, ces mesures ne font pas réellement partie du problème actuel, autrement dit de la stratégie de sortie des banques centrales de leurs politiques accommodantes. Elles viendront dans un second temps.

3ème risque : l'aléa moral et la crédibilité des banques centrales

C'est un des risques mis en avant par Jens Weidmann, le président de la Bundesbank. « Je m'inquiète du fait que cette politique de taux bas ne conduise à lutter moins efficacement contre les origines de la crise. » Autrement dit, la politique des banques centrales favorise une détente artificielle des taux longs des pays périphériques, sans commune mesure avec les efforts structurels réalisés par les pays pour assainir leurs budgets. Du coup, ces pays pourraient être tentés de relâcher encore leur effort. Autrement dit, la « bulle » décrite plus haut a également comme conséquence de freiner l'assainissement des pays en crise. C'est aussi le cas du Japon où l'ampleur de la dette publique est pour le moment « cachée » derrière les injections de liquidités. Les politiques des banques centrales ont alors un effet « analgésique », elle cache la douleur, autrement dit la hausse des taux souverains, sans soigner réellement la cause des maux qui reste persistante.

Une économie dépendante et une politique inefficace

Le danger est alors que, lorsque les banques centrales décident de réduire la dose en augmentant les taux, les anciennes difficultés réapparaissent et la crise revient, forçant à procéder à une nouvelle baisse des taux ou de nouveaux rachats d'actifs. L'économie est alors devenue dépendante de l'argent facile, comme un malade pourrait l'être de la morphine, sans que son état ne s'améliore. Pire même, plus il est utilisé, moins cet analgésique est efficace. Face à cette situation, les agents économiques sont en effet peu tentés d'investir ou de prêter. L'argent facile des banques centrales reste stagnant, il ne sert guère à l'économie. C'est une forme de « trappe à liquidité. » Au final, l'action des autorités monétaires devient à la fois moins crédible et moins efficace. Pour autant, l'économie ne peut réellement s'en passer. C'est un piège dont il est bien difficile de s'extirper.

Face à ces risques, les banques centrales disposent d'une marge de man?uvre très limitées. Viendraient-elles à resserrer la vis, elles prendraient le risque d'approfondir encore la récession en minant la confiance des agents économiques. Viendraient-elles à poursuivre leur politique, elles s'exposeraient à l'apparition d'une bulle ou à l'affaiblissement de leur crédibilité. C'est dire si les choix à venir seront délicats pour les banquiers centraux.
 

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