Faut-il désenchanter le travail ?

La jeune génération serait dit-on moins bien disposée à l'égard du travail. Pire : la valeur travail serait en France en pleine dégringolade. Dominique Méda, philosophe et sociologue, et Patricia Vendramin ont enquêté et livrent le résultat dans "Réinventer le travail" (Puf, 2013), un ouvrage qui aide à s'interroger sur la place du travail dans nos vies. Salutaire.

La France n'est jamais à un paradoxe près. Chez nous, on aime son travail mais on en souffre. Entre amour et haine, entre espoir et illusion, les français entretiennent avec le travail une relation passionnelle pour ne pas dire fusionnelle.

Telle une histoire d'amour déçue, notre relation au travail est aujourd'hui empreinte d'un fol espoir d'épanouissement contredit de plus en plus vivement par les conditions concrètes du travail et de l'emploi.

Sans doute pour le réinventer faut-il aujourd'hui partir de cette si forte aspiration à la réalisation de soi, indique Dominique Méda et Patricia dans leur ouvrage "Réinventer le travail" (Puf, 2013).

Le travail, une invention récente

Si la société semble tenir pour acquis que l'homme a besoin de travail, et que celui-ci demeurera au fondement de notre organisation sociale, Dominique Méda ose remettre en cause cette hypothèse.

Son postulat de départ est que le travail est une invention récente : c'est en effet au 18e siècle que le travail a été inventé. Ce qui signifie que le travail est devenu le principal moyen d'acquisition des revenus permettant aux individus de vivre, mais qu'il est aussi un rapport social fondamental. Ainsi le travail est-il devenu le fondement du lien social et de la réalisation de soi.

Serait-ce alors une bonne chose qu'il tienne moins de place dans nos vies, interroge Dominique Méda ?

Une prétention à être à la base du lien social

Loin d'être polémique, la question se veut plutôt être un électrochoc visant à nous faire prendre conscience qu'il s'agit désormais de remettre cette notion de travail, ainsi que sa réalité, à une place plus juste au regard des relations humaines.

Bref, Il est temps d'en terminer avec cette société fondée sur le travail, estime Dominique Méda. Philosophiquement, cette prétention du travail à être la base du lien social ne tient pas, estime-t-elle. *

"Une vision marchande et contractualiste qui n'est pas exacte"

Certes, le travail est facteur de production, créateur de richesses, mais la société ne repose pas uniquement sur l'économie. "Le penser revient à avoir une vue utilitariste des choses, estime Dominique Méda. Croire que les hommes n'acceptent de vivre ensemble et de s'imposer des règles que parce qu'ils font un calcul coûts/avantage au terme duquel ils acceptent, par contrat en quelque sorte, de coopérer pour devenir plus riches. Cette vision marchande et contractualiste de la société n'est pas plus exacte que la vision marxiste qui pense que le changement dans les rapports de propriété est susceptible de produire une société réconciliée avec elle-même".

Elle reprend les thèses d'Hannah Arendt, philosophe allemande, dans sa critique du travail, selon laquelle mettre le travail au centre de la société, justifier le travail comme lien social, c'est défendre une idée éminemment pauvre de celui-ci.

Pour que le politique constitue le lien commun

"C'est refuser que l'ordre politique soit autre que l'ordre économique ou que la simple régulation sociale. C'est oublier que la société a d'autres fins que la production et la richesse et que l'homme a d'autres moyens de s'exprimer que la production ou la consommation." Car dans une société qui prétend trouver comme ciment l'intérêt économique, on en revient à considérer les exclus comme des inutiles, voire des poids morts.

Or, nous dit la philosophe, il convient de substituer une société dans laquelle le politique constitue le lien commun. Ceci implique selon elle de " désenchanter le travail ", c'est-à-dire d'en faire une valeur sociale parmi d'autres. Et que l'on en finisse avec une société où les uns travailleraient, tandis que les autres seraient indemnisés, plus ou moins: elle plaide donc pour un " mode convaincant de partage ".

D'autres manières pour les individus d'acquérir une identité

La réduction de la place du travail dans nos vies, est la condition pour que se développe à coté de la production, d'autres modes de sociabilité, d'autres moyens d'expression, d'autres manières pour les individus d'acquérir une identité ou de participer à la gestion collective, en résumé un véritable espace public digne de ce nom.

Le projet s'il peut paraître utopiste en première lecture fait cependant écho à un glissement progressif des jeunes générations vers une nouvelle relation au travail. A savoir un travail qui fait sens et permet d'exprimer son individualité tout en ayant une contribution sociale utile, un travail intégré dans une vie autrement remplie de liens et de centres d'intérêts.

Le rôle croissant d'activités citoyennes

Autre écho : le rôle croissant d'activités citoyennes, le développement de services de proximités, et d'associations permettant d'échanger autre chose que des services marchands où chacun existe par ce qu'il sait faire et ce qu'il peut apporter aux autres. L'ampleur pris par la RSE (La responsabilité sociale de l'entreprise) est une autre voie qui montre que la société productiviste peut reculer.

Certes, la transition vers une société où l'économique ne serait pas dominant n'est pas et ne sera pas facile à organiser. Mais il n'est pas interdit d'y réfléchir. C'est ce à quoi Dominique Méda nous invite. L'heure est venue de choisir le type de société dans laquelle nous voulons vivre.

Cesser de séparer les fonctions critique et gestionnaire

En clair, s'interroger sur le fait de devoir adopter sans même les choisir les critères économiques et technocratiques standards, partagés par tous les pays et censés nous permettre de nous maintenir à niveau ? Et se demander s'il reste une place pour le choix des fins, ce qu'on avait coutume d'appeler la politique ?

Pour pouvoir y répondre, il va falloir, nous dit la philosophe, arrêter de séparer les fonctions critique et gestionnaire, pour refonder un véritable espace public de dialogue. Et redonner au travail sa place esthétique et humaine de bel ouvrage -d'oeuvre- qui ne soit plus uniquement régie par la seule logique de l'efficacité. De porter plus d'attention sur sa qualité que sur sa quantité.

 

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Commentaire 1
à écrit le 25/10/2013 à 10:39
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Le problème est que tout a été fait pour que le salarié oubli pourquoi il travail. Lorsqu'un jour il se demande pourquoi il n'a plus le temps de manger le midi, de jouer avec ses enfants le soir, de sortir entre amis, d'avoir un hobby, il se rend com...

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