Un nouveau contre-pouvoir dans les entreprises cotées

Les sociétés de gestion s'invitent de plus en plus dans la vie des entreprises cotées. L'affaire Deutsche Börse le démontre une nouvelle fois. Opposé depuis le début à une fusion entre la Bourse allemande et le London Stock Exchange (LSE), le fonds d'investissement TCI (The Children's Investment Fund) a non seulement eu la tête du président de la Deutsche Börse, Werner Seifert, mais il s'est en plus prononcé en faveur d'un rapprochement entre Euronext et le LSE.Dans cette bataille pour la consolidation des Bourses européennes, plusieurs gestionnaires ont eu l'occasion de monter au créneau. Début mars, la filiale allemande de State Street avait en effet volé au secours des dirigeants de Deutsche Börse en déclarant qu'il était "du rôle du management d'examiner les opportunités de fusion et de développer la stratégie d'entreprise". Ce communiqué venait en réponse à une quasi-mutinerie de plusieurs autres grands gestionnaires d'actifs, parmi lesquels figuraient Fidelity Investments et Generali Asset Management, sortis de leur réserve habituelle pour réclamer le retrait de l'offre de Deutsche Börse sur le LSE.Cet épisode interpelle, tant il laisse apparaître une véritable tendance de fonds : l'implication croissante des gérants dans les entreprises. Deux phénomènes poussent aujourd'hui les sociétés de gestion à user de leurs droits d'actionnaire. Tout d'abord, le poids croissant de la gestion collective sur la cote. A titre d'exemple, les gérants français pèsent aujourd'hui pour plus de 10 % du capital du CAC 40. Mais surtout, côté réglementation, la directive OPCVM de 2002 a apporté un cadre formel à l'exercice des droits de vote. Le gestionnaire d'actifs n'agit certes qu'en mandataire, mais il doit pouvoir expliquer à ses clients l'utilisation qu'il fait de ses droits d'actionnaire. "S'il y a dix ans, il était de tradition que le gestionnaire s'abstienne de toute intervention dans la vie d'une entreprise, les choses ont récemment changé", explique un observateur.Plusieurs catégories de fonds d'investissement ont ouvert la voie. Les hedge funds affichent depuis longtemps leur pratique d'intervention. Dans l'affaire Deutsche Börse, deux fonds alternatifs - TCI et Atticus Capital - sont à l'origine de la fronde. Mais il faut également citer le cas des fonds ISR (investissements socialement responsables), dont certains n'hésitent pas à parler d'activisme actionnarial. De quoi décomplexer les gérants classiques.- Franchissement de seuilUne fois acquis le principe d'un rôle actif des sociétés de gestion, les opinions peuvent toutefois diverger sur son étendue. En février dernier, la société Richelieu Finance défrayait la chronique financière en annonçant avoir dépassé la barre des 20 % dans le capital de Club Med. Un franchissement de seuil hors norme, qui fit craindre un rachat de fait, en connivence avec le groupe Accor. Mais Richelieu Finance a par la suite démenti toute volonté d'implication dans l'administration de la société. "Nous n'avons pas vocation à influer sur la stratégie des sociétés dans lesquelles nous sommes investis", confirme Roland Fernet, gérant de Richelieu Finance, ajoutant : "Si un gérant se trouve en désaccord avec un changement stratégique, son meilleur mode d'expression consiste à vendre ses titres."Discours identique chez Sycomore Asset Management, actif sur le marché des petites valeurs : même en cas d'acquisition significative d'une part de capital, le rôle de la société de gestion "ne sera jamais de se substituer au management de l'entreprise". Dans l'esprit de la réglementation, les gestionnaires s'expriment avant tout sur le terrain de la gouvernance d'entreprise. Rémunération des dirigeants, postes d'administrateur, émission de titres, les questions ne manquent pas sur lesquelles les investisseurs peuvent faire valoir leur "contre-pouvoir". La frontière est cependant fine entre gouvernance et stratégie d'entreprise. Ainsi, l'Association française de la gestion financière (AFG) fait remarquer que "la directive OPCVM impose aux sociétés de gestion de ne pas exercer d'influence significative sur la conduite des affaires d'une entreprise cotée", mais précise que les gestionnaires "peuvent vouloir discuter en assemblée générale un éventuel changement majeur d'orientation, incluant par exemple la politique d'endettement". Le principe semble partagé par Axa Investment Managers, dont le vice-président Jean-Pierre Hellebuyck estime que "l'exercice des droits de vote peut amener un gestionnaire à s'opposer à une orientation stratégique de long terme qui lui semblerait défavorable".- Une implication croissanteLes prises de position de State Street, Fidelity et Generali dans l'affaire Deutsche Börse sont une illustration de cette implication croissante des sociétés de gestion. Sans parler d'influence, les gestionnaires utilisent la palette des moyens à leur disposition pour défendre l'intérêt des porteurs de parts. "En 2004, nous nous sommes exprimés à 80 reprises en notre qualité d'actionnaire. Quand on ne cautionne pas une décision de l'équipe dirigeante, nous intervenons auprès du management pour l'orienter vers une meilleure décision, explique-t-on chez Fidelity. Certains clients institutionnels souhaiteraient même que nous soyons encore plus actifs dans ce domaine."Tarek Issaou
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