Michel Degiovanni : "Nos contraintes de passif conditionnent notre politique d'allocation"

Jeune association professionnelle créée en 2002 à l'initiative de Michel Degiovanni, directeur financier de la Matmut, l'AF2i (Association française des investisseurs institutionnels) s'est fixée comme objectif de représenter les intérêts des investisseurs institutionnels. Un projet ambitieux quand on connaît l'hétérogénéité de cette communauté. Ces derniers partagent pourtant la même préoccupation, à savoir la gestion d'actifs financiers sur le long terme. L'AF2i regroupe aujourd'hui plus d'une cinquantaine d'adhérents représentant autour de 700 milliards d'euros. Dans un entretien à La Tribune, Michel Degiovanni, le président de l'AF2i, dresse un état des lieux des grands chantiers de la gestion institutionnelle.La deuxième édition du forum de la gestion institutionnelle s'est tenue le mois dernier à Paris. Quel bilan en tirez-vous ?- Ce forum a rencontré un véritable succès. Nous avons enregistré un peu plus d'un millier de visiteurs dont près de la moitié était des investisseurs institutionnels. 26 % des participants étaient des sociétés de gestion.Ce type de forum est un peu unique en Europe. Il permet de réunir l'ensemble de la communauté des investisseurs institutionnels et leur permet aussi d'exprimer le point de vue institutionnel sur les sujets touchant à la gestion financière. Pour les prochaines éditions, nous souhaitions donner à ce forum une dimension plus européenne. Nous allons nous y atteler très rapidement.L'une de vos priorités est d'ailleurs de mieux vous faire connaître des autorités européennes ?- Oui, d'ailleurs, nous avons commencé à nouer des relations avec nos homologues belges et suisses. Mais l'exercice a toutefois ses limites dans la mesure où les réglementations sont bien différentes d'un pays à l'autre.Il est toutefois intéressant de connaître les points de vue de nos confrères européens et de mieux connaître leurs contraintes. Cela fait partie de la culture générale que tout gérant financier doit connaître, surtout dans un environnement de plus en plus influencé par la réglementation européenne.Quelles ont été les conséquences des normes IFRS sur la gestion institutionnelle ?- Ces nouvelles normes comptables n'ont pas fondamentalement modifié nos politiques d'allocation d'actifs. Deux types d'investissement ont toutefois demandé énormément de travail. Il s'agit des fonds dédiés et des produits dérivés qui peuvent représenter entre 5 % et 10 % des actifs des institutionnels. La complexité de leur traitement comptable pourrait amener certains investisseurs à revoir leurs positions sur ce type d'investissements.Pour résumer, on peut dire que si les institutionnels modifient leur allocation sur telle ou telle classe d'actifs ce sera davantage en raison des contraintes techniques liées au traitement en normes IFRS.La directive Solvency II sur la solvabilité des compagnies d'assurances risque en revanche de poser de sérieuses difficultés...- Avec cette directive Solvency II qui doit entrer en vigueur à partir de 2010, on passe dans une autre dimension. D'une certaine manière, les difficultés rencontrées lors du passage aux normes IFRS seront balayées par l'entrée en vigueur de Solvency II. Les conséquences sur notre allocation d'actifs seront bien plus importantes.Aujourd'hui, nos besoins de fonds propres sont calculés en fonction de nos engagements de passif. Demain, ils seront calculés en fonction de nos engagements de passif mais aussi en fonction de notre actif et de nos risques opérationnels. Les sources de consommation de fonds propres sont élargies.Du coup, plus vous aurez une allocation d'actifs risquée, plus vous devrez immobiliser de fonds propres. In fine, c'est toute la stratégie de diversification de nos portefeuilles qui pourrait bien être remise en cause. Pour les assureurs, l'équation risque d'être la suivante : allocation d'actifs moins risquée, donc des rendements financiers moins importants et par conséquent, quelque part, une augmentation des tarifs. Il n'y a pas de secret.Dans l'environnement actuel des marchés, comment pilotez-vous justement votre allocation ?- Pour un investisseur institutionnel, ce ne sont pas les marchés qui conditionnent son allocation, mais plutôt ses contraintes de passif. C'est la règle de base. Chaque investisseur pilote son allocation en fonction de ses propres contraintes.Ceci étant dit, il y a une dizaine d'années, il n'était pas compliqué de dégager des rendements financiers puisque le taux était autour de 8 %-10 %. Ces dernières années, la baisse des rendements obligataires et la chute des marchés d'actions au début des années 2000 ont fait prendre conscience que les classes d'actifs traditionnelles ne suffisaient plus. La diversification des portefeuilles est alors entrée dans les moeurs. Que l'on qualifie cette diversification de "gestion coeur-satellite" ou autre, peu importe. Cette diversification doit permettre au directeur financier d'améliorer la rentabilité de son portefeuille, dans un risque maîtrisé.À quelles classes d'actifs recourent les investisseurs ?- Cette diversification passe par les hedge funds, par l'investissement dans le non-coté, par la gestion alternative au sens large. Cela concerne également les obligations convertibles, les obligations "corporate" ou encore les obligations à haut rendement (high yield).Traditionnellement, l'immobilier a toujours été très présent dans les portefeuilles institutionnels. C'est une des rares classes d'actifs qui a fait l'objet de moyens et d'équipes spécifiques chez les investisseurs. L'immobilier représente bien plus qu'une goutte d'eau dans les portefeuilles institutionnels. Chez les assureurs, elle peut rapidement représenter jusqu'à 10 % du portefeuille. C'est une véritable classe d'actifs qui ajoute de la décorrélation par rapport aux marchés financiers traditionnels.Êtes-vous globalement satisfait de l'offre des sociétés de gestion ?- Leur offre correspond largement à ce dont nous avons besoin. On peut difficilement reprocher aux sociétés de gestion, qu'elles soient françaises ou étrangères, de ne pas être innovantes. Ceci étant dit, les gérants connaissent mal nos contraintes réglementaires. Les institutionnels sont soumis à des réglementations très diverses, qu'il s'agisse des caisses de retraite Agirc-Arrco, des caisses de retraite autonomes, des compagnies d'assurances, des mutuelles ou encore des institutions de prévoyance. Il est important de bien connaître ces réglementations pour pouvoir élaborer les bons produits et discuter avec les directeurs financiers en charge des investissements.Quel accueil réservez-vous au private equity ?- Les assureurs ont été incités par Bercy à renforcer leurs investissements dans le non-coté. Nous avons pris acte de l'accord signé avec le ministère de l'Économie, mais nous le regardons avec nos yeux de techniciens. Ce n'est pas aux pouvoirs publics de nous dire ce que nous devons mettre dans notre allocation d'actifs. Il faut rester raisonnable. N'oublions pas que nos investissements correspondent à nos passifs et que l'argent que nous gérons ne nous appartient pas.Investir dans le non-coté n'est pas sans poser certaines difficultés. On nous invite à investir entre 1 % et 2 % de notre portefeuille dans le non-coté. Ce pourcentage ne va certes pas bouleverser notre couple rendement-risque, mais que se passe-t-il si pour suivre ces 1 % à 2 % de mon portefeuille, je dois mobiliser 20 %, 30 %, voire 40 % de mes effectifs. Il s'avère que très peu d'équipes chez les institutionnels sont dédiées au private equity.Que reprochez-vous à cette classe d'actifs ?- Le premier tient au caractère décorrélé du non-coté. Je ne suis pas certain que cette classe d'actifs soit vraiment décorrelée sur le long terme.On peut également regretter un certain manque d'information et de transparence. Les bases de données existent, mais elles sont terriblement chères. L'information provient généralement du fournisseur, les informations données par des prestataires indépendants sont assez rares.C'est pourquoi nous travaillons à l'AF2i sur une base de données commune. L'objectif est de mutualiser l'ensemble des informations recueillies séparément par les investisseurs. Nous allons par ailleurs publier dans le courant du mois de mai un guide sur l'investissement dans le non-coté.Propos recueillis par Matthieu Protard
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