Bière ? : le casse-tête du marché indien

Pour s'offrir une simple bière, l'Indien moyen doit parcourir plusieurs dizaines de kilomètres. Arrivé devant une minuscule échoppe, il saisit une bouteille conservée à température ambiante sur une étagère poussiéreuse, paye l'équivalent d'une heure de salaire, avant de se frayer un chemin entre les hommes accroupis qui consomment sur place? « C'est loin d'être une partie de plaisir », reconnaît le directeur exécutif de SABMiller en Inde, Jean-Marc Delpon de Vaux. Malheureusement pour lui et ses concurrents, la vétusté des points de vente n'est qu'un obstacle parmi d'autres?: taxation à outrance, interdiction totale de faire de la publicité, limitation des licences de distribution? la liste des pesanteurs bureaucratiques est longue et varie d'un État à l'autre.Résultat, si l'Inde se situe au deuxième rang mondial pour sa population, elle est quasi inexistante de la carte des buveurs de mousse. La consommation par habitant et par an ne dépasse pas 0,9 litre, à comparer aux 23 litres des Chinois ou aux 78 litres des Américains?!Mais ce marché riquiqui ne suffit pas à décourager les grands brasseurs internationaux. Bien au contraire. Depuis quelques années, l'Inde est devenue leur nouvel eldorado. Heineken vient de mettre la main sur le leader Kingfisher, jusqu'ici détenu par Scottish & Newcastle. SAB Miller est un solide numéro deux, avec une part de marché de 38,5 %, contre 43 % pour son concurrent. Même Anheuser-Busch (désormais InBev) a récemment signé avec un brasseur local pour embouteiller sur place sa célèbre Budweiser. Ce qui les attire tous?? Le gros potentiel de développement de ce marché. Le climat est chaud, la classe moyenne voit son revenu augmenter de 15 à 20 % par an, 40 % de la population a moins de 30 ans. « La consommation devrait être multipliée par cinq dans les 5 à 10 ans », s'exclamait la semaine dernière Jean-Marc Delpon de Vaux. Cette année, la progression est de 23 % et explose même de 300 % dans les États comme le Pendjab et l'Haryana, qui ont baissé leurs taxes.Car le premier obstacle au développement du marché est bien là. En raison d'un étrange système, qui taxe les boissons alcoolisées en fonction des volumes et non du taux d'alcool, la bière se retrouve cinq fois plus taxée que le whisky et trois fois plus taxée en Inde que dans le reste du monde. Résultat, l'Indien préfère boire du whisky pour des raisons? économiques. Plus embêtant encore, chacun des 28 États impose des droits de douane sur les bières qui entrent et sortent de son territoire. Pour produire seulement 12 millions d'hectolitres, l'Inde compte ainsi pas moins de 65 brasseries, alors qu'il en suffirait de trois ou quatre en Europe. Les marges des brasseurs en prennent donc un sacré coup. Seul 35 % du prix de chaque bouteille de bière leur revient, contre 55,4 % dans le reste du monde. Le gouvernement et les différents États empochent, quant à eux, 49 % du total (contre 33,6 % en moyenne mondiale).Même la distribution échappe aux brasseurs. Dans la moitié des États, c'est le gouvernement local qui la contrôle et accorde au compte-gouttes les licences aux différents « liquor store ». L'Inde se retrouve ainsi avec un point de vente pour 21.000 habitants, contre un pour 450 à Hong Kong et un pour 363 en Angleterre. « Nous nous battons en permanence pour créer plus d'occasions de consommation », explique le directeur commercial de SABMiller en Inde, T. J. Venkateshwar. Mais c'est pour contrer l'interdiction des publicités pour l'alcool que les brasseurs font preuve du plus d'ingéniosité. Chez SABMiller, chaque bière a son pendant en boisson non alcoolisée. Pour vanter sa marque Haywards 5000, le numéro deux mondial a ainsi créé un spot très « bollywoodien » dans lequel deux hommes virils se battent à coup de bouteilles de? sodas Haywards 5000. D'autres brasseurs créent des vêtements, des articles de sport ou même des chaînes de télé au nom de leurs marques de bière. Mais la palme revient à Vijay Mallya, le très charismatique patron de Kingfisher, qui a créé une compagnie aérienne du même nom?!Face à toutes ces restrictions, Kingfisher et SABMiller se serrent les coudes et font beaucoup de lobbying en commun. Ils fourbissent surtout leurs armes et leurs stratégies en prévision du grand marché de demain. Le premier axe tout sur une seule marque pour lui donner une écrasante notoriété. Le second segmente le marché avec cinq à six marques fortes. La dernière, lancée en octobre, se nomme Indus Pride et joue sur le fort sentiment nationaliste indien. En ces temps de repli identitaire suite aux attentats de Bombay, elle a toutes les chances de s'imposer rapidement. Sophie Lécluse
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