Nous sommes tous dans le même

Nous sommes tous dans le même bateau, paraît-il. Tous malmenés par la crise, quand le déficit se creuse comme la mer par gros temps. Mais, pour paraphraser Orwell, il apparaît que certains sont plus dans le bateau que d'autres. Ou a contrario que d'aucuns naviguent dans des bateaux un peu moins solides. Ainsi de ceux de Continental ? tous sur le pont, souquant ferme et serrant les dents pour tenir bon la vague ? voyant le capitaine filer en hors-bord pendant que leur navire prend l'eau. Des syndicats et des salariés qui ont accepté de revenir aux 40 heures hebdomadaires contre la promesse que le site serait maintenu jusqu'en 2012 au moins, on pourrait dire qu'ils sont « tels l'âne de la montagne, portant le vin et buvant de l'eau », autrement dit qu'ils se sont fait duper. Ou encore qu'ils se retrouvent « le bec dans l'eau » ? l'expression, explique Duneton (dans « Le Bouquet des expressions imagées »), est une variation sur « tenir le bec dans l'eau, c'est-à-dire nourrir des espérances [pas toujours satisfaites] ; l'image se rapporte au canard qui cherche sa nourriture dans une mare ». Sachant que les promesses n'engagent que ceux qui les croient, on aura, après coup, beau jeu d'affirmer que les signataires de l'accord, chez Continental, « ont la tête pleine d'eau » ou « qu'ils ont bu l'eau des nouilles », autrement dit qu'ils sont idiots (cité dans « On va le dire comme ça », éd. Balland, 2008).Sont-ils « dans le même bateau » que nous, ces hommes et ces femmes qui n'ont que le tort d'être nés dans des pays de misère ? La faim, la pauvreté, l'oppression les poussent à se jeter à l'eau, à tenter de rallier les pays riches, du moins en termes de PIB par habitant. Il y a quelques semaines, des dizaines et des dizaines d'entre eux ont été engloutis au large de la Libye ? 200 ou 300 selon les sources ?, un nombre indéterminé d'humains déterminés à rejoindre un ailleurs qu'ils pensaient meilleur, bien trop nombreux en tout cas pour les embarcations qui les emportaient sur une mer chahutée. On pourrait ici convoquer cyniquement Molière et Scapin : « Mais qu'allaient-ils donc faire dans cette galère ? » Tenter seulement de survivre, de garder la tête hors de l'eau. Ils ne voulaient ni monter un bateau, ni mener quiconque en bateau, juste monter à notre bord et mener un peu leur propre existence. Leur projet, leur vie sont tombés à l'eau. Faut-il être bardé d'indifférence ? être « pétri d'eau froide », autrement dit ? pour considérer que cette affaire est une goutte d'eau dans la mer ? Selon un décompte effectué par l'AFP, 3.000 personnes sont mortes de cette façon depuis 2000 ? on ne les appelle jamais passagers clandestins, comme si le passager clandestin se devait d'être singulier ; 200 individus entassés sur un bateau de 70 places méritent le seul nom de clandestins tout court. à quoi faut-il rapporter ces morts ? à ceux du 11 septembre 2001 ? Aux victimes des guerres civiles (ou « de civilisation ») en Irak, en RDC, en Somalie ? Nous sommes tous dans le même bateau ? Crois-y et bois de l'eau !Dis papa, c'est loin l'humanité ? Tais-toi et nage !
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