« Les technologies de rupture vont changer le monde »

Le monde d'après. Chaque jour, cet été, nous interrogeons un grand témoin de l'actualité sur l'après-crise. Pour Nathalie Kosciusko-Morizet, la convergence entre la « high-tech » et la « green tech » va permettre de bouleverser nos anciens modèles. Retrouvez l'intégralité de l'entretien sur Latribune.fr.interview Nathalie Kosciusko-morizet secrétaire d'État à la Prospective et au Développement de l'économie numériqueLa crise que nous traversons débouchera-t-elle sur un monde nouveau ?Cette crise a un caractère exceptionnel, à la fois par son ampleur, ses motifs et les incohérences de notre système qu'elle a mises en lumière. Ce sentiment, bien partagé il y a quelques mois, commence, il est vrai, à se dissiper avec les premiers signes de reprise et le retour à des habitudes que l'on croyait, à jamais, balayées. Pourtant, les questions soulevées sont à la fois trop nombreuses et trop structurelles pour que cette crise soit une simple parenthèse qui se referme. J'ajoute que la conviction, voire le désir, de la majorité de l'opinion, est que les choses ne pourront justement plus être comme avant, qu'elles doivent changer.Quelles sont les grandes ruptures que cette crise a révélées ?La crise est née d'une conjonction de mauvaises incitations microéconomiques, d'un déficit de coordination macroéconomique et d'une répartition internationale du travail trop déséquilibrée, entre un Nord qui consomme à crédit et un Sud qui produit à bas coût. Mais deux aspects de la crise me frappent plus particulièrement. Tout d'abord, la crise du « court-termisme ». Le système économique s'est peu à peu ordonné au court terme, alors que nos politiques publiques et nos systèmes sociaux sont calés sur des calendriers de long terme. Ce qui crée des tensions, y compris dans les représentations que les gens ont de la société. La même opposition peut être soulignée entre, d'une part, un monde productif de plus en plus virtuel, éloigné du consommateur par une multiplication d'intermédiaires et, d'autre part, un besoin de proximité, de sens concret. C'est en cherchant à résoudre ces tensions, ces distances, que nous pourrons contribuer à résoudre les crises connexes : la crise de modèle, la crise de sens, la crise du système de production et de consommation et la crise écologique puisque nous devons faire face à la raréfaction des ressources naturelles et au réchauffement climatique.Les nouvelles technologies peuvent-elles jouer un rôle dans la construction du monde de l'après-crise ?Je peux vous faire une première réponse, en rappelant que les nouvelles technologies peuvent constituer un moteur de la relance économique, la preuve en est que ce secteur reste dynamique. On peut appliquer ce même raisonnement à l'économie « verte ». Mais il me semble qu'une réponse de ce type, si juste soit-elle, resterait réductrice. Elle tend en effet à considérer les économies numérique ou verte comme une simple opportunité susceptible de maintenir « le monde d'avant », en lui trouvant de nouveaux leviers. Dans l'économie numérique, il existe en réalité deux tendances. La première, la plus visible, est celle des gains de compétitivité, celle qui participe à l'achèvement du processus d'automatisation des biens et finalement à la destruction de l'ancien système. Mais il existe aussi un deuxième processus, moins commenté mais bien plus porteur, celui de la diversification des biens, en qualité et en quantité. Elle ouvre un champ complètement nouveau pour répondre aux attentes des consommateurs qui rejettent de plus en plus la consommation de masse et cherchent une consommation plus personnalisée, au plus près des besoins exprimés et du sens que l'on souhaite leur donner. L'économie numérique permet de déployer un nombre incroyable de nouveaux services, d'en augmenter fortement la valeur d'usage et surtout de créer des emplois. Le potentiel est immense, mais encore mal perçu, et parfois un peu dénigré, comme le furent d'ailleurs les technologies vertes il n'y a pas si longtemps de cela.Quel rôle donnez-vous justement à l'écologie verte dans la mutation de nos modèles ?C'est probablement dans la convergence de la « high-tech » avec la « green tech » que se trouvent les technologies de rupture qui permettront de changer le monde, ou d'accompagner la transformation radicale désormais indispensable. Pour des raisons techniques, tout d'abord. L'économie verte nécessite beaucoup de technologies numériques pour développer la domotique, la gestion intelligente des réseaux électriques, ou encore les énergies renouvelables. Mais l'économie numérique participe également à la création d'un nouveau service, par nature plus économe en énergie : celui qui consiste à produire le bien ou le service dont vous avez besoin au moment où vous en avez besoin.Quel rôle peut jouer l'État dans ces évolutions ?Cette crise a effectivement appelé au retour des États, à la fois en matière économique, avec par exemple la nécessité de revenir à des politiques industrielles, mais également à l'occasion de débats renouvelés, sur la société, sur l'éthique, le vivre ensemble, la mise en place d'une gouvernance mondiale. C'est une demande très forte de l'opinion, comme en témoigne toute la polémique autour des bonus des banquiers. En même temps, ce retour de l'État ne doit pas être compris comme un simple « come-back », à la façon d'un interventionnisme classique. Nous assistons à un mouvement paradoxal de présence plus forte de l'État et d'ouverture à des acteurs de plus en plus divers. Et la question de l'État face à la société reste posée.Propos recueillis par Éric BenhamouDemain, suite de notre série avec l'interview de Paul Jorio
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