Chaumont-sur-Loire, un voyage enchanteur

En mariant l’art et la nature, le domaine offre harmonie et beauté au visiteur. Et lui permet de se réconcilier avec lui-même.
« La Grotte Chaumont », de Miquel Barceló.
« La Grotte Chaumont », de Miquel Barceló. (Crédits : LTD / Éric Sander)

Il y a infiniment longtemps, Gaïa, déesse de notre planète, s'ennuyait fermement à contempler une croûte terrestre impassible, sans vie, sans eau. Pour se distraire, elle souffla fortement sur son joujou, créant ainsi la Loire. Gaïa est asthmatique. Elle tousse beaucoup, recouvrant régulièrement, absolument, tout de sable. Il y a peu, des fouilles eurent lieu sur la colline de Chaumont-sur-Loire, révélant la présence d'un immense château Renaissance totalement oublié. Aujourd'hui, château et domaine se visitent. Une fois par an, le sable de Chaumont quitte la terre pour rejoindre Gaïa afin de la cajoler, de la remercier de l'avoir créé puis reprend sa place à Chaumont. Pour le spectacle du retour du sable sur terre, Chaumont affiche complet des années à l'avance. Tout est faux bien entendu, mais a été imaginé à Chaumont il y a quelques jours, tandis qu'on était assis sur un banc, sous un vieux cèdre, la Loire filante et ses bancs de sable en contrebas. À Chaumont tout éveille, stimule l'imaginaire. L'esprit part en goguette.

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Château, écuries, dépendances, parc et prairies sont enchantés par la présence d'œuvres. Les jardins eux-mêmes sont des créations renouvelées chaque année en fonction de thèmes mouvants comme les... sables. Celles présentes à Chaumont ont été inspirées par le lieu ou sont mises en scène par lui. Certaines semblent nées de légendes ou vont en créer, comme l'immense bouche ouverte d'un ogre surgi des buissons, prête à déguster le visiteur. L'auteur, la star mondiale Miquel Barcélo, raconte que qui ose entrer dans sa création est aspiré par un méchant trou. Vérification faite, le trou existe. Un arbre pleure des échelles (François Méchain). Tic tac, l'arbre grandit. Les échelles accrochées aux branches ne touchent pas le sol. On ne peut plus grimper dans ses rêves d'enfant. Des silhouettes spectrales et longilignes en bois sombre se dressent au cœur du parc (Christian Lapie). Qui sont-elles ? Une bande de fantômes sortis du château prendre l'air, un groupe de sentinelles bienveillantes, des vigies dressées là par Gaïa pour nous surveiller ? Que d'histoires ne se raconte-t-on pas. Et que fait là, en surplomb de la Loire, ce troupeau de vaches qui n'en sont pas ? Que vient faire ici cette meute paisible de six sculptures géométriques en fonte de fer posées sur l'herbe et qui semblent paître ? Ces volumes creux imaginés par Vincent Barré permettent de voir, à travers eux, le paysage autrement. Que se passe-t-il dans la chapelle du château envahie par une étrange jungle poétique et drôle composée de végétaux séchés dont les fleurs sont des objets incongrus et banals (Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger) ? Dans une grange de la ferme, impossible d'entrer. Un dragon tout de bois vêtu dont on ne voit ni le début ni la fin s'extirpe du grenier et avale tout l'espace (Henrique Oliveira). Au cœur du parc, une main s'accroche à un tronc. Rien qu'une main, personne au bout. Le tronc n'est pas en bois mais en bronze. La main est celle de son auteur, Giuseppe Penone. L'homme s'accroche à l'arbre mais il abat des forêts. Ce n'est pas la signification « officielle » de l'œuvre mais peu importe.

Le lieu conduit à avoir une relation intime et multiple avec soi-même... La nature offre un spectacle vivant

Arthur Grelet, jardinier du domaine

À Chaumont, chacun fait ce qu'il veut de ce qu'il voit. Chacun interprète tout comme il lui plaît. Ce domaine féerique et érudit est devenu centre d'art grâce à une femme à la voix de velours et à la détermination de fer : Chantal Colleu-Dumond. Depuis dix-sept ans, 35 heures par jour seulement, celle-ci trouve les thèmes qui vont animer le Festival des jardins, commande des œuvres, en emprunte. La directrice d'une équipe totalement impliquée est aussi metteuse en scène, mariant savamment le moindre mètre carré du domaine aux dizaines d'œuvres qui l'animent. Le royaume de Chantal a une mission « simple » : adoucir le monde, écorner son indigence, freiner sa perte de sens en lui offrant du beau. Pour Chantal, le baume réparateur, réconciliateur, c'est l'art et la nature.

Chantal Colleu-Dumond est quasiment née dans un jardin, celui de sa grand-mère horticultrice à Dinard. L'enfant aimait humer l'harmonie de la nature, se délecter de sa générosité, de sa créativité, en déguster les odeurs. Le domaine de Chaumont est la progéniture du jardin de Dinard. La directrice est encore la petite fille qui s'en régalait. Rencontre sur un banc en plein parc. « L'idée de la région était de mêler la culture et la nature. J'ai candidaté et été retenue. Œuvrer pour offrir du beau, c'est du travail et c'est sérieux. On apprend à œuvrer avec la nature. Elle réserve des surprises, s'empare de nos idées et est très imaginative. Ça rend humble. Quant au sérieux, il s'agit d'offrir un antidote au monde terrible dans lequel nous sommes. Je pense que le beau, art comme nature, soigne. Aujourd'hui, des études scientifiques le prouvent. Le beau nous élève. Je suis heureuse que mon passage sur terre serve à cela. »

Chaumont

Fûts, installation de Vincent Barré au Domaine de Chaumont-sur- Loire, 2024. (© LTD / Éric Sander)

Chaumont est affaire de femmes. Le château a été acheté par Catherine de Médicis, habité par Diane de Poitiers. Chantal Colleu-Dumond dirige le lieu. Pour Coline Serreau, académicienne, cinéaste, scénariste et voisine du domaine : il n'y a rien de guerrier à Chaumont. C'est donc peut-être bien une affaire de femmes. Pour elle, l'essentiel à Chaumont est que tout est réel, rien n'est virtuel. « Une odeur n'est pas numérisable. Je grimpe à Chaumont parce que tout est vrai, tout est là, en harmonie. À Chaumont, je n'écris pas, je ne lis pas. Je mets mon inconscient en éveil. Il se réjouit, se nourrit de ce que je sens, vois, et entend. »

Pas de Chaumont sans jardiniers. Arthur Grelet (30 ans) est fils du pays. Il a navigué sur la Loire à bord de sa toue [barque à fond plat], offerte depuis au domaine. Elles sont trois à se dresser vers le ciel, « plantées » par El Anastui, icône de la récupération. Rencontre au fond d'une vallée faussement perdue à la jungle maîtrisée. « Chaumont est toute ma vie. Le lieu conduit à avoir une relation intime et multiple avec soi-même. Ici, je suis heureux, je suis inquiet, je travaille, me repose et rêve. La nature offre un spectacle vivant. L'aimer, c'est aimer l'humain car la nature rapproche les humains. » Art et nature, rencontres imaginées lors de « conversations sous l'arbre », Chaumont est l'écrin de tous les rapprochements.

Domaine de Chaumont-sur-Loire (Loir-et-Cher) Tél. : 02 54 20 99 22

Hôtel du domaine Le bois des chambres Chaumont-sur-Loire (Loir-et-Cher)

Le domaine en quelques dates

1469 à 1481 Construction du château

1550 La reine Catherine de Médicis achète le château

1992 Premier Festival international des jardins

2007 Le domaine devient centre d'art

24 avril 2024 Ouverture du Festival international des jardins

6 et 7 juin 2024 « Conversations sous l'arbre », conférences sur le thème des musiques de la nature sur le domaine et à l'hôtel du château

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