Le repos du guerrier

L'année avait été rude et j'avais le sentiment de mériter ces vacances que j'attendais depuis si longtemps. Mais je ne pouvais m'empêcher de penser au bureau. J'y pensais entre deux tartines de crème solaire sur la plage, j'y pensais à l'apéro quand je dissertais sur la valeur travail, le mérite, l'abnégation, les collègues, Jean-Pierre, Bernard, Bruno ou Catherine. Leurs aventures, leurs frasques, à vrai dire, n'intéressaient personne. Mes histoires à n'en plus finir ne faisaient pas rire. C'était ma façon à moi de ne pas couper le cordon.L'année avait été rude mais j'avais quand même réussi à décrocher un demi-galon et le téléphone portable qui allait avec. Un téléphone « intelligent », un smartphone, un véritable bureau ambulant en fait. Je pouvais consulter mes courriels à tout bout de champ. J'étais quelqu'un. Un petit chef en costume de bain.Gonflé à blocJ'avais l'impression d'attraper, en même temps que mes premiers coups de soleil, l'assurance qui m'avait manqué en hiver. J'étais gonflé à bloc, sûr de moi, réponse à tout, toisant légèrement mes copains de vacances. « Les promotions, c'est pas bon pour le melon », me disaient-ils en riant. Je le sentais bien qu'ils m'enviaient mon beau BlackBerry.Je savais qu'il me faudrait bien un mois pour me remettre de mes émotions. Chaque jour, cette année, avait été une victoire sur l'incertitude et la morosité. J'étais trop fier pour montrer mes faiblesses, ou trop inquiet. Je fanfaronnais avec mon bureau mobile pour me persuader que je faisais encore bien partie des effectifs.J'avais donné mon numéro à mes relations, à mes amis, à ma famille recomposée. Quand mon téléphone sonnait, je coupais le son. « Ils ne vont tout de même pas m'em? pendant mes vacances tout de même. » Dès que je me retrouvais seul, je rappelais.Quand Jean-Pierre, mon chef de service a appelé, j'ai laissé chanter dans le vide. Il a insisté. Je l'ai imaginé en face de moi, m'annonçant un nouveau plan social. J'ai décroché. J'avais perdu ma superbe. On avait une tuile, une grosse tuile. Il m'a demandé d'écourter mes vacances et je n'ai pas su lui dire non. J'ai (mal) joué l'indispensable devant les copains et j'ai plié bagages sans demander mon reste.
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