« Un nouveau monde est inéluctable »

Le monde d'après Chaque jour, cet été, nous interrogeons un témoin sur l'après-crise. Aujourd'hui, Henri Guaino, pour qui « c'est maintenant que tout se joue ». Le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy est optimiste sur l'émergence d'un nouveau modèle de croissance endogène. La version intégrale est accessible sur Latribune.fr.interview henri guaino Conseiller spécial à l'ElyséeÀ voir le redémarrage de la finance, la crise semble n'avoir été qu'un accident, un peu plus grave que les autres. Va-t-on vers le retour du « monde d'avant » ?La crise n'est pas un accident conjoncturel, mais le point de passage d'un des grands cycles du capitalisme à un autre. Nous avons atteint les limites d'un capitalisme financier où l'on ne payait plus ni le vrai prix du risque ni le vrai prix de la rareté, où les valeurs et les représentations collectives étaient devenues contradictoires avec les principes mêmes du capitalisme entrepreneurial et de la croissance durable. On ne construit pas un système économique et a fortiori un projet de société ou de civilisation dans le repliement sur l'appât du gain et l'obsession du court terme.On voit pourtant les banques recommencer : salaires et bonus exorbitants, effet de levier?Ceux qui croient que cette crise n'est qu'une parenthèse et que tout va recommencer comme avant se trompent. Les responsables financiers qui font comme si rien ne s'était passé mènent un jeu dangereux. Les passifs sont loin d'avoir été apurés, les actifs de mauvaise qualité menacent toujours la stabilité du système bancaire mondial, bref, tout est encore très fragile. Il faut bien comprendre aussi que, désormais, les opinions publiques ne supporteront plus l'indécence de certains comportements et que, pas plus dans l'économie que dans n'importe quelle autre activité humaine, on ne peut éluder la question morale. Voir des banques dont les comportements sont à l'origine des difficultés de dizaines de millions de chômeurs distribuer des bonus effarants sape les fondements éthiques du capitalisme.Pourquoi les laisse-t-on faire, alors ?Il faut à la fois faire évoluer les mentalités et changer les règles du jeu. C'est un combat contre des habitudes de comportement et de pensée bien ancrées, contre des intérêts. Les dirigeants du monde entier doivent assumer une immense responsabilité intellectuelle, morale, politique pour accoucher d'un monde nouveau, pour accompagner, pour organiser l'émergence d'une nouvelle mondialisation, d'un nouveau modèle de croissance, d'un nouveau mode de vie, d'un autre système de valeurs. Si ce combat échoue, si l'on ne parvient pas à mettre en ?uvre une régulation mondiale, si ceux qui veulent que tout recommence comme avant l'emportent, alors il faut craindre qu'après avoir écrit tous les chapitres d'un manuel d'économie sur les crises financières nous n'écrivions aussi les pires chapitres d'un manuel d'histoire. Souvenons-nous que les passions humaines sont toujours plus fortes que les marchés. Un nouveau monde est inéluctable. Le problème est de savoir si le passage de l'ancien au nouveau se fera sous l'empire de la raison ou sous celui de la déraison, si nous ferons un détour par des catastrophes écologiques, sociales, politiques ou si nous saurons en faire l'économie. C'est une responsabilité collective.Ce monde nouveau, de quoi sera-t-il fait ?L'histoire économique est celle d'un éternel balancier. Il est probable que les ressorts du modèle de croissance de demain ressembleront plus à ceux des Trente Glorieuses, avec la révolution numérique et la croissance verte en plus, qu'à ceux des vingt dernières années. L'éclatement de la bulle d'endettement devrait conduire à un rééquilibrage en faveur de la production, du travail, du long terme, de la croissance endogène. Il y aura une demande plus forte de régulation, de protection, de solidarité de qualité, de vision à long terme qui appellera un retour de l'État. La crise a déjà beaucoup déplacé les lignes. Elle va continuer de le faire. Il est clair désormais que pour quelques décennies au moins plus personne ne pourra croire que les marchés peuvent régler à eux seuls tous les problèmes de la société et de l'économie.C'est la fin d'un cycle libéral ?C'est la fin d'un cycle de laisser-faire. La crise a fait prendre conscience que le développement durable, l'innovation étaient conditionnés par l'interaction réussie entre le temps court des marchés et le temps long des institutions, entre l'individuel et le collectif. Les ressorts du progrès, ce sont l'accumulation du capital matériel et humain dans la longue durée, des institutions stables, des droits de propriétés bien définis, des valeurs éthiques de responsabilité et de liberté, l'esprit d'entreprise, la récompense du mérite? L'économie, c'est toujours un mélange de marché, d'organisation et de culture.Cela veut dire moins de mondialisation ?Non, on peut espérer déboucher sur une mondialisation plus coopérative et moins conflictuelle, où chacun en cherchant à se développer par une croissance endogène, contribuerait au développement de tous au lieu de chercher à prendre les marchés et les emplois des autres à coups de dumpings monétaires, sociaux ou environnementaux. Ce fut le modèle de croissance des Trente Glorieuses. Encore faut-il bien gérer la transition, sinon on aura le protectionnisme et la balkanisation du monde. C'est maintenant que tout se joue, maintenant que nous prenons le bon ou le mauvais chemin. L'émergence du G20 a de quoi rendre optimiste. Pour la première fois depuis des décennies, le politique a proclamé qu'il n'acceptait plus la dictature des marchés. Propos recueillis par François LengletLundi, suite de notre série avec l'interview de Alain Lipietz
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