"Un atout pour rayonner dans le monde"

Malgré votre dimension mondiale, vous demeurez fidèle au Nord-Pas-de-Calais et à Lille Métropole en particulier. Pour quelles raisons ?- Nous sommes une société familiale, totalement indépendante, fidèle, par nature, à nos origines, celles du Nord-Pas-de-Calais et, plus précisément, dans ce qu'il convient d'appeler aujourd'hui l'aire métropolitaine lilloise. Notre site de production et notre siège social sont à Lestrem, un territoire situé entre Béthune et Armentières, à une trentaine de kilomètres de Lille. Nous nous considérons donc parfaitement intégrés dans la métropole lilloise, d'ailleurs nos cadres et moi-même y habitons. Pour nos commerciaux, nos clients et nos fournisseurs, cette référence à la métropole lilloise est essentielle car elle est connue, identifiée à l'international. Et, pour nous qui sommes mondiaux, Lille est un formidable atout pour conduire nos activités et rayonner dans le monde. Depuis la gare TGV de Lille Europe, nous sommes au coeur des liaisons vers Bruxelles, Paris et Londres, et vers les grands aéroports internationaux. Nous avons d'ailleurs revendu notre avion privé en 1998 pour organiser tous nos grands déplacements depuis cette gare TGV.En quoi consistent les activités de votre groupe ?- Nous extrayons l'amidon de quatre matières premières : par ordre d'importance, le maïs, le blé, la pomme de terre et, depuis peu, le pois protéagineux. Cela représente, dans le monde, 6 millions de tonnes par an. Nous en tirons 650 produits différents. Si on exclut les sous-produits qui vont à l'alimentation animale, on peut dire que 50 % de nos produits sont destinés à l'alimentation humaine et entrent dans la fabrication des bières, chocolats, charcuteries, flans, alimentation pour bébé, soupes, biscuits ou bonbons, etc. L'autre moitié de notre production répond à des besoins de l'industrie du papier-carton ondulé, de la cosmétique (le sorbitol est l'humectant des pâtes dentifrices), des médicaments (comme excipient de la vitamine C, de l'aspirine et bien d'autres encore), de la chimie comme ingrédients dans les colles, les polyesters, les plastiques biodégradables ou encore les mousses.Quelles sont les perspectives de ces marchés et de votre entreprise ?- Nous comptons aujourd'hui 5.700 salariés dont 2.050 à l'étranger. Nous sommes présents dans une centaine de pays à travers le monde. En données consolidées, nous affichons un chiffre d'affaires de 2 milliards d'euros. Relativement stable depuis quelques années, ce chiffre d'affaires devrait évoluer favorablement avec la mise en production, d'ici à la fin de cette année, de notre usine en Chine.Quels types d'investissements avez-vous réalisés en Chine ?- Nous sommes installés à Lian Yun Gang. C'est une ville portuaire - le 8e port de Chine - située entre Shanghai et Pékin. Il y a cinq ans, nous y avons acheté une unité de production, modernisée depuis. A proximité, nous avons construit une deuxième unité, avec l'objectif de disposer au total d'un important centre de production de sorbitol. L'ensemble de l'opération a généré un investissement de plus de 100 millions d'euros et sera opérationnel à la fin de cette année. Cette usine comptait à l'origine 191 salariés. Ils seront 400 personnes à court terme. Dans le même temps, nous avons ouvert des bureaux commerciaux à Shanghai, Canton, Séoul en Corée, ainsi qu'au Japon, à Tokyo et Osaka.Quel est l'intérêt stratégique de cet investissement ?- Il ne s'agit nullement d'une délocalisation, puisque Lestrem demeure notre plus grand site européen et que nous continuons à y investir. Mais, pour fournir les pays émergents en Asie du Sud-Est, il nous fallait être sur place. L'autre volet de cette stratégie est que la Chine est le premier producteur mondial d'aspirine et surtout de la vitamine C : 50 % de la consommation mondiale est produite en Chine. Comme la vitamine C se fabrique à partir du sorbitol, la Chine représente donc un débouché extrêmement important. En dehors de l'Asie, quel a été votre développement à l'international ?- Nous avons accéléré notre politique de croissance externe depuis 1985 avec des rachats d'unités de production de caramel colorant, d'amidonnerie de maïs ou de blé, successivement à Corby en Grande-Bretagne, Keoku dans l'Iowa (États-Unis) ou encore à Calafat en Roumanie. Au total, nous avons déployé un réseau de 22 implantations - agences commerciales et centres de production - dont 12 en Europe (4 en Nord-Pas-de-Calais), 2 aux États-Unis et 8 en Asie.Résultat : après l'acquisition du belge Cerestar par l'américain Cargill, nous sommes le n° 2 en Europe et le n° 4 dans le monde, mais nous demeurons le premier groupe totalement indépendant et intégralement concentré dans le coeur même de notre métier. Par produit, nous sommes le premier producteur mondial de polyols. Cette famille d'ingrédients (sorbitol et mannitol) est le composant primordial de la confiserie sans sucre. Différente des boissons sans sucre, elle ne provoque pas de carie et est totalement naturelle. Cette attention à la problématique de l'hygiène bucco-dentaire est une des thématiques essentielles de notre stratégie de développement. Nous sommes également le leader mondial dans la production de matières premières pour injectables comme le glucose, le fructose et le sorbitol. Juste un chiffre : chaque jour, dans les hôpitaux, plus de 1 million de personnes reçoivent par perfusion des produits Roquette.Vous venez d'annoncer un investissement en Alsace dans le bioéthanol. Qu'en attendez-vous ?- Nous avons présenté un projet d'investissement de 75 millions d'euros qui nous permettra de produire 160.000 tonnes de bioéthanol, soit 2 millions d'hectolitres, extraites de 500.000 tonnes de blé. Nous implanterons cette unité dans notre usine de Beinheim, en Alsace. Sur ce site, nous allons surtout pouvoir utiliser l'énergie géothermique. L'enjeu est donc de concevoir une unité de production de bioéthanol non émettrice de CO2. Nous sommes là au coeur de notre stratégie : le développement de la "végéto-chimie" en substitution totale de la pétrochimie. Cette chimie verte, c'est aujourd'hui le bioéthanol, mais cela sera demain les plastiques biodégradables, les nouveaux textiles, la production d'éthylène à base d'éthanol agricole. Le Brésil et les États-Unis ont déjà de nombreux programmes dans ce sens. En Europe, on ne fait que découvrir les immenses possibilités industrielles qui se présentent. Gageons que les cours actuels du pétrole en seront un sérieux accé- lérateur.Que pensez-vous de la réforme de l'organisation commune des marchés européens du sucre ?- D'ici à la mi-2006, si le calendrier d'application de cette réforme est respecté, il est prévu de baisser de 39 % sur deux ans les prix garantis du sucre européen, les quotas de production ainsi que les exportations subventionnées. Cette baisse des prix garantis du sucre va automatiquement entraîner une chute des prix de tous les produits sucrants issus des céréales. Nous serons touchés par les effets de la réforme, alors que nous n'allons pas bénéficier des mêmes avantages que ceux accordés aux industriels du sucre pour se restructurer. Je ne suis pas opposé à cette réforme : elle est inévitable et salutaire pour retrouver des règles saines dans un marché mondial. Mais elle doit permettre la libre concurrence entre les filières industrielles du sucre. À l'heure actuelle, ce n'est que dans les jours où l'on est optimiste que nous considérons que notre groupe ne sera pas touché par cette crise im- minente.Propos recueillis par Francis Dudzinsk
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