Chronique d'un crash annoncé

Le 31 août 1999, un Boeing 737 de la compagnie argentine Lapa prend feu après avoir percuté un terre-plein au centre de Buenos Aires. Bilan : 67 morts. L'avion était immatriculé WRZ ("Whisky Romeo Zulu"). Il n'était pas piloté par son commandant habituel, Enrique Pineyro, qui venait de démissionner de la compagnie pour non-respect des règles de sécurité. Ce crash, le commandant Pineyro le vit avec stupeur à la télévision. Il s'est décidé à raconter son histoire et son combat dans ce film fort bien fait où il est à la fois derrière et devant la caméra dans son propre rôle. Récit d'une vocation de pilote déçue, le film est un réquisitoire contre l'inhumanité de la course au profit menée par la compagnie. Dans la chute prévisible du Boeing, le réalisateur voit "une métaphore de l'Argentine d'aujourd'hui, pervertie par la corruption".Entré dans la compagnie privée Lapa en 1988, Pineyro a cru en son métier. Mais il doit déchanter à partir des années 90 : avec la déréglementation du transport aérien, les garde-fous volent en éclats et les règles de sécurité passent au second plan. Un seul credo prévaut : augmenter les profits. Résultat : il ne se passe pas un vol sans que tel instrument de bord ne tombe en panne ou que tel autre ne soit manquant. Et ce avec la bénédiction des services de maintenance qui, moyennant quelques gratifications occultes, ferment les yeux. Jusqu'au jour où le commandant Pineyro, excédé, décide de ne pas décoller et de laisser l'appareil au sol. Mis sur la touche par la compagnie qui trouve toujours un volontaire-kamikaze pour effectuer les vols les plus risqués, il va s'attacher à dénoncer la trame complexe des complicités entre Lapa et la force aérienne armée qui exerce le contrôle sur l'aviation civile.Métiers. Avant de passer à la réalisation, Pineyro n'était pas tout à fait étranger au monde du cinéma. Jeune il a étudié le métier de comédien. Au chômage après sa démission, il a joué dans quelques films réalisés par ses compatriotes. Il n'en reste pas moins que dans ce premier film il fait preuve d'une maîtrise rare, débordant le cadre de l'enquête et du documentaire pour donner au récit le souffle d'une fiction. La gestion du temps notamment y est remarquable, avec des allers-retours dans la chronique de ce crash annoncé.Bien mené également, l'entrelacement des différents récits qui forment la trame du film. A l'histoire de sa vie professionnelle, Pineyro mêle en effet celle de sa vie personnelle et amoureuse depuis l'enfance. Et à son propre combat contre Lapa, il mêle celui du juge qui ouvrit une enquête après le crash, ne se contentant pas de l'habituel verdict : "erreur humaine". De fait, à force d'opiniâtreté et de courage, le juge, passant outre les menaces de mort, a réussi une première dans l'histoire de l'aviation commerciale, déferrant devant un tribunal pénal les plus hauts responsables de la compagnie. Moralité de l'histoire : Lapa a fait faillite trois ans après.Noël Tinazz
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