«Le défi pour Air France-KLM est de rester dans le Top 15 mondial » (Jean-Cyril Spinetta, PDG)

La Tribune : Quel regard portez-vous sur vos 16 ans à la tête d\'Air France et d\'Air France-KLM ? Jean-Cyril Spinetta : Quand j\'ai été nommé en 1997, l\'une des missions qui m\'a été confiée était de combler le retard d\'Air France en termes d\'alliances, soit en intégrant une alliance, soit en construisant une. C\'est une chose qui a été faite et même bien faite avec la création de Skyteam avec Delta, Korean Air Aeromexico en 2000 et son développement depuis, le rapprochement avec KLM en 2004, qui était la première fusion transnationale en Europe, et les joint-ventures que nous avons créées sur les vols transatlantiques avec Delta puis en Chine avec nos alliés China Southern et China Eastern. -Pourquoi Air France-KLM, qui paraissait si solide entre 2005 et 2008, a été aussi fragilisé pendant la crise?  En 2009, en raison de la tempête économique provoquée par la faillite de Lehman Brothers, il y a eu, en quelques semaines, un décrochage brutal de 15% de la recette unitaire. Depuis, celle-ci est certes revenue à son niveau d\'avant crise sur le long-courrier, mais reste toujours à -15% sur le court et moyen-courrier. Cela représente une perte de recettes d\'un milliard d\'euros ! Ce que nous avions prévu devoir se produire de manière progressive sur plusieurs années (avec une baisse continue de la recette unitaire, comme c\'était le cas depuis 1995) est intervenu brutalement. Ce choc a été d\'autant plus dur qu\'il s\'est accompagné d\'une flambée du prix du carburant. -Quatre ans après la situation d\'Air France-KLM est encore très difficile Pour Air France-KLM, la situation est nettement meilleure aujourd\'hui qu\'en 2011 où l\'entreprise était en risque avec un endettement et un niveau de coûts insupportables. Le plan Transform 2015 de réductions des coûts lancé début 2012 porte ses fruits. L\'operating cash-flow est passé de 300 millions d\'euros en 2011 à 800 millions en 2012. L\'objectif est de dépasser le milliard d\'euros en 2013. Ces chiffres en nette amélioration sont encore insuffisants. En effet Air France-KLM doit être capable d\'investir à terme 2 milliards d\'euros par an sans s\'endetter. Cela passe par la génération de 2 milliards d\'euros de cash par an. -N\'est-ce pas trop ambitieux ? Nous en générions 3 milliards en 2004, 2005 ou 2007. Les choses vont très vite dans le transport aérien. La trajectoire des coûts est bonne en 2013 puisque nos coûts au siège continuent de se réduire et que nos coûts totaux sont stables par rapport à 2012. S\'il y a un frémissement de la recette, la génération de cash sera par conséquent immédiate et importante. -Pour autant, le moyen-courrier et le cargo sont toujours en grande difficulté et votre successeur Alexandre de Juniac entend prendre des mesures complémentaires. Il reste en effet ces deux sujets stratégiques qu\'il faut continuer à traiter. Le moyen courrier souffre de la situation économique européenne qui reste très difficile, et le cargo d\'une situation épouvantable en raison de la stagnation du commerce mondial et d\'une offre en très forte surcapacité. La situation économique d\'aujourd\'hui est pire que celle que nous envisagions en 2011 lorsque le plan Transform 2015 a été arrêté. Un bilan sera fait en septembre. Il y aura des décisions à prendre sur des mesures complémentaires. -Le corps social peut-il encaisser de nouveaux efforts ? Des mouvements sociaux ne sont-ils pas à craindre ?  L\'attachement des salariés à l\'entreprise est très fort. Ces deux dernières années il a permis à l\'entreprise de réagir et de prendre des mesures difficiles. La renégociation de tous les accords collectifs entre janvier et juillet 2012, en témoigne. Elle s\'est déroulée de manière très positive. La modification de la culture d\'entreprise des salariés depuis mon arrivée à Air France est l\'une de mes plus grandes satisfactions. Il y a aujourd\'hui, à tous les niveaux de l\'entreprise, une compréhension très forte des problèmes économiques et de la nécessité de changer pour rester compétitif. -Comment va évoluer le transport aérien selon vous ? La libéralisation du secteur va se poursuivre pour s\'étendre progressivement à l\'ensemble des marchés mondiaux. Le mouvement, enclenché aux Etats-Unis en 1977 avec la dérégulation du transport aérien américain, puis au milieu des années 90 en Europe avec l\'institution du grand Marché unique européen, continuera parce qu\'il est en phase avec un mouvement de globalisation de l\'économie mondiale de plus en plus rapide. Dès lors que la régulation de notre métier sera organisée selon le principe de la liberté d\'établissement, comme c\'est le cas dans l\'industrie ou les services financiers, les compagnies aériennes devront se déployer sur tous les grands marchés mondiaux. -Quels seront les enjeux pour Air France-KLM Cette libéralisation va accélérer le processus de consolidation du secteur. Entre 1990 et 2010, celui-ci s\'est déroulé sur une base régionale. C\'est ce qui s\'est passé aux Etats-Unis, en Chine, en Amérique latine, et bien entendu en Europe où la consolidation est aux trois quarts achevée. La consolidation mondiale sera la prochaine étape. Le secteur se structurera autour de 10-15 grands groupes aériens mondiaux. Le défi pour Air France-KLM est de faire partie de ce top 15 de manière durable pour les 30 à 40 ans qui viennent. Il faudra donc se positionner encore plus sur les grands marchés mondiaux, en Chine, au Brésil...Air France-KLM restera un groupe européen, avec des racines nationales, françaises et néerlandaises, avec pour vocation première de relier l\'Europe au reste du monde mais nous deviendrons aussi, soit directement, soit par le biais de partenariats, un groupe aérien mondial avec des positions de marchés hors d\'Europe. Notre allié américain Delta mène déjà cette stratégie et il a raison. -L\'ouverture des marchés mondiaux entraîne de facto celle du marché européen. N\'est-ce pas dangereux pour les compagnies européennes face aux concurrents du Golfe ou d\'Asie ? Cette ouverture des marchés ne doit pas se faire n\'importe comment. Il ne faut pas être naïf et accepter l\'ouverture de nos marchés à nos compétiteurs sans nous assurer, au préalable qu\'ils partagent des règles de concurrence équitables. Pas en termes de salaires ou de coûts du travail, qui sont des éléments habituels de la compétition mondiale, mais plutôt pour tout ce qui concerne un ensemble de règles qui doivent être communes, comme par exemple le financement des aéroports ou l\'accès au crédit pour le financement d\'avions. - Air France-KLM risque de devoir se positionner d\'ici à la fin de l\'année pour une prise de contrôle d\'Alitalia. Faut-il y aller ?Nous possédons plus de 10% du marché haute contribution italien sur le long-courrier, juste derrière Lufthansa. La question à nous poser est en fait très simple : comment pouvons-nous maintenir ou renforcer nos positions en Italie, qui est, et restera le quatrième marché européen ? Avec ou sans Alitalia ? C\'est sur cela qu\'il faudra prendre position dans quelques mois.  
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