Faut-il aller à Pittsburgh  ?

Rappelons-nous « un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître ». Nous étions en 1965. En pleine construction européenne, le général de Gaulle refusa d'accepter la modification du principe de l'unanimité au profit de la règle majoritaire dans la prise de décision communautaire et suspendit du 30 juin 1965 au 30 janvier 1966 la participation de la France au Conseil des ministres de la CEE, bloquant ainsi le fonctionnement de l'institution. Aux grands maux les grands remèdes. Ce qui était alors en jeu, c'était la conception même de l'Europe, entre une fédération à caractère supranational ou l'« Europe des patries ». Le compromis de Luxembourg donna très largement raison au président de la République française. Pour le plus grand bien de l'Europe. Ne se trouve-t-on pas aujourd'hui, du fait de l'ampleur de la crise économique, à un tournant historique qui justifie des réactions politiques aussi « hétérodoxes » ? Début avril, les vingt pays participants au sommet de Londres ont pris des décisions de principe importantes. D'une part, sur le plan financier : contraindre les paradis fiscaux à la transparence, revoir le rôle et le fonctionnement des agences de notation, revoir les normes de comptabilisation des actifs pour réduire l'impact, amplificateur de crise, de l'évaluation au prix du marché, encadrer les rémunérations des « traders ». D'autre part, comme le soulignait le directeur général du BIT, Juan Somavia, l'objectif était de jeter les bases d'une économie mondiale plus juste et plus durable et de construire un marché du travail équitable, ce qui, bien entendu, remettait implicitement en cause la focalisation des accords internationaux sur le seul libre-échange, sans mention des salaires et de la protection sociale.Où en est-on aujourd'hui ? L'OCDE, qui avait distingué trois listes de pays selon leur degré de coopération dans la transmission d'informations, a déclaré que plus aucun pays n'était dans la « liste noire ». Tous passés dans la « liste grise », où l'exigence de transparence n'est qu'à moitié respectée. La Suisse vient ainsi d'être ramenée de force à de « bons sentiments » par la menace du procès du Trésor américain contre UBS et obligée de livrer les noms de quelques milliers de fugueurs fiscaux américains. Dans la foulée, elle a signé des accords semblables avec la France et le Danemark. Mais Jersey, Guernesey et la City elle-même vont apparemment continuer d'accorder très largement les asiles fiscaux, et l'on peut douter très fort que Gordon Brown y apporte quelque entrave. N'oublions jamais que la City génère entre 7 % et 10 % du PIB britannique. Quant à Obama, il semble aujourd'hui reculer devant les banques pour tenter de sauver sa réforme de l'assurance-maladie. À propos des agences de notation, silence total ! Rien sur les relations de fournisseurs à clients qu'elles entretiennent avec ceux qu'elles doivent noter ! Rien non plus sur la géographie de leur capital ! Admettons que les négociations se poursuivent pour réviser les normes IFRS afin de les rendre moins procycliques et plus favorables à l'investissement. En revanche, sur les rémunérations des « traders » et, plus généralement, des dirigeants de banque, c'est la retraite en ordre dispersé par rapport aux ambitions initiales. Obama lui-même semble avoir abandonné son idée de plafonnement des revenus dans les banques aidées par le Trésor américain. Et il est plus que douteux que Gordon Brown, toujours pour la même raison, applique sur les rémunérations de la City un véritable contrôle. Enfin, de « changement du capitalisme », de réorientation de celui-ci vers les besoins humains, il n'a bien entendu pas du tout été question. Chinois et Indiens, opportunément invités pour les discussions financières, ont évidemment opposé un refus catégorique à ce genre de débat. Devant ces blocages, qui risquent de faire du G20 de Pittsburgh un « théâtre d'ombres », Nicolas Sarkozy réaffirme qu'il « n'admettra pas que ceux qui nous ont plongés dans la crise la plus grave depuis 1930 soient autorisés à recommencer comme avant ». Devant la réunion annuelle des ambassadeurs, il a annoncé une « initiative internationale pour appliquer dans les pays du G20 les règles de gouvernance, de transparence, de responsabilité, qui sont désormais celles de la place de Paris », ajoutant qu'il comptait s'attaquer plus particulièrement au « scandale des bonus ». Il semble avoir convaincu Angela Merkel de l'appuyer en ce sens. Ils seront vite fixés sur les chances réelles d'une unanimité sur ces diverses réformes.Ne nous faisons pas trop d'illusions. Les États-Unis, l'Angleterre et, sur un autre terrain, certains des grands pays émergents ne témoignent pas, depuis le G20 de Londres, d'un enthousiasme réformateur débordant. La France et l'Allemagne, et donc l'Europe, ne sortiraient-elles pas grandi en refusant de faire de la simple figuration à un sommet qui est celui de la « dernière chance » ? Malgré quelques « coins de ciel bleu », la crise est loin d'être finie et justifie des réformes de grande ampleur qui n'ont été qu'esquissées à Londres. Pour éviter le piège mortel du « business as usual », ne faut-il pas réagir comme l'a fait le général de Gaulle en 1965 ? Aux grands maux les grands remèdes?npoint de vue Jean Matouk et Olivier Pastré Professeurs des université
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