« La crise de l'euro nous a obligés à franchir une étape majeure »

STRONG>L'Europe ne va donc pas si mal ?Notre modèle européen de société est le meilleur. Quand, il y a trente ans, on demandait quel était l'endroit où l'on était le plus libre dans le monde, la réponse était : les États-Unis. Aujourd'hui, c'est évidemment l'Europe. La construction européenne a joué un grand rôle dans ce changement : initialement, elle concernait la sphère économique, avec l'idée d'un alignement sur le meilleur par le jeu du marché. Or cette règle a aussi joué en matière de moeurs et de vie en société. Résultat : la machine européenne pousse les 27 à s'aligner sur le pays qui prend les devants en matière de libertés.Êtes-vous aussi confiant pour le futur de la zone euro ?Je suis d'un extrême optimisme. La crise de l'euro nous a obligés à franchir une étape majeure. D'abord, les élites allemandes ont compris que l'euro était dans leur intérêt. Les Allemands peuvent être reconnaissants à la Grèce, au Portugal et à l'Irlande car ces pays ont freiné la montée de l'euro, ce qui est fondamental pour ce pays exportateur. Clairement, si l'euro explosait, l'Allemagne serait le pays le plus pénalisé avec un euromark handicapant sévèrement ses ventes à l'étranger... Ensuite, le système politique allemand vient de conclure un deal avec les Français. Nos voisins acceptent la gouvernance économique telle que les Français la souhaitaient, mais nous sommes d'accord pour que cette gouvernance respecte la philosophie de la bonne gestion allemande. Il s'agit d'un deal parfait, même s'il peut paraître compliqué. Il est vrai que l'Europe adopte une démarche « en crabe ». Sans incarnation, cette démarche explique une partie du désarroi des citoyens.Parallèlement, le fossé entre l'Europe et les États-Unis se creuse...Les États-Unis deviennent, en termes politiques, un pays de plus en plus étrange. Prenez l'exemple de ce qui s'est passé sous la présidence Bush. Le vice-président Dick Cheney avait accordé le contrat privé le plus important d'Irak, sans appel d'offres, à une société qu'il avait précédemment dirigée et dont il possédait des stock-options : c'est hallucinant ! Même constat avec la décision de la Cour suprême, autorisant le financement sans limite de la vie politique par les entreprises. La vertu financière en politique est bien du côté de l'Europe et notamment de la France - n'en déplaise aux Français qui semblent l'ignorer. Oui, il y a bien un modèle européen !Forte de ce modèle, l'Europe peut-elle donner le tempo au reste du monde ?Je ne pense pas qu'elle puisse y arriver mais, au moins, elle essaie de se situer toujours du côté de l'exemplarité. En matière d'environnement ou de gouvernance internationale, l'Europe a les principes les plus moraux. Ceux-ci se transforment-ils en réalité ? Parfois un peu, parfois non. Pourquoi ? Parce que les égoïsmes sacrés sont plutôt du côté des autres. En particulier, du côté des Américains et des Chinois.De l'avis général, le G20 donne des signes d'essoufflement. Est-ce votre avis ?Le G20, initiative française, a fonctionné quand tout le monde avait le « trouillomètre » à zéro. Mais les Américains disposent d'un grand atout : leur capacité d'amnésie, qui leur a permis d'oublier qu'il y a eu une crise. Les Chinois, eux, sortent de cette crise renforcés. Donc, pour le moment, les menaces instantanées ayant disparu, les égoïsmes sacrés reprennent le dessus, ce qui pose un problème. Autre sujet inquiétant : nous entrons dans un système totalement dual avec, d'un côté, des institutions financières régulées et, de l'autre, le « off banking », soit toute la partie non régulée, au moins aussi importante. Ce hiatus, nous risquons de le payer par un nouveau spasme terrible.L'Europe semble manquer d'efficacité en matière économique, surtout comparée aux États-Unis...Ce n'est pas tout à fait exact. Si le critère de bonne santé socio-économique, c'est la réalisation d'un équilibre entre compétition et protection, alors, jusqu'à présent, l'Europe a trouvé cet équilibre. Et sans rogner sa croissance, contrairement à une idée souvent admise, dès lors qu'on raisonne en évolution du PIB par tête afin de faire abstraction de la démographie.Mais face aux pressions de la mondialisation, a-t-elle les moyens de résister ?Nous ne pourrons pas garder notre système intangible ! Pour rester compétitifs, il nous suffit de faire ce qu'ont fait les Allemands au début des années 2000, avec les réformes de Schröder. Celles-ci n'ont pas détruit le modèle allemand, tant elles sont restées à la marge. Il suffit donc d'assez peu de chose pour conserver notre modèle, plutôt exceptionnel, d'équilibre entre protection et compétition. Bien sûr, il faut raboter certains avantages de l'État providence, savoir tenir les dépenses publiques, ou encore, pratiquer une politique intelligente de l'offre.En résumé, l'Europe marche bien, mais fait-elle envie au reste du monde ?Attention, je ne dis pas que l'Europe marche bien, mais que, en tant que modèle de société, elle est formidable. Elle ne fera pourtant pas d'émules, car il faut bien voir que nous sommes seuls au monde. Nous n'avons en effet rien en commun avec les Russes, les Indiens, les Chinois. Heureusement, il nous reste des complicités avec les Américains du Sud ! Quant aux États-Unis, ils s'éloignent du monde occidental pour devenir un syncrétisme du monde entier. Pour résumer mon propos avec une boutade, je crois que, lorsque, dans les élites américaines, les Sino-Américains auront remplacé les Wasps et les Indo-Américains, les Juifs, nous verrons émerger une autre Amérique. De ce point de vue, Obama est une formidable anticipation de ce qui arrivera dans vingt ou trente ans.La démographie aidant, le Vieux Continent est-il menacé de rabougrissement ?Pour que ce ne soit pas le cas, il faut que l'Europe accepte l'immigration. Elle doit aussi être plus présente dans la compétition intellectuelle grâce, par exemple, aux fusions d'universités, qui ne sont qu'une affaire de volonté. Je ne vois pas pourquoi il serait plus dur de fusionner l'université de Heidelberg avec la Sorbonne que de faire EADS ! Il faut aussi protéger nos grandes entreprises contre des prédateurs chinois ou russes, en introduisant par exemple une « golden share » européenne.Comment fonctionnerait ce dispositif ?Les grandes entreprises seraient protégées par une « golden share » à double clé, détenue à la fois par la Commission européenne et par le pays concerné. Pourquoi cette double clé ? Car, si on limite le verrou au pays, on court le risque d'alimenter un nationalisme mal compris. Et si on verrouille uniquement par la Commission, on risque de passer un peu vite sur des contraintes nationales parfois mal perçues par cette dernière. Je pense que, le jour où on verra une grande entreprise européenne basculer dans le giron d'un pays émergent, les gens comprendront l'intérêt d'un tel dispositif.Pour conclure, nous avons tort de nous autoflageller...Il faut arrêter d'avoir honte ! Nos valeurs sont en train d'être honorées par les jeunes dans les rues de Tunis ou d'ailleurs, dans les pays arabes. Ça ne veut pas dire que notre modèle sera retranscrit là-bas, mais nous devrions être fiers de nos valeurs, de ce que nous avons fait et de ce que nous sommes. Alain Minc, Essayiste
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