Fonds Nobles Crus : quand le vin monte à la tête

Un fonds qui investit dans les grands crus. Jusque là, rien de répréhensible. Celui-ci, créé en fin 2007, et de droit luxembourgeois, a été baptisé Nobles Crus par sa société mère Elite Adviser, dirigée par deux anciens gérants de Carmignac Gestion Luxembourg: Miriam Mascherin et Michel Tamisier. Avec un ticket d\'entrée à 125.000 euros, le fonds est avant tout destiné aux investisseurs professionnels ou privés, mais \"avertis\". Il se compose à 70% de vins millésimés, à 20% de primeurs et 10% sont conservés en \"cash\".Une plus-value à long terme pas évidenteEn 2009, le gérant du fonds Christian Roger explique à Easybourse que \"l\'objectif du fonds consiste à acquérir les plus grands vins dans les plus grands millésimes, et de les conserver pendant un certain temps pour pouvoir les vendre, à terme, avec une plus-value\". Ce sont justement les performances du fonds qui intriguent aujourd\'hui les observateurs du marché. Un analyste belge indépendant, Jean Walravens*, est ainsi allé mettre son nez dans les fûts de Nobles Crus. Cette déclaration de Christian Roger ne manque pas d\'interpeller, puisque, relève l\'analyste, la valeur des 86 premiers crus du stock à fin 2010 a augmenté de 4.17% en valeur, tandis que l\'indice mixte Bordeaux/Bourgogne affichait une hausse de 18.39%. La plus-value sur le long terme n\'est donc pas évidente...Produire de la valeur autrementLe fonds affiche aujourd\'hui une insolente croissance: ses actifs sous gestion sont ainsi passés de 10.9 millions d\'euros fin 2008, à 109 millions d\'euros fin août 2012, et le rendement moyen du fonds s\'est élevé à 13% par an.Michel Tamisier, le fondateur de Nobles Crus, explique dans la presse belge que: \"Notre plus-value se fait à l\'achat: nous négocions des caves à des prix compris entre -10% et -30%, sans que les prix du marché aient augmenté. Les stocks ne laissent pas apparaître de variation exceptionnelle, mais on produit de la valeur autrement\". Jean Walravens a, lui, une toute autre explication: il estime que les prix des bouteilles acquises par le fonds sont surévalués. La performance du fonds semble en effet totalement décorrélée de l\'indice \"Live-Ex\", qui sert de référence de cotation, et donc du prix réel des bouteilles.Par exemple, une bouteille de Richebourg Henri Jayer 1985 est valorisée 15.573 euros par Nobles Crus, contre 8281 euros sur Cellar Watch (le Boursorama du vin), une bouteille de Latour à Pomerol 1961 est estimée à 9001 euros par Nobles Crus, contre 1685 euros par Cellar Watch. Au final, la valeur d\'estimation par Nobles Crus est supérieure de 20.04% à la valeur obtenue par Cellar Watch.Sur-valorisation des stocksL\'analyste n\'hésite pas à qualifier cette pratique de frauduleuse et développe son argumentation: \"Chaque fois que le fonds achète une nouvelle bouteille, probablement à un prix proche du prix du marché, un \"profit\" est instantanément généré, puisque la valorisation se fait à un niveau de prix supérieur. Tant que le fonds grandit en taille, des \"profits\" sont réalisés. Le jour où il y aura plus d\'actionnaires sortants qu\'entrants, ces profits fictifs disparaîtront. Pire: le fonds devra vendre des bouteilles et les pertes s\'accumuleront\". Les comptes de résultat du fonds indiquent que les profits résultant de la réévaluation du stock ont augmenté de 98% entre 2009 et 2011. Jean Walravens ajoute: \"Notre hypothèse est confirmée par le fait que, chaque année, les profits proviennent essentiellement de plus-values latentes sur les bouteilles de vin achetées dans l\'année\".Le fonds ne se base pas sur les indices référentsMais le fonds précise bien que, pour valoriser son stock, il se base sur les prix atteints lors de ventes annuelles de vins et sur les salles de ventes aux enchères, et non sur les indices de marché. Des prix qui peuvent donc être bien supérieurs à la valeur réelle des bouteilles. D\'où l\'écart pointé du doigt par l\'analyste entre les prix de Nobles Crus et ceux référencés par les indices. Et si jamais le fonds devait céder ses bouteilles, il pourrait effectivement avoir à les vendre à un prix bien plus bas que celui qu\'il a comptabilisé.Dans un communiqué envoyé ce jour, le fonds précise que: \"Nobles Crus a établi une propre méthodologie car les solutions existantes ne correspondaient nullement à la composition unique de son portefeuille. Cette méthodologie reflète une moyenne prudentielle des prix réels de transactions sur le marché mondial du vin.\"Nobles Crus mettra au point sa propre méthodologie de valorisation l’an prochain, estimant que les indices existants ne correspondent pas à ses produits: \"les prix de transactions qui composent ces \"indices\" ne concernent qu’un marché local très ciblé alors que Nobles Crus intervient sur un marché mondial avec des transactions régulières. Les prix utilisés par ces \"indices\" sont des prix moyens entre offre et demande, ils ne reflètent en rien la réalité des transactions sur le marché puisque les sociétés qui produisent ces indices ne traitent pas fréquemment ces vins et qu’ils peuvent être fixés par un \"comité de valorisation\" lorsqu’il n’y a pas de prix de référence disponible\".Alors, hausse artificielle et trompeuse de la valeur des stocks pour attirer le chaland, ou pratique originale, voire visionnaire, dans un secteur encore mal connu?Pour l’heure, le régulateur luxembourgeois n’a jamais été saisi et Deloitte, l’auditeur des comptes du fonds, n’est pas compétent pour apprécier la méthodologie employée pour référencer les vins. *Auteur de \"La distribution du patrimoine des particuliers en Belgique\" et de \"Ce que votre banquier ne veut pas que vous sachiez\". 
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