Le « Sarkozy » sera-t-il un grand emprunt  ?

Le chef de l'État a annoncé en juin dernier le lancement d'un emprunt pour financer des dépenses d'avenir. Cela suppose bien sûr que l'État soit compétent pour faire les choix d'investissement pertinents et qu'il obtienne les financements auprès de ceux qui renoncent à investir eux-mêmes. Depuis quelques décennies, l'État n'emprunte plus directement aux Français à travers des titres clairement identifiés mais indirectement via d'opaques contrats d'assurance-vie placés en bons du Trésor.Dans la longue histoire du financement de l'État, certains emprunts ont marqué l'inconscient collectif. Le président de la République cherche à s'inscrire dans cette mythologie du grand emprunt populaire mais il n'est pas certain au final que le « Sarkozy » se distingue de la foule des petits emprunts.Une fiscalité favorable ne suffit pas à caractériser un grand emprunt. Depuis le Grand Parti de Lyon de 1555 jusqu'à nos actuelles assurances-vie, prêter à l'État est toujours fiscalement avantagé. C'est le jeu de l'État de prendre d'une main pour accorder de l'autre. Mais, quand les deux mains sont dans la même poche au même moment, la nullité de la démarche est trop flagrante.On peut retenir deux caractéristiques alternatives pour faire d'une banale dette publique un grand emprunt. L'emprunt peut d'abord répondre à un besoin immédiat pour refermer un épisode malheureux. C'est le cas du « milliard des émigrés » émis en 1825 pour indemniser les propriétaires des biens confisqués pendant la Révolution. Ou aussi, les emprunts Thiers après la défaite de 1870 : la Prusse impose à la France une indemnité de 5 milliards (25 % du PIB) dont le versement permet le retrait progressif des troupes d'occupation. Le patriotisme stimulé par une prime très attractive provoque un immense succès : 826.664 Français (9 % des ménages) souscrivent. En 1918, sept millions de personnes signent pour le gigantesque emprunt de Libération qui doit permettre au pays de se remettre du conflit.L'emprunt peut aussi être accompagné d'un engagement de l'État de lutter contre ses propres dérives. En 1921, la dette publique représente 200 % du PIB. Les épargnants ont prêté de l'or et sont remboursés en francs dépréciés de 80 %. Ils hésitent à prêter encore, portant les taux d'intérêt à des sommets inédits depuis la révolution de 1848. En 1925, l'émission d'un emprunt garanti en sterling est un engagement à rembourser réellement et non par l'inflation. L'année suivante, Poincaré complète la Constitution par une caisse autonome d'amortissement de la dette publique à qui sont affectés les droits sur le tabac, les mutations et successions. Cette responsabilisation de l'État restaure la confiance permettant aux taux d'intérêt de repasser sous les niveaux franchis à la hausse en 1915.Une situation similaire se produit après la Seconde Guerre mondiale. L'État finance ses dépenses par la création monétaire. L'hyperinflation anéantit la valeur réelle des dettes. Ainsi, en 1950, la dette de l'État n'est plus que de 15 % du PIB. Contrepartie, les Français fuient le franc et, malgré les interdictions, se ruent sur les biens dotés d'une valeur réelle : devises, bijoux, vaisselle et surtout or. Cette thésaurisation, parfaitement bénéfique aux épargnants, est très préjudiciable à l'activité économique. En 1952, Pinay stoppe la spirale. Le Pinay, c'est de l'or qui rapporte car cet emprunt est indexé sur le cours du Napoléon. À nouveau, c'est un engagement profond de rompre avec la facilité.Enfin, il y a tous les autres emprunts, aussi fréquents que l'est la démagogie du déficit. Le « Sarkozy » ne sera pas un emprunt de type sauvetage national car, heureusement, la situation actuelle ne montre pas d'urgence. Plusieurs mois ont au contraire été nécessaires pour définir les « dépenses d'avenir ». Ses modalités financières ne sont pas encore connues mais il paraît improbable qu'elles sacralisent le retour à une saine gestion. Le « Sarkozy » ne sera pas un grand emprunt mettant fin à la dérive de l'endettement. La récente décision allemande d'interdire les déficits supérieurs à 0,35 % du PIB montre pourtant la voie. npoint de vue David Le Bris Chercheur à l'université d'Orléans et Paris-Sorbonne
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