Europe : la décennie de la renaissance ?

Ce 31 décembre, c'est non seulement une année qui s'est achevée, mais une décennie entière. S'il est trop tôt pour dire ce que l'histoire en retiendra, « le verdict du passé est toujours le verdict d'un oracle », disait Nietzsche. Or, ces dix ans sont marqués par une somme impressionnante d'échecs et de chocs que nous serions bien inspirés de méditer.Les lumières de la démocratie imposées à coups de canon par les néoconservateurs américains ? Un chaos sans précédent qui a embrasé durablement le Moyen-Orient. La victoire éclair sur les Talibans en Afghanistan en 2001 ? Nul ne sait comment sortir de ce bourbier. Le Proche-Orient ? La situation ne fait qu'empirer. Le développement des produits financiers complexes censés « rendre les institutions financières moins vulnérables et l'ensemble du système plus résilient » selon les termes d'Alan Greenspan en 2003 ? On s'abstiendra de commenter. La mondialisation heureuse ? Certes, elle a immensément bénéficié aux nouveaux entrants, sortant des dizaines de millions d'êtres humains de la pauvreté, mais elle a exposé les sociétés développées à de graves tensions pour l'instant non résolues. L'Union européenne ? Élargie précipitamment à 27 en 2004, elle ne s'est jamais relevée des non français et hollandais au référendum constitutionnel de 2005 et se fissure avec la crise de la dette souveraine. L'échec de l'agenda de Lisbonne adopté en 2000 pour relever le défi de la compétitivité est tellement cuisant que plus personne n'ose en parler. Quant à l'euro, introduit en fanfare en 2002, beaucoup le voient moribond. Enfin le climat : après le rapport choc de Nicholas Stern de 2006, le désastre de Copenhague l'an dernier, malgré une petite lueur d'espoir au sommet de Cancún, rend hautement improbable la possibilité de contenir l'élévation de température sous les 2 °C d'ici à 2100.Que nous dit donc l'oracle du passé ? D'abord, le monde est devenu véritablement multipolaire et aucune puissance, pas même les États-Unis, ne peut, militairement, diplomatiquement ou économiquement, revendiquer un leadership incontesté. Deux, l'universalisme démocratique - né en Occident - est pour le moins disputé. Trois, le modèle économique dominant se révèle pour l'instant incapable de fonctionner en assurant l'équilibre écologique et une répartition équitable de la richesse. Mais la leçon majeure s'adresse à l'Europe : qu'il s'agisse de peser dans la diplomatie internationale, de lutter à armes égales avec les émergents, de combattre sérieusement les défis écologiques - sur lesquels elle est en pointe -, de préserver un certain modèle social et de défendre un capitalisme plus humble et plus juste, ce n'est qu'en s'unifiant et en parlant d'une seule voix qu'elle a un avenir. Elle seule permettra à ses membres d'exister dans le monde de 2020, où des colosses régionaux décideront du sort de la planète.L'excitation française pour la présidence du G20 est une chose, sans doute y voit-on l'occasion d'en tirer un certain prestige, mais cette institution n'a guère produit de réformes substantielles au-delà des communiqués. On rêverait d'un déploiement d'énergie égal pour redonner de l'élan au noyau dur des fondateurs de l'Union plutôt qu'un accord mesquin pour en geler le budget. On rêverait que celle-ci retrouve sa place de ferment d'idées nouvelles et de culture plutôt que de laisser partir ses cerveaux outre-Atlantique. On rêverait que ses dirigeants cultivent notre histoire commune plutôt que de céder aux sirènes lointaines. C'est à la Renaissance que le mot Europe s'est imposé, en même tant que se répandaient un nouveau mode de pensée et de représentation du monde, de nouvelles techniques, une intensification du commerce, un renouveau artistique et culturel... qui ont duré cinq siècles, et c'est d'une révolution au moins aussi profonde dont l'humanité aura besoin.
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