L'immobilier n'est pas un actif comme les autres

Épicentre de la crise, l'immobilier continue d'inquiéter un peu partout dans le monde. C'est vrai aux États-Unis, où la construction de nouveaux logements et les transactions immobilières sont toujours déprimées, faisant douter de la reprise. D'autres économies souffrent encore des lendemains de l'euphorie immobilière, comme l'Irlande, l'Espagne ou le Royaume-Uni. Dans beaucoup de pays émergents, la frénésie semble au contraire sans limites, alimentant les craintes de surchauffe. Et les dernières statistiques ont montré que la France enregistre à nouveau des hausses spectaculaires du prix des logements, même si le secteur de la construction y reste fragile.Le pilotage de l'activité immobilière s'avère bien difficile. Les pouvoirs publics disposent d'instruments, tels les taux d'intérêt, les avantages fiscaux, la construction de logements sociaux, la gestion réglementaire du foncier, les coûts de transaction... Mais même s'ils peuvent soutenir ou ralentir l'immobilier, ces mécanismes sont souvent impuissants à contrecarrer les bulles spéculatives comme leur éclatement.C'est que l'immobilier reste un actif à part. À commencer par son importance, sans commune mesure, dans le patrimoine des agents économiques. En France, l'Insee estimait en 2006 que l'immobilier - foncier et logement - représentait 70 % du patrimoine des ménages, eux-mêmes détenant environ 80 % du patrimoine national. Une telle concentration de la richesse sur l'immobilier n'est pas propre à la France, ce même niveau de 70 % étant observé dans beaucoup de pays développés, à l'exception notable des États-Unis, où il est inférieur à 50 %.La place prépondérante de l'immobilier conduit à rechercher les moyens d'en faciliter l'acquisition, grâce au crédit. Les banques prêteuses, qui disposent de sûretés sur les biens financés, n'ont ainsi qu'une exposition limitée au risque lié à l'emprunteur. D'où l'extension de la durée des emprunts, la diminution des apports exigés et les formules plus ou moins originales, selon les pays, d'hypothèque rechargeable, de « reverse mortgage » ou autre zéro coupon immobilier. Avec un risque indirect : si le prêteur récupère l'actif de l'emprunteur défaillant, il devient alors exposé au prix du sous-jacent immobilier. Et sans possibilité de bien couvrir ce risque. Ce qui conduit généralement à la volonté de le disséminer, en particulier au moyen de la titrisation... Toute ressemblance avec une crise récente n'est pas du hasard !Car, malgré le poids considérable de cet actif dans l'économie, le marché de l'immobilier présente de fortes imperfections, qui contribuent à son instabilité. Il y a une part immatérielle dans l'acquisition d'un bien immobilier, qui renvoie à des facteurs culturels, psychologiques, générationnels... Et les ménages ont des difficultés à faire des arbitrages rationnels sur longue période incluant le logement, ce qui peut perturber les prix de l'immobilier. C'est aussi un marché assez peu liquide, même lorsqu'il est dynamique, avec des délais et des coûts de transaction importants.Les marchés de l'immobilier sont surtout « incomplets » au sens de la théorie financière. Il est possible d'acheter un bien, mais très difficile « d'acheter » le secteur immobilier, car il n'existe pas de « futures » ou de « synthétiques » correspondants. Il est également impossible d'être « short » sur l'immobilier, donc de se protéger contre la baisse des prix. La plupart des agents économiques sont ainsi exposés à des fluctuations contre lesquelles ils disposent de couvertures très imparfaites (produits liés à l'inflation, foncières cotées...), alors qu'il s'agit de leur risque le plus important.Il n'y a pourtant aucun obstacle théorique à l'existence de produits dérivés sur l'immobilier. Des tentatives ont eu lieu, par exemple aux États-Unis où l'économiste Robert Shiller, à l'origine d'indices de référence sur l'immobilier américain, a pointé leur nécessité. Difficile sans eux de protéger son portefeuille si on craint la hausse des prix de l'immobilier (futurs acquéreurs, locataires, opérateurs ayant déjà vendu des programmes de logements...) ou leur baisse (propriétaires, banques faisant du crédit immobilier, foncières...). Bien entendu, il y a toujours un « risque de base » entre des indicateurs immobiliers et un actif réel : le prix d'une maison n'évolue pas exactement comme celui de l'immobilier dans le pays ni même dans la ville où elle est située. Mais celui-ci est minime par rapport à l'imperfection des « couvertures » existantes, comme par exemple l'inflation, atone en comparaison de la volatilité des prix de l'immobilier sur la dernière décennie dans la plupart des pays développés. La crise financière a montré que les failles des mécanismes de marché (par exemple l'absence de marchés organisés pour les produits liés au risque de crédit) appelaient des innovations et de nouvelles régulations. À cet égard, la création de marchés efficients de l'immobilier devrait être une priorité.
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