500 millions d'amis, et moi, et moi, et moi...

Rien ne sera plus jamais étanche. Avec le Net, et particulièrement les réseaux sociaux, on assiste à une continuité de conversation entre espaces public et privé. La Toile aspire les conversations privées. Une sorte de Web en clair-obscur qui nous permet de tisser un fil ténu entre vie réelle et vie fantasmée. Ce qu'a magnifiquement compris Zuckerberg, le fondateur de Facebook, en permettant aux conversations privées de devenir publiques, tout en restant planqué derrière un écran. Mieux : on peut choisir d'être vu par certains et pas par d'autres. Je dévoile qui je suis. Je dis qui sont mes amis. Mais jusqu'où ? Qui surveille qui ? Tous ceux qui font leurs choux gras de la surveillance interpersonnelle et ils sont nombreux : patron, collègues, membres de la famille, ex, j'en passe... Seuls les plus jeunes échappent à cette crainte, persuadés que ceux qui « viennent » les voir appartiennent à leur zone de visibilité. Même les plus inquiets et les plus méfiants n'évitent pas la tentation de se montrer. Car Facebook a ceci de séduisant, il permet aux individus de prendre une certaine autonomie en exprimant leur point de vue personnel, en commentant des faits de société, en partageant de la musique, en participant à la vie collective sans déléguer leurs opinions à des représentants. En ce sens, il repose de nouvelles bases de démocratie. Et porte bien son nom de réseau social. Mais avec le danger de disqualifier les « silencieux et les passifs » par de nouvelles autorités, comme le souligne Dominique Cardon dans son ouvrage « la Démocratie Internet ». Mais sur Facebook pas de vie intime. Rarement les liens amoureux apparaissent. Le travail d'exposition de soi ne s'y fait d'ailleurs pas de manière naïve mais correspond à une réelle stratégie de mise en scène, comme autant de données privées construites par les individus eux-mêmes. Avec pour objectif de faire « bruisser » le réseau. Et pourquoi pas de s'y placer au centre. Pas étonnant que les entreprises aient mis du temps à s'y faire. Elles ont fait fausse route en misant d'emblée sur la transparence. Elles ont fini par comprendre que les bons ingrédients étaient l'honnêteté et le fun. Internet a créé une brèche dans le monde de l'entreprise : prouver que l'on peut bosser et s'amuser en même temps. Facebook a ainsi court-circuité les rigidités organisationnelles et permis de libérer certaines forces vives... mais il reste encore de la marge. Sa légende tord aussi le cou aux clichés de la réussite : voir les deux frères friqués Winklevoss, deux beaux gosses clean, sportifs, perfusés aux bonnes manières bourgeoises se faire doubler par un ado asocial et névrosé rafraîchit le mythe de David et Goliath. Une sorte de manifeste pour la singularité au propre comme au figuré. Que l'on soit un individu ou une institution. Adieu le monde du « ou ». Bienvenu dans celui du « et » - Facebook, Linkedin, Wiki - dans lequel on n'en est pas à une contradiction près. Une forme de réconciliation de tous nos travers. Une ode aussi aux ambitieux et aux rebelles, sous forme de doigt d'honneur au système (« I'm CEO, bitch ! »), qui cherchent à se faire un nom, mais vivent surtout dans l'objectif de défier l'autorité en place, briser les règles en vigueur et imposer leur vision du monde. On est proche du syndrome de toute-puissance dans lequel excelle également Jérôme Kerviel en estimant avoir voulu défier sa hiérarchie. La morale du film « The Social Network » résonne cependant comme un avertissement : si Mark Zuckerberg a su créer un espace social dément et redéfinit les relations entre les personnes, avec des millions d'utilisateurs, il est incapable de garder son seul ami. Pire : il le sacrifie au profit de 500 millions d'étrangers ! Nous voilà partagés entre fascination et antipathie, entre excitation et terreur, désir et peur, entre autonomie et dépendance. Comme dirait Sean Parker, cofondateur de Napster et mentor de Zuckerberg : « This is our time. »ParSophie Péters Journaliste
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