Quand la Chine rêve de la Hague (2/2)

Le 9 mai 1950, désireuse de rendre tout conflit entre la France et l'Allemagne « non seulement impensable, mais matériellement impossible », le ministre des Affaires étrangères, Robert Schuman, proposait à l'Allemagne et à ses voisins la mise en commun de leurs productions de charbon et d'acier. Dans la vision de son instigateur, Jean Monnet, l'initiative du traité de Paris instituant la CECA (Communauté européenne du charbon et de l'acier), n'était qu'un moyen de provoquer une dynamique irrémédiable, un engrenage devant engager les Européens sur la voie de l'Union économique et politique.Soixante ans après, cette vision demeure d'une actualité criante. En 2010, le choix du nucléaire relève d'une évidence du même ordre.Pour reprendre les termes de Jean Monnet, avançons de manière « décisive » par « réalisation ciblée, immédiate, concrète et créatrice de solidarités de fait », via une « autorité indépendante dont les décisions sont exécutoires et lient les pays adhérents, en vue d'accomplir une oeuvre commune - non pas négocier ses avantages, mais rechercher les avantages dans l'avantage commun ». À l'occasion de la renégociation du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), pourquoi ne nous inspirons pas des vertus de la Haute Autorité du charbon et de l'acier pour proposer la création d'une Haute Autorité nucléaire civile qui portera un modèle inédit de coopération permettant de sortir du dilemme des transferts bilatéraux de technologies, et une véritable gestion des moyens, en vue de produire dans les meilleures conditions de sécurité et à coûts compétitifs, dans l'intérêt de toutes les populations du globe. L'enjeu du développement de la filière électronucléaire reste la garantie de non-prolifération, matérialisée par l'adhésion des pays au Traité de non-prolifération. Mais aujourd'hui le paradigme a notablement changé par l'aspiration légitime d'un grand nombre de pays nouveaux à la production d'électricité nucléaire. La technologie de traitement et du recyclage des combustibles usés qui, hier, pouvait paraître comme un vecteur possible de prolifération est au contraire devenue la seule réponse responsable et durable pour accompagner ce nouveau développement.Dans cette perspective, la France et la Chine peuvent prendre une initiative fondatrice dans le cycle « aval » en construisant ensemble une infrastructure de traitement et de recyclage des combustibles usés et des déchets comme celle de la Hague dont la maîtrise d'ouvrage sera confiée à la Haute Autorité nucléaire civile qui reconnaîtra et garantira les principes de confinement et de recyclage, et leur prise en considération pour la construction des nouveaux réacteurs ; assurera par elle-même le recyclage et l'entreposage des combustibles et matériaux nucléaires usés sur les sites régionaux qu'elle construira et exploitera ; offrira l'accès à tout pays candidat qui partage les mêmes objectifs de développement dans la sûreté et la sécurité, et apportera semblablement ses compétences et moyens ; et, enfin, agira sous le contrôle des institutions internationales compétentes comme l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique).Dans son rapport d'activité présenté à l'APN le 5 mars, le Premier ministre Wen Jiabao a réitéré la volonté du gouvernement de « mettre en place un système industriel et un modèle de consommation caractérisés par de faibles émissions carbone ; afin de répondre au changement climatique, seront développées des technologies à faible intensité carbone et des ressources énergétiques nouvelles et renouvelables ». Les Chinois ont à coeur de lutter contre le changement climatique et sont prêts à y mettre les moyens tellement leurs besoins actuels et futurs sont énormes : une coopération avec la Chine permettrait de faire baisser les coûts et de favoriser la négociation avec les primo-accédants. La rencontre entre Nicolas Sarkozy et Hu Jintao est l'opportunité, par-delà leur objectif bilatéral, d'embrasser un vaste dessein, dans une perspective multilatérale de mise en commun des moyens et des responsabilités au sein de cette Haute Autorité ouverte à tous les États de bonne volonté ; voilà un geste fort pour l'amorce d'une gouvernance mondiale.(*) Auteur du « Manuel de chinoiseries à l'usage de mes amis cartésiens ».Par Chenva Tieu Producteur du magazine audiovisuel « Sinosphère » (*)
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.