L'acte II de l'implosion de la finance américaine

STRONG>Par Paul Jorion économiste et anthropologueCommençons par rappeler en quelques mots ce qu'est le « foreclosuregate ». Dans le cas d'un crédit hypothécaire aux États-Unis, le titre de propriété demeure en possession du prêteur jusqu'à ce que le principal ait été entièrement remboursé. Le titre est un document imprimé. Dans 23 des 50 États américains, il doit être présenté au tribunal pour que la saisie puisse être autorisée. Pour faciliter la titrisation, à l'occasion de laquelle plusieurs milliers de crédit sont consolidés sous la forme d'une obligation unique, les banques ont créé en 1995 un système plus rapide et plus maniable de titres de propriété électroniques : MERS pour Mortgage Electronic Registration Systems. Au cours des années récentes, lorsqu'une banque envisage la saisie d'un logement pour non-paiement des échéances, elle a le choix entre retrouver le titre de propriété sur support papier, ou bien reconstituer un document sur support papier à partir de l'information disponible sous forme électronique. Or des documents contenant des informations fausses ont été présentés devant les tribunaux et des bévues ont été commises, comme le cas de ce monsieur en Floride qui a vu sa maison saisie alors qu'il avait réglé son achat au comptant.Pire encore, le statut juridique de documents reconstitués a été mis en doute : MERS, compagnie privée, est-elle véritablement habilitée à acter à titre quasi légal ? Le 8 octobre, Bank of America et GMAC (l'ancienne filiale financière de General Motors) ont jeté l'éponge en décrétant un moratoire sur les saisies en attendant que les incohérences résultant de l'existence des deux systèmes d'enregistrement parallèles soient réglées. Le 13 octobre, les procureurs généraux de l'ensemble des États-Unis ont décidé de leur côté d'enquêter sur la validité des procédés utilisés.J'interromps ici un instant le récit des événements pour évoquer la dimension réelle du « foreclosuregate » Qui, pour moi, est « constitué davantage de l'identité de ceux qui en parlent et la manière dont ils en parlent ». À ce point de l'évolution de la situation, certains ont pensé que le scandale déboucherait sur un blocage de durée indéterminée de ces saisies qui ont déjà affecté d'une manière ou d'une autre 6,7 millions de foyers américains. Et s'en sont réjouis bruyamment. On en était là quand on a appris que Fannie Mae et Freddie Mac, qui avaient participé à la mise en place du système d'enregistrement MERS, s'étaient mis d'accord pour définir un protocole robuste de constitution d'un titre-papier à partir d'informations purement électroniques. Bank of America et GMAC ont levé leur moratoire le 18 octobre. Et les saisies ont repris leur cours.Il est donc bien possible que le « foreclosuregate » constitue une affaire qui n'a jamais eu lieu, d'autant qu'avec aujourd'hui un stock de logements en possession des banques qu'il faudra 107 mois pour écouler, aucun retard supplémentaire ne modifiera sensiblement la donne. À ceci près que le « foreclosuregate » est crucial à un titre au moins : l'importance précisément qu'on lui attribue dans une part considérable de la classe politique américaine, de la gauche représentée par le sénateur démocrate Alan Grayson, grand croisé contre Wall Street, et d'Yves Smith, influente blogueuse du site www.akedcapitalism.com pour la gauche, à l'extrême droite représentée par le très poujadiste Tea Party, devenu l'une des principales composantes du Parti républicain. Le fait est que dans ces divers courants qui représentent sans doute tous mis ensemble une majorité de l'opinion américaine, on en est venu à souhaiter ardemment qu'un événement intervienne qui, après deux ans de vaine attente, punisse enfin Wall Street de ses crimes. D'où l'espoir exagéré que suscitent des péripéties telles celles qui sont regroupées aujourd'hui sous le nom de « foreclosuregate », nom choisi pour suggérer bien entendu l'existence d'un scandale d'une ampleur telle que, pareil à son célèbre prédécesseur le Watergate, il modifiera radicalement la donne politique américaine.Si l'opinion publique compte désormais pour punir Wall Street sur un événement qui s'apparente à l'intervention de la justice divine, c'est qu'aujourd'hui plus aucun doute n'est permis : la punition ne viendra pas des hommes. Passons sur le fait que Goldman Sachs et Angelo Mozilo, ancien patron de Countrywide, ont été condamnés à des amendes qui se chiffrent en dizaines ou en centaines de millions de dollars mais qui demeurent d'un montant dérisoire par rapport aux pertes qu'ils ont causées, et sans qu'ils aient reconnu la moindre responsabilité de leur part, et constatons que ni la justice, ni les régulateurs des marchés financiers, ni les représentants du peuple, ni l'administration, ni le gouvernement américain, qui disposent pourtant chacun du pouvoir nécessaire et ont eu des occasions multiples de mettre en accusation les coupables, voire de les punir, n'ont jugé bon de le faire.Les électeurs qui ont élu Obama pensaient voter contre Wall Street et ses méfaits. Ceux qui votèrent McCain, également, et à plus juste titre sans doute. Tous devaient cependant rapidement déchanter. La victoire du camp républicain aux élections du 2 novembre ne changera rien à cela et les cyniques auront beau jeu d'affirmer que la liberté du peuple américain se limite à un choix très restreint de voter soit pour la Chambre de commerce des États-Unis soit pour Wall Street. Une leçon de l'histoire qu'il ne conviendrait pas de négliger est que les peuples qui en sont réduits à compter sur une intervention divine ne sont jamais bien loin en réalité de prendre leur propre destin en main. Il s'agit là d'une observation dont feraient bien de tenir compte toute affaire cessante les différentes instances étatiques américaines dont j'ai dressé la liste un peu plus haut.
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